Libération. Les bombardements de 1943 ont bouleversé Nantes et redessiné la ville (OF.fr-20/09/23)

Véronique Guitton, conservatrice des Archives de Nantes devant le plan de la reconstruction.

Par Dominique BLOYET (Presse Océan)

Après les bombardements des 16 et 23 septembre 1943, la Ville de Nantes réfléchit à sa reconstruction dès le mois suivant. Le centre-ville en sera profondément modifié.

Le bilan humain des bombardements de Nantes des 16 et 23 septembre 1943 est des plus lourds : 1 463 personnes y ont perdu la vie et 2 500 blessés ont été relevés. Sur le plan matériel, la ville est profondément bouleversée : 515 hectares ont été ravagés, 700 immeubles ont été détruits en totalité, 1 300 immeubles sont partiellement sinistrés dont le dérasement s’imposerait et 2 000 immeubles sont à réparer. Les 16 bombardements qui suivront jusqu’à la libération de Nantes et les sabotages des infrastructures portuaires dans les quinze derniers jours d’occupation apporteront encore leur lot de victimes, de destructions et de fragilisation des installations. De quoi modifier profondément la topographie de la cité.

Photo de bombardement de Nantes prise par l’aviation américaine.

« Il a fallu 25 ans pour reconstruire Nantes »

La reconstruction de la ville n’a pas été une sinécure.  Il a fallu 25 ans pour reconstruire Nantes , souligne Véronique Guitton, la conservatrice des Archives de Nantes qui ont mis en ligne sur leur site les panneaux de l’exposition réalisée à l’occasion du 75e anniversaire des bombardements et consacrée à la reconstruction. Dès octobre 1943, les services techniques de la municipalité, sommée par l’État d’élaborer un projet de reconstruction et d’aménagement, planchent sur le sujet.

Après la Libération et la création du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, un architecte extérieur est nommé pour diriger cette reconstruction. Michel Roux-Spitz, architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux et grand prix de Rome 1920, reprend les grandes lignes du projet dessiné par les services techniques.  Le futur plan est présenté aux Nantais en décembre 1945 dans le cadre d’une exposition au Musée des Beaux-arts ». Il est officiellement adopté le 27 août 1948, malgré un contre-projet, proposé par un avocat nantais, Me Gabriel Chéreau qui prône une réorganisation totale de la ville, selon le modèle soufflé par Le Corbusier, à avoir une cité moderne séparant les quatre fonctions de l’urbanisme : habiter, travailler, se recréer, circuler.

La rue du Calvaire, en septembre 1943, après le passage des bombardiers américains

Répondre à l’utilisation croissante de la voiture

Le plan Roux-Spitz veut répondre aux nouveaux besoins et notamment l’utilisation croissante de la voiture. Il prévoit donc l’élargissement des rues du centre-ville  afin de faire aboutir toutes les grandes artères au cœur de la ville ». De fait, « certains projets d’aménagement, comme celui du quartier insalubre du Marchix, avaient été initiés avant guerre mais n’avaient pu être menés au bout en raison des hostilités. Les dégâts consécutifs aux bombardements ont permis à la ville d’aller plus vite , note Véronique Guitton. Pour le centre-ville pour lequel il n’y avait pas de projet dans les cartons, la reconstruction permet une nouvelle urbanisation.

Dès les années 30, il est question de raser les taudis du quartier autour de la place Bretagne (ici en photo en juin 1945).

Création de nouveaux axes, élargissement de rues et de places

 La rue du Calvaire qui a été totalement rasée est reconstruite et élargie. La rue de Budapest est percée pour relier la nouvelle place Bretagne. Les immeubles de la place Royale sont reconstruits à l’identique mais sans cours et pour celui de la taverne plus en retrait », explique Véronique Guitton.  Il fallait également reconstruire les ponts et refaire les réseaux de transport. De nouveaux axes, comme le boulevard des Martyrs nantais, sont créés et des rues et places sont élargies. Ce mouvement avait déjà été lancé au XIXe siècle par des médecins hygiénistes qui préconisaient de donner de l’air à la ville. Ça s’est traduit par le percement de la rue de Strasbourg et le projet du Marchix et du Martray qui n’a abouti que dans les années 80 .

Totalement rasée en septembre 1943, la rue du Calvaire a été reconstruite et élargie.

Débat sur l’emplacement de l’hôpital

Quant à l’Hôtel-Dieu, dont 60 % des bâtiments ne sont pas réparables, la question d’un nouvel emplacement au nord de la ville se pose. Mais, après débat, il est finalement reconstruit sur l’île Gloriette. Les travaux ne se termineront qu’au début des années 60.

Baraquements pour loger les sinistrés des bombardements rue Eugène-Delacroix. | ARCHIVES DE NANTES

 Les sinistrés relogés dans des baraquements

 Monique Boisseau se souvient de ce 16 septembre 1943 comme si c’était hier. Elle venait d’avoir 7 ans et se réjouissait à l’idée de reprendre le chemin de l’école.  Mon père avait été requis en 1942 pour aller travailler en Allemagne. Ce 16 septembre en milieu d’après-midi, avec mon frère aîné, on accompagnait maman qui était allée rendre visite à une amie hospitalisée à l’Hôtel-Dieu. Ensuite, en allant chez notre grand-mère, rue de Strasbourg, ma maman a rencontré une amie à l’aubette des tramways de la place du Commerce qui nous a invités à prendre un goûter à la boutique Firgécrème, située en face des Grands magasins Decré. Puis sur le chemin du retour, nous avons entendu les sirènes. Nous nous sommes vite réfugiés sous un porche. Il y avait des bruits d’explosion partout. Nous étions serrés contre maman, le bruit nous terrifiait. Quand nous avons quitté le porche, la rue était en ruines. Les gens hurlaient, pleuraient, couraient. Certains avaient les vêtements en lambeaux . L’Hôtel-Dieu et l’aubette de la place du Commerce n’ont pas résisté ! Decré sera soufflé une semaine après…. Quelques jours plus tard, la famille quitte la ville et part se réfugier à Saint-Philbert-de-Grandlieu. Mais, après chaque bombardement, la maman s’en retournait en ville pour prendre des nouvelles de la grand-mère restée rue de Strasbourg.

Les derniers baraquements sont détruits au début des années 1970

Le nombre de sinistrés, après les bombardements, s’élève à 20 000 personnes. Des baraquements sont érigés à la hâte pour permettre aux commerçants de reprendre leur activité. Environ 70 sont installés sur la voie publique, les uns en bois (cours Saint-Pierre et boulevard Guist’hau), les autres en dur (cours Cambronne, cours Saint-André, Franklin et quai Brancas). Les derniers baraquements ne sont démontés qu’en 1966.

Il en faut également pour reloger les sinistrés, dans l’attente de la reconstruction des immeubles détruits. S’ils sont des milliers à avoir quitté la ville après les 16 et 23 septembre 1943, ils sont nombreux à y revenir à la Libération. Ils sont logés dans des cités temporaires faites de baraquements en bois ou en tôle placées à l’extérieur de la ville, comme la cité du Vieux Doulon.

Les derniers baraquements sont détruits au début des années 1970.

Source: https://www.ouest-france.fr/culture/histoire/les-bombardements-ont-bouleverse-nantes-3f3f8c7a-56d4-11ee-b6ba-7dd572906796

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