Macron, Bayrou, LR : la relève de Jean-Marie Le Pen (Frustration-9/01/25)

Jean-Marie Le Pen dans sa résidence de Montretout à Saint-Cloud en 2006 – Nikeush, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons

Jean-Marie Le Pen, une des plus importantes figures de l’extrême droite française au XXe siècle, est mort ce lundi 7 janvier 2025 à l’âge de 96 ans. Cette nouvelle nous a laissé, à Frustration, assez indifférents. Elle nous a semblé, pour l’essentiel, un non-sujet, un non-événement : Jean-Marie Le Pen était un politicien fini, exclu du Rassemblement national, sans aucun mandat. Une partie de la militance anti-raciste a même semblé agacée devant les images de liesse diffusées sur les chaines d’infos en continue : on y voit des jeunes gens sabrer le champagne en criant “il est mort ! il est mort”. Mais pourquoi cette scène laisserait-elle un goût amer alors que Le Pen était, effectivement, une vieille ordure ? C’est que cette fête qui semble célébrer une victoire a un arrière-goût de défaite, d’une certaine façon : elle pue même un peu la loose. En effet, Jean-Marie Le Pen est mort “de sa belle mort” à un âge que beaucoup aimeraient atteindre, dans une certaine opulence en laissant derrière lui le parti qu’il a fondé comme une des formations politiques les plus puissantes de France, dominant complètement les gouvernements qui se succèdent depuis la dernière dissolution.
La dure réalité c’est que Jean-Marie Le Pen est bien mort mais que le Jean-Marie Lepénisme se porte mieux que jamais, et que son engeance ne se limite pas au RN. 

Par Rob GRAMS.

Le Lepénisme : racisme anti-immigrés, colonialisme, ultralibéralisme, antisémitisme

Qu’est-ce que c’est le lepénisme version père ? Quelle est sa place dans la droite française ? Quelle est sa doctrine ? Ce sont les questions qui permettent de comprendre son impact majeur, voire son hégémonie sur notre classe politique aujourd’hui.

Le lepénisme version père ce sont quatre axes : 

  • Un racisme anti-immigrés fanatique : découlant de son arabaphobie, de son islamophobie, de sa négrophobie, et même de son racisme anti-slave, le lepénisme a été porteur d’une idéologie de l’immigration zéro, associant celle-ci à l’assistanat, à l’insécurité, au chômage, à la dette, à tous les problèmes sociaux de la France.  
  • Le colonialisme : le “combattant” salué par Bayrou a en réalité été un bourreau dans les colonies françaises, en particulier en Algérie. La France qu’il incarne est celle de la France colonialiste, des défenseurs de l’Algérie française. 
  • L’ultralibéralisme : contrairement à l’image d’un FN défenseur des ouvriers, le lepénisme était un ultralibéralisme assumé, obsédé par le remboursement de la dette.
  • L’antisémitisme : le coeur du projet politique du lepénisme était mu par l’antisémitisme. D’ailleurs, pour la vieille extrême droite antisémite, même le discours anti-immigrés est emprunt d’antisémitisme : ce serait une “élite cosmopolite” “apatride” qui “détruirait la nation” en organisant le “grand remplacement”. 

Racisme, colonialisme et ultra-libéralisme. Cela sonne un peu familier ? C’est parce que ce trio qui résume bien le lepénisme, s’applique bien, aussi, à la pratique politique du macronisme et de ses satellites (Bayrou, la droite, une partie du PS).

La “Loi Immigration” : la loi rêvée de Jean-Marie Le Pen faite par Macron

Le principal combat de Jean-Marie Le Pen aura été d’essayer de détruire la vie des immigrés en France. Il a largement contribué à imposer le racisme anti-immigrés comme un des thèmes centraux du débat politique français, avec par exemple, sa fake news du “1 millions d’immigrés = 1 millions de chômeurs”. L’économiste Hippolyte d’Albis rappelle à ce sujet que “l’immigration n’a globalement que peu d’impact sur le chômage et les salaires”

Il l’a fait avec un certain succès puisque depuis les années 1980, tous les gouvernements se sont progressivement alignés sur l’agenda de l’extrême droite multipliant les lois anti-immigrés. Environ 120 textes de loi anti-immigrés se sont donc succédés depuis 1945

Environ 120 textes de loi anti-immigrés se sont succédés depuis 1945

Mais parmi celles-ci une se distingue en ce qu’elle est entièrement une loi lepéniste, c’est celle de Macron en 2024. Celle-ci a été votée par le groupe RN, qui est le deuxième groupe derrière les macronistes, a l’avoir le plus soutenu

En effet, cette énième loi Immigration reprenait les principales mesures phares du programme anti-immigrés de Jean-Marie Le Pen puis de sa fille Marine, comme le notait le site La Grande Conversation

  • Restrictions massives de la régularisation des “sans-papiers” exploités dans des secteurs en tension : elle ne peut se faire qu’à titre “exceptionnel” comme dans le programme du RN, en prenant en compte des critères comme “son insertion sociale et familiale”, “son intégration à la société française et son adhésion aux modes de vie et aux valeurs de celle-ci”.  
  • Durcissement de l’obtention de titres de séjour, des expulsions et des interdictions de territoire. Parmi ces conditions sont par exemple ajoutées à l’obligation de parler français évaluée par un examen, la connaissance de “l’histoire et de la culture” française. Un retrait des titres de séjour peut se faire pour “non respect des principes de la République”. Même pour les étudiantes, étudiants, chercheuses et chercheurs, les conditions sont extrêmement durcies : obligation de fournir “une caution retour” (une somme d’argent qui n’est rendu que si l’individu quitte le territoire dans les temps impartis) et augmentation des frais de scolarité.
    L’obtention d’un titre de séjour via le mariage est également soumis à des conditions beaucoup plus dures. 
  • Durcissement du droit d’asile
  • Limitation du regroupement familial
  • Création d’un délit de séjour (qui était dans le programme du RN et pas dans celui de Macron). 
  • Durcissement de l’accès au logement, aux allocations logement, aux prestations familiales et à l’aide médicale d’Etat (qui permet aux étrangers et étrangères de se soigner…).  

Le racisme anti-immigrés de Jean-Marie Le Pen n’était pas un principe abstrait, c’était le souhait de politiques réelles, concrètes, qui viennent détruire la vie des immigrés en France. Force est de constater qu’avec sa loi Immigration, Macron a exaucé une grande partie du rêve de Jean-Marie Le Pen. 

Le colonialisme incarné par le tortionnaire Jean-Marie Le Pen vit toujours

Jean-Marie Le Pen incarnait aussi la France colonialiste. 

Celui-ci a participé pour un temps court à la guerre d’Indochine où la France souhaitait maintenir ses colonies en massacrant les rebelles, puis à l’opération de Suez dans laquelle la France s’est alliée au Royaume-Uni et à Israël pour combattre la nationalisation mise en place par l’Egypte.

Mais Jean-Marie Le Pen est surtout connu pour sa participation à la dite “bataille d’Alger”, un des pires crimes coloniaux français. C’est dans ce cadre, au sein de la Légion étrangère et entouré d’anciens SS s’y étant réfugiés, qu’il perquisitionnait, torturait et parfois exécutait des habitants algériens, en dehors, évidemment, de toute zone de droit. C’est pourquoi lorsque notre lamentable Premier ministre François Bayrou dit de Jean-Marie Le Pen, sous forme d’hommage, que “les polémiques étaient ses armes préférées”, cela s’avère faux. De ce que nous ont appris les historiens, les armes préférées de Jean-Marie Le Pen étaient plutôt le pistolet avec lequel il exécuta sommairement des prisonniers attachés, mais aussi le poignard, comme celui des Jeunesses Hitlériennes où son nom était gravé.

Jean-Marie Le Pen est surtout connu pour sa participation à la dite “bataille d’Alger”, un des pires crimes coloniaux français. C’est dans ce cadre, au sein de la Légion étrangère et entouré d’anciens SS s’y étant réfugiés, qu’il perquisitionnait, torturait et parfois exécutait des habitants algériens

Par la suite Jean-Marie Le Pen fut un fervent partisan de “l’Algérie française” c’est-à-dire opposé à l’indépendance de l’Algérie même après la victoire des révolutionnaires algériens. Il fut ainsi un compagnon de route de l’OAS, un groupe terroriste qui commit de nombreux attentats contre des civils, assassinats, participa a des tentatives de putsch, et tenta même de tuer le Général de Gaulle. Jean-Marie Le Pen essaya d’ailleurs de faire s’évader le cerveau de l’attentat du Petit-Clamart durant lequel le véhicule du dirigeant français fut criblé de balles. 

Quand le premier ministre François Bayrou célèbre “le combattant” Jean-Marie Le Pen, il célèbre avant tout le “combattant de la France coloniale”. Il faut dire que là aussi, le macronisme et ses clones comme Bayrou, s’inscrivent largement dans son sillage. 

Jean-Marie Le Pen, bourreau assumé des algériens, fût la face grotesque, ignoble, caricaturale, d’un colonialisme français lui toujours bien vivant, incarné aujourd’hui par le macronisme en décomposition. 

Que ce soit s’agissant de l’Outre-mer ou des conflits internationaux, la logique qui domine la position française est toujours celle du colonialisme. 
On l’a vu récemment dans la répressions ultra violente et dictatoriales en Nouvelle Calédonie face à la révolte kanak, en Guadeloupe face à la contestation des jeunes avec notamment l’instauration d’un couvre-feu, le déploiement pour la première fois depuis 1959 de CRS en Martinique, mais aussi dans la gestion épouvantable et méprisante de la catastrophe à Mayotte
Au niveau de la politique étrangère, c’est une véritable internationale colonialiste que semble vouloir mettre en place les macronistes, comme on l’a vu dans le soutien jusqu’au-boutiste à Israël accusé de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et même, de plus en plus, de génocide. Cela vaut aussi pour des conflits moins médiatisés comme le soutien français au colonialisme marocain dans le Sahara occidental. On aussi vu Macron, hors de lui, dénoncer “l’ingratitude des dirigeants africains” 

Jean-Marie Le Pen, bourreau assumé des algériens, fût la face grotesque, ignoble, caricaturale, d’un colonialisme français lui toujours bien vivant, incarné aujourd’hui par le macronisme en décomposition. 

Le reaganisme de Jean-Marie Le Pen : l’hégémonie néolibérale se porte bien

Si le racisme était et est toujours le coeur du projet lepéniste, Jean-Marie Le Pen fut aussi un des importateurs en France de l’idéologie néolibérale de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, c’est-à-dire un programme de destruction de l’Etat social, de guerre de classes contre les pauvres au profit du patronat, de la bourgeoisie et du capital. 

En 1974, Jean-Marie Le Pen, à la manière aujourd’hui de Guillaume Kasbarian éphémère ministre de Michel Barnier, dénonçait un “Etat pléthorique et impuissant”. Il se qualifia lui même de “Reagan français” et fustigea “le système d’inquisition fiscale comparable à la Gestapo”. Cette admiration n’était pas que théorique et des liens réels existaient :  Jean-Marie Le Pen se rendit à plusieurs reprises aux conventions du Parti Républicain, auprès des plus ultra-libéraux des ultra-libéraux. Il y fit d’ailleurs la rencontre de Ronald Reagan lui-même
Ce néolibéralisme se traduisait par une obsession pour la dette, qui n’a jamais quitté la formation d’extrême droite, Marine Le Pen voulant un “traitement de choc”.

Jean-Marie Le Pen fut aussi un des importateurs en France de l’idéologie néolibérale de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, c’est-à-dire un programme de destruction de l’Etat social, de guerre de classes contre les pauvres au profit du patronat, de la bourgeoisie et du capital

Force est de constater que ce programme de destruction de l’Etat social, des mesures de protection des salariés et de saccage social pour rembourser les créanciers, est au cœur du projet macroniste. Bayrou est totalement aligné sur ce discours anxiogène qui vire au pathologique sur la dette. 

L’antisémitisme fanatique de Jean-Marie Le Pen excusé en raison de son racisme anti-arabes et anti-noirs

Sur l’antisémitisme le sujet est plus complexe, car il n’est pas repris telle quelle par la droite et le reste de la classe politique, mais les réactions restent révélatrices du moment. 

Jean-Marie Le Pen fut une des figures majeures de l’antisémitisme français au XXe siècle. Admirateur du troisième Reich, celui-ci faisait surnommer Adolf Hitler “tonton Dolphy” par ses enfants. Il fit éditer des disques de chanson nazies, relativisa à de nombreuses reprises la Shoah ce qui lui valu plusieurs condamnations pour négationnisme, fonda le Front National avec d’anciens collaborationnistes et d’anciens membres de la Waffen SS. Ce profond antisémitisme fut persistant tout au long de sa vie, celui-ci étant notamment proche d’Alain Soral et de Dieudonné dont il fut le parrain d’une des filles. En 2014, il disait à propos du chanteur juif Patrick Bruel qu’il faudrait en faire “une fournée la prochaine fois”.  

Jean-Marie Le Pen fut une des figures majeures de l’antisémitisme français au XXe siècle.

On peut donc être à juste titre surpris des hommages émanents de toutes parts dans la classe politique et dans les médias le jour de son décès, par les mêmes qui accusent depuis octobre 2023 d’antisémitisme tout soutien à la Palestine. 

Jean-Marie Le Pen était certes antisémite, mais bon, rappelons nous avant tout qu’il détestait les arabes

Ce moment est-de ce point de vue révélateur : notre classe politique et médiatique se fout de l’antisémitisme. La lutte contre l’antisémitisme n’est, pour ces gens, qu’un axe rhétorique pour nuire au mouvement pro-palestinien. Le soutien à Israël qui prétend être un soutien aux juifs n’est en réalité que haine coloniale anti-arabes. On pardonne ainsi à Jean-Marie Le Pen son néonazisme car son islamophobie fanatique est considérée comme à l’ordre du jour. 

Jean-Marie Le Pen est mort, mais son héritage continue de hanter et de pourrir notre pays. Sa disparition révèle l’hégémonie des idées qu’il a portées. Racisme anti-immigrés, colonialisme et ultralibéralisme : autant de piliers du lepénisme qui, loin de disparaître avec lui, se sont enracinés profondément dans la politique française, sous des formes parfois encore plus insidieuses. Le « non-événement » de sa mort contraste avec la réalité des politiques actuelles, réelles, qui prolongent et amplifient ses obsessions. Qu’il s’agisse des lois anti-immigrés, des pratiques fascisantes du pouvoir, des violences coloniales ou de la mise à mal des solidarités sociales, les combats du lepénisme se poursuivent aujourd’hui sous d’autres noms et d’autres visages. La vraie question n’est donc pas de savoir si l’on doit célébrer ou ignorer la mort de Jean-Marie Le Pen, mais de voir que son idéologie est quant à elle bien vivante. Elle survit et prospère, portée par des héritiers de plus en plus nombreux et puissants. 

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Source: https://www.frustrationmagazine.fr/jean-marie-le-pen/

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