L’opposition sénégalaise réclame le départ de Macky Sall. ( Investig’Action – 17/03/23)

De vives tensions ont eu lieu hier au Sénégal où de grandes mobilisations étaient organisées en soutien au principal opposant Ousmane Sonko. Depuis plusieurs jours, des milliers de personnes manifestaient face à l’acharnement judiciaire et politique que semble subir le leader du Pastef.

Qui est Ousmane Sonko ? Député puis troisième à la présidentielle de 2019, l’association Survie écrivait en 2021 : il « a pris une stature de premier opposant à Macky Sall au cours de cette campagne présidentielle en dénonçant crûment la corruption des élites, la piètre gestion de l’État et l’inefficacité des services publics. Militant pour la sortie du Franc CFA, il dénonce les Accords de partenariat économique (APE) et les contrats léonins signés avec des multinationales. »

La principale coalition de l’opposition, Yewwi Askan Wi (YAW), avait appelé à manifester, « avec ou sans autorisation », les 14 et 15 mars dans la capitale sénégalaise et dans tout le pays. Le 15 mars le domicile de Sonko était barricadé par la police pour l’empêcher de se rendre aux manifestations pacifiques. Les atteintes à la liberté d’informer sont nombreuses d’après les témoignages reçus, depuis plusieurs mois mais aussi ces derniers jours. « A chaque fois qu’il y a une convocation de Sonko, son domicile est barricadé. Il est interdit de sortir car le pouvoir veut contrôler tous ses faits et gestes, les journalistes ont été gazés hier. Les tirs de la police sont directement portés vers eux » nous explique Kadija une militante sénégalaise.

Guy Marius Sagna, membre du mouvement Anti-impérialiste (le FRAPP), a été blessé ce mercredi de gaz lacrymogène sur la cuisse alors qu’il accompagnait Ousmane Sonko. « On sait que le gouvernement a des milices qui ont participé aux événements de répression de population de mars 2021. Ce sont des personnes qui n’ont aucune formation militaire et qui agissent en toute impunité » nous dit-on. En mars 2021, Ousmane Sonko était mis en examen pour une accusation de viol. « Mais cette affaire a été totalement démontée. Il y a tellement de preuves pour montrer que c’est un complot que maintenant le pouvoir passe à une autre accusation. La jeune fille dit elle-même qu’il ne s’est rien passé. » Kadija nous raconte d’ailleurs la tension qui régnait à ce moment-là et les craintes d’un assassinat de l’opposant : « Le jour du procès, son véhicule avait été intercepté lors de son déplacement et on le forçait à passer par un tunnel connu comme dangereux, ce qui consistait très certainement en un piège. C’est suite à cela que des manifestations d’ampleur avaient éclaté ».

Un risque d’escalade souhaité par le pouvoir ?

Après le meeting organisé mercredi Ousmane Sonko a essuyé des tirs de grenade lacrymogène sur sa route. « Des provocations, ce sont toujours des provocations pour pousser à des émeutes pouvant déboucher sur une guerre civile que l’opposition ne veut pas offrir à Macky Sall dont le mandat finit dans 11 mois » affirme l’observateur Akhenaton Aton. Selon des opposants, le président mise sur un chaos généralisé afin d’instaurer un état de siège et reporter l’élection présidentielle prévue le 25 février 2024. En théorie, il ne pourrait participer à ces élections, lui qui a été élu 2 fois, en 2012 et en 2019.

Depuis plusieurs semaines, à InvestigAction, nous étions alertés sur les emprisonnements de militants d’opposition notamment du parti PASTEF d’Ousmane Sonko. Akhenaton Aton insiste aussi sur : « la corruption érigée en mode de gouvernance, les privations de liberté, les emprisonnements de journalistes »…

De nombreuses personnes dénoncent la mainmise du pouvoir présidentiel sur la justice et exigent que les juges soumis au régime de Macky Sall ne soient plus utilisés « pour tuer politiquement l’opposant ». Alors que les élections de 2019 étaient déjà fortement contestées, deux opposants politiques avaient été empêchés de se présenter à la présidentielle pour faciliter à Macky Sall sa seconde victoire. Il s’agissait de Karim Wade et de Khalifa Sall. Aujourd’hui, c’est le chef de l’opposition Ousmane Sonko qui est inquiété pour être candidat en 2024.

De quoi est accusé actuellement Ousmane Sonko ?

Il s’agit ici d’un procès en diffamation « monté de toute pièce » souligne Akhenaton Aton, impliquant le ministre du tourisme, à propos de fonds publics à hauteur de 29 milliards fcfa « qui devaient servir à financer 4 domaines agricoles communautaires et créer des milliers d’emplois jeunes à l’intérieur du pays. Depuis 2015, ces projets ne sont pas réalisés, les emplois sont inexistants. Les fonds ont pourtant été payés ». Ousmane Sonko aurait affirmé dans une déclaration publique que le ministre du Tourisme, auparavant ministre de la Jeunesse, est épinglé par un rapport de l’inspection générale des finances (IGF). Aujourd’hui le Ministre Mame Mbaye Niang nie en bloc l’existence de ce rapport malgré la publication antérieure d’un livre sur ce scandale.

Abidine Diop, soutien du Pastef, souligne que « le rapport existe et c’est reconnu par le ministre épinglé. Mais il est classé comme « confidentiel », c’est là-dessus qu’est accusé Ousmane Sonko! » Il nous informe également que Macky Sall « a fait changer le code électoral par sa majorité mécanique à l’assemblée nationale, pour introduire un article disant que « toute personne condamnée à une amende de plus 300€ ou quelques jours avec sursis ne peut pas voter. Et pour être élu, il faut être électeur » ». Une preuve de plus selon lui que tout est fait pour écarter Ousmane Sonko.

A la question de savoir si Macky Sall serait-il si impopulaire, on nous répond :« si vous suivez ce qui se passe en France, avec un gouvernement totalement dans le déni, le mensonge et le chantage, on est dans le même cas de figure ici au Sénégal ».

Et la France dans tout cela ?

La militante interrogée nous assure que malgré le discours sur les hésitations quant à une représentation à la prochaine présidentielle, Macky Sall « est déterminé, ses parrains sont Alassane Ouatara et Denis Sassou Ngesso, de grands amis de la France ; il veut rester au pouvoir. Officiellement la France n’a aucun rôle, mais dans le fond ils le soutiennent. S’ils sont venus pour préparer et former les policiers Sénégalais au maintien de l’ordre ce n’est pas pour rien ».
Pour Abidine Diop, « il y a la France mais aussi les Etats-Unis et Israël. Macky Sall a fait venir une milice privée israëlienne pour former les forces de défense et intervenir en même temps sur le terrain. Des contrats d’armement de plus de 80 millions d’euros ont récemment été contractés avec une société israélienne. Depuis peu, nous avons remarqué les méthodes de répression similaires à celles utilisées en Palestine. »

A propos du Sénégal réputé pour son calme, Kadija ajoute : « Quand on reprend l’histoire du Sénégal, ça a toujours été le pilier de la France en Afrique de l’Ouest. On a toujours eu des présidents à la solde de la France c’est pour cela qu’il est réputé comme stable. Là avec Sonko ça dérange l’establishment français et occidental. Le problème c’est que Sonko a déclaré vouloir revoir les contrats, or regardez dans la téléphonie c’est Orange, on a Suez pour l’énergie, Engie pour l’électricité. Sonko ose dire que si on veut stopper l’émigration, il faut redonner des emplois ! »

À propos du récent voyage d’Emmanuel Macron en Afrique, elle poursuit : « Si on a un Macron qui se précipite pour aller en Afrique, il ne va pas pour aider mais pour assurer ses arrières. Le risque que tous les pays africains, en tout cas de plus en plus, nationalisent leurs ressources, à la suite du Burkina, du Mali, ça signifie que c’est terminé pour la France et même les Occidentaux. »

Cette crainte des Occidentaux de perdre la domination politique et économique sur de nombreux pays africains est révélatrice selon elle : « Si la jeunesse africaine se lève, si l’Afrique de lève, c’est fini pour l’exploitation. La politique actuelle est la même que celle de De Gaulle après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les États africains ont voulu leur indépendance. Macron est parti à Brazzaville et à Kinshasa, accusant les Russes. Il a fait passer le message dans les médias que cette jeunesse est embrigadée, que ce sont les Russes qui essaient de manipuler les Africains, qu’ils veulent exploiter leurs richesses. Il n’y a pas besoin d’eux pour que les Africains soient critiques de la France ! »

Comment soutenir ?

Pour Kadija, si l’on veut soutenir le peuple sénégalais, de manière désintéressée, c’est déjà « en disant la vérité, aussi bien en Afrique qu’en Occident. Beaucoup ne connaissent pas la réalité, ce qui se passe sans cliché, ni fantasmes, par exemple parler d’ethnicité comme le fait Macky Sall, ça n’a jamais existé au Sénégal ». Selon elle, aujourd’hui Macky Sall monte « les Peuls contre les Dioulas, ce n’est qu’une stratégie de diviser pour mieux régner! »

Elle nous révèle également, que le président a fait tirer à balles réelles dans le Sud, la Casamance, qui est la région d’Ousmane Sonko. « Ce sont toujours les mêmes méthodes, je ne dirais même pas l’Occident ou la France mais il s’agit des gouvernements qui gouvernent contre le peuple ».

Par Robin Delobel

Source : L’opposition sénégalaise réclame le départ de Macky Sall | Investig’Action (investigaction.net)

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