Loire-Atlantique-« Pour ceux qui touchent le RSA, la vie est un parcours d’obstacle »(OF.fr-13/07/23)

Chrystelle Pillot et Cyrille Lecoq, tous deux chargés accompagnement emploi pour les services du Département, échangent avec Jean-Claude Agnui (au centre), un allocataire du RSA en passe d’obtenir un poste de chef d’équipe grâce à sa ténacité et au soutien des travailleurs sociaux.

Par Agnès CLERMONT

Toucher le RSA, ça n’est pas être inactif. C’est ce que raconte Jean-Claude Agnui, agent d’entretien à temps trop partiel pour ne pas être aidé. Et qui se bat avec l’aide de travailleurs sociaux pour décrocher un poste en CDI.

Faut-il contraindre les allocataires du RSA (Revenu de solidarité active) à une activité d’insertion professionnelle de quinze à vingt heures par semaine, ainsi que le déclarait Emmanuel Macron, en mars ? Est-il pertinent d’envisager des sanctions pour les contrevenants comme l’a dit Élisabeth Borne ?

Bien sûr que non, tonne le Département, qui s’apprête au contraire à renforcer l’accompagnement des bénéficiaires du RSA, sans conditions, dans un bassin d’emploi test, à Saint-Nazaire(lire ci-dessous). Accompagnement proposé, non imposé, à des hommes et des femmes déjà plombés par l’obligation de se dépatouiller avec des revenus très faibles. Et qui, bien souvent, ont mille embûches à franchir avant de pouvoir décrocher un emploi.

25 % travaillent déjà

D’ailleurs, en Loire-Atlantique, grosso modo, 25 % des allocataires du RSA travaillent déjà. Mais trop peu pour avoir de quoi vivre.

C’est justement l’histoire de Jean-Claude Agnui. Il en fait le récit, en cet après-midi de juin, aux côtés de Chrystelle Pillot et de Cyrille Lecoq, deux travailleurs sociaux de l’Unité emploi (1), un service du Département dédié au soutien des personnes au RSA. Et qui l’ont beaucoup aidé.

« La vie n’est pas facile pour ceux qui touchent le RSA. Il faut de la patience, de la sagesse. C’est un vrai parcours d’obstacles. Mais aujourd’hui, s’il y a des gens heureux sur terre, on peut me compter parmi eux ! » Jean-Claude Agnui, Ivoirien, se souvient de son arrivée à Nantes, il y a six ans, après des années à trimer dans le bâtiment en région parisienne et dix-huit passés en Italie : « Ici, je me suis retrouvé sans rien, hébergé chez ma fille et son mari ! »

À 4 h 30 du matin

Le besoin de travailler le hante. « Alors, des fois, le matin, je partais aider ma fille », raconte-t-il. Elle faisait du nettoyage pour une entreprise nantaise, il a fini par prendre sa suite. Mais il n’a ni le permis de conduire ni les moyens de le passer. De ce fait, il ne peut prétendre à plus d’une dizaine d’heures de travail par semaine. Et touche donc le RSA.

Il s’accroche à ses maigres subsides et à son poste. Pourtant, il faut en vouloir pour rejoindre son entreprise, à Nantes. « Je partais à 4 h 30 de chez moi, à la Blordière, à Rezé. À pied jusqu’à la gare de Pont-Rousseau. » Puis changement de tram à Nantes. Plus d’une heure de trajet. « Je l’ai même fait avec une entorse. Mon médecin voulait m’arrêter, j’ai dit “pas question”. »

Chrystelle Pillot et Cyrille Lecoq connaissent bien cette volonté farouche qui anime les allocataires qu’ils rencontrent. Imaginer qu’ils se satisfont d’une vie en marge, loin de toute activité professionnelle, ne reflète pas la réalité : « Au contraire, ils ont tellement envie de travailler que nous sommes souvent obligés de les calmer, dans un premier temps. »

Plus de 60 ans

Car des obstacles à franchir, il y en a. « Bien sûr, se retrouver au RSA, ça peut arriver à tout le monde. » Mais dans leurs Unités emploi, les bénéficiaires qu’ils reçoivent en entretien individuel, pendant plus d’un an, au moins une heure chaque quinzaine, sont ceux qui sont stoppés dans leur progression par d’impitoyables freins : « Les mères seules, qui n’ont pas de lieu où faire garder leurs enfants. Ceux qui n’ont pas de moyen de déplacement. Les plus de 60 ans, et ils sont nombreux. Ceux qui ne parlent pas ou pas bien le français. Plus tous ceux qui ont de gros problèmes de santé. »

Beaucoup d’hommes et de femmes ont perdu confiance en eux, à force d’isolement et d’échecs. « Les menacer de sanctions, ça ne marche pas, jugent Chrystelle Pillot et Cyrille Lecoq. Si les injonctions sont trop fortes, ils se renferment plus encore. »

Obstacle bureaucratique

Il y a cinq ans, Cyrille Lecoq a monté, avec un collègue, l’opération appelée Pass sport emploi, qu’il anime aujourd’hui avec Chrystelle Pillot. Depuis, quinze allocataires se retrouvent chaque mardi avec le duo, pour pratiquer des activités sportives. Pour cultiver les capacités physiques, le respect des consignes, des horaires, etc. En fin d’année, les participants organisent une rencontre sportive avec des représentants d’entreprise. « Et là, tout le monde est en short, rouge de sueur. Les barrières tombent », raconte Cyrille Lecoq. Jean-Claude Agnui a été l’un de ces organisateurs, cette année. Et il a vu la progression de ses camarades, qui se sont épatés d’avoir réussi à parfaitement mener l’évènement.

Grâce à l’association Trajet, où il a fait un passage, Jean-Claude Agnui a désormais un toit. Et grâce au Département, qui l’a aidé financièrement, il a son permis et une voiture. Il n’attend plus qu’une chose : que l’administration française veuille bien modifier sa carte de séjour, pour que l’adresse soit identique à celle de son permis de conduire. Tant que ce détail bureaucratique n’est pas réglé, il ne peut pas signer son CDI de chef d’équipe en nettoyage. Mais il sait qu’il lèvera ce dernier obstacle : « Mon chef m’a dit : les clefs de la voiture sont là, elles t’attendent. »

(1) Il y a six Unités emploi en Loire-Atlantique, animées par 76 professionnels.

Le Département teste l’accompagnement renforcé

C’est une proposition de l’État, à laquelle la Loire-Atlantique a dit banco. Grâce à une contrepartie de 750 000 € versée au Département (augmentée de 50 % en 2024), la collectivité se lance dans l’expérimentation d’un accompagnement renforcé des allocataires du RSA, dans un secteur test, le bassin d’emploi de Saint-Nazaire.

Ils seront 1 500 à en bénéficier, jusqu’à fin 2024. Sept postes vont être créés pour une durée de dix-huit mois, au service solidarité de Saint-Nazaire, plus d’autres chez des partenaires. Les sommes allouées seront doublées : elles passeront à 2 000 € par allocataire et par an. Et le nombre de personnes suivies par un conseiller sera, lui, divisé par deux : il passera de cent à cinquante.

« Mais ça ne sera pas un RSA sous condition », a prévenu Jérôme Alemany, vice-président chargé de l’action sociale de proximité et de l’insertion, devant l’assemblée des conseillers départementaux, lundi 26 juin : « 541 € ! C’est le montant moyen payé à l’allocataire en Loire-Atlantique. C’est-à-dire 18 € par jour pour manger, se loger, se vêtir. C’est très loin du seuil de pauvreté. » À ce tarif-là, pas question d’exiger des bénéficiaires qu’ils fournissent une activité de quinze à vingt heures par semaine, comme Emmanuel Macron l’a pourtant dit en mars.

Pas question non plus d’infliger des sanctions aux contrevenants, contrairement à ce qu’a affirmé la Première ministre en avril. Et si jamais le Département devait perdre la main dans cette affaire, il se retirerait de l’expérimentation, a prévenu Michel Ménard, son président.

« Nous sommes en désaccord avec le fait que vous ne vouliez pas entendre parler de contreparties, avait prévenu la Valletaise Charlotte Luquiau (Démocratie 44), pour l’opposition. Le timing était pourtant parfait, avec ces annonces non pourvues qui fleurissent partout : serveurs sur la côte, main-d’œuvre dans le secteur maraîcher… Une contrepartie d’une quinzaine d’heures est, pour nous, une question de bon sens. » Pour elle, « bien entendu », il faudrait cependant « exempter les parents isolés, les personnes ayant des problèmes de santé et les bénéficiaires dont les problèmes sociaux ne sont pas résolus ».

C’est-à-dire, en gros, l’essentiel des allocataires, selon un panel cité par l’écologiste Ugo Bessière, qui liste, pour l’exemple, une mère célibataire sans mode de garde, un habitant du monde rural qui n’a « ni permis de conduire ni voiture », une exilée victime de violences et un sexagénaire. « 21 % des allocataires sont en mauvais état de santé, mais bien sûr, il faudrait les faire travailler en cuisine ou à genoux dans les champs », single Ugo Bessière.

« Quinze heures d’activité ? Mais c’est un emploi à temps partiel, s’indigne le Rezéen François Thiriet (majorité). Le problème, justement, c’est que les allocataires concernés par l’expérimentation sont ceux qui sont les plus en difficulté. Être au RSA n’est pas leur choix. »

Les conseillers ont dit oui, avec 38 voix pour et 22 abstentions. Et deux absents.

Source: https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/loire-atlantique/pour-ceux-qui-touchent-le-rsa-la-vie-est-un-parcours-dobstacle-63b12418-158b-11ee-84f1-0960f4dbada5

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/loire-atlantique-pour-ceux-qui-touchent-le-rsa-la-vie-est-un-parcours-dobstacle-of-fr-13-07-23/

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