L’Inde reçoit environ 600.000 barils par jour de la Russie, à comparer aux 900.000 de l’année dernière. Cette stratégie a pour effet d’augmenter le prix que les Européens payent pour le carburant en provenance d’Asie.
En ce moment, il y a 57 millions de barils de pétrole brut extraits de l’Oural russe et transportés par bateau vers l’Asie. Dans quelque mois, il y aura un premier débarquement en Chine, ensuite au Bangladesh et au Sri Lanka. Cependant, la plupart des barils sont destinés à l’Inde, qui possède de grandes raffineries capables de transformer le brut russe en diesel, et en d’autres carburants actuellement très demandés qui pourraient ensuite se retrouver en Europe.
La situation paradoxale qui est en découle est la suivante : l’Union européenne a interdit la plupart des importations de pétrole russe dès lundi, à titre de sanction à l’encontre du pays de Putin pour son invasion de l’Ukraine. Mais à présent, l’Inde achète du pétrole à prix très avantageux auprès de la Russie et le commercialise une fois raffiné et à un prix plus élevé á Europe.
« L’Inde est en train de devenir de facto le centre de raffinage de l’Europe », indique un rapport récent des analystes de la banque d’investissement RBC Capital Markets. « En revanche, le ait d’acheter du diesel en Inde augmentera les prix en Europe, car il est plus cher d’expédier le carburant depuis le pays asiatique que l’acheminer par pipe-lines depuis les raffineries russes. La conséquence indésirable est que l’Europe va importer l’inflation chez ses propres citoyens », indique RBC.
L’appétit de l’Inde pour le pétrole brut russe n’a cessé de croître depuis le début de la guerre en Ukraine. Selon le cabinet d’analystes de Kpler, l’Inde reçoit environ 600.000 barils par jour de la Russie, contre les 90.000 par jour de l’année dernière. En mars, la troisième puissance économique d’Asie a acheté 11 millions de barils. Ce chiffre a augmenté à 27 millions en Avril. Le mois dernier, il était de 21 millions. Un contraste saisissant si l’on compare aux 12 millions de barils que l’Inde a acheté à la Russie pour toute l’année 2021.
Maintenant que les dirigeants de l’UE ont convenus d’interdire 90% du pétrole brut russe d’ici la fin de l’année dans le cadre du sixième paquet de sanctions, provoquant un nouveau choc pour l’économie mondiale – la Russie est le troisieme producteur de pétrole, après les États-Unis et l’Arabie Saudite, et le deuxième plus grand exportateur -, Moscou se tourne vers l’Asie pour vendre du pétrole bon marché. Selon Kple, l’Asie a déjà dépassé l’Europe en tant que principal acheteur pour la première fois en Avril. Cet écart devrait se creuser fortement lorsque les chiffres de Mai seront publiés.
AMBIGUÏTÉ
Depuis le début de la guerre, l’Inde et la Chine ont maintenu la position ambiguë de ne pas condamner la Russie mais également de ne pas soutenir l’invasion russe. Malgré les avertissements des Think tank de Washington. Pour l’instant, Pékin n’a pas réussi à devenir un parapluie pour l’économie russe face à une pluie de sanctions. Bien que ses achats du pétrole Russe aient explosé ( de mars jusqu’à mai, la Chine a acheté 14,5 millions de barils, soit trois fois plus qu’au cours de la même période l’année dernière ) le gouvernement chinois, comme le rapporte Reuters, a évité de conclure de nouveaux contrats entre ses raffineries et la Russie, malgré des remises importantes.
Les leaders de la deuxième puissance mondiale ont informé qu’ils continueraient à entretenir des liens étroits avec leur voisin de premier rang, surtout des liens commerciaux. En Avril, à partir des donnés de l’administration douanière chinoise, les importations de produits Russes ont atteint le chiffre record de 8,89 milliards de dollars, soit une hausse de 56,6 % par rapport à l’année précédente.
« La Chine profite de l’isolement de la Russie pour obtenir de l’énergie bon marché et des accords commerciaux favorables, en revanche elle restera très prudente pour éviter de violer les sanctions occidentales de manière directe » déclare Maria Shagina, analyste à l’institut international d’études stratégiques.
Les sanctions occidentales que la Chine critique tant n’ont pour l’instant pas eu d’incidence sur ses achats de pétrole et de gaz russes, bien que le président américain Joe Biden ait averti Pékin qu’il pourrait y avoir des conséquences si elle aidait Moscou à échapper aux sanctions. C’est cette menace qui pousse les entreprises chinoises à avancer lentement, de peur de perdre l’accès aux précieux marchés occidentaux.
PLUS D’ACHATS Á PRIX RÉDUITS
L’Inde, cependant, va plus loin que la Chine voisine. Les raffineries du pays, qui est le troisième importateur et consommateur de pétrole au monde, ont acheté beaucoup plus de brut russe par le biais d’appels d’offres au comptant, profitant des prix bas proposés par Moscou : le pétrole de l’Oural en Russie se négocie actuellement autour de 95 dollars le baril, alors que le prix moyen du pétrole brut Brent, la référence sur le marché européen, est supérieur à 119 dollars.
« L’Inde achète des quantités record à des prix très réduits, et fait fonctionner ses raffineries – notamment les raffineries privées Reliance et Nayara – au-delà de leur capacité nominale et exporte de l’essence et du diesel vers l’Europe. La politique de l’UE consistant à serrer la vis à la Russie a accéléré le rôle de l’Inde dans la nouvelle carte du commerce pétrolier réécrite sur le plan géopolitique » indique la note publiée par RBC Capital Markets.
La pression exercée par Washington pour empêcher le Premier ministre indien Narendra Modi d’ouvrir les bras à Poutine ne fonctionne pas. Selon les estimations de Refinitiv, les flux de brut russe vers l’Inde devraient atteindre 3,36 millions de tonnes métriques en mai, soit près de neuf fois plus que la moyenne mensuelle de 2021.
Source : El Mundo, Lucas De La Cal, 04-06-2022
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Auteur : Lucas De La Cal correspondant à Pékin