Sur l’île de Groix, médecins libéraux et salariés travaillent ensemble pour assurer la permanence des soins. Un remède au manque de praticiens dont se relève tout juste l’île morbihannaise. Récit d’un sauvetage qui pourrait inspirer d’autres déserts médicaux.
« Alors, on n’est plus naufragés ? ! » lance la retraitée, en achetant son quotidien régional à « la librairie principale ».
En ce début d’année, un froid polaire fige Groix (Morbihan) et ses quelque 2 300 habitants permanents. C’est « la pleine basse saison », comme le dit joliment une commerçante présente depuis 40 ans sur le « caillou ».
À la faveur de la première grosse tempête hivernale, l’île morbihannaise a été privée pendant 24 heures de liaison maritime avec le continent.
De zéro médecins à neuf praticiens
Le maire divers droite Dominique Yvon a quand même maintenu la cérémonie des vœux, mais le préfet n’a pas pu faire le déplacement.
Dommage, l’édile avait des choses à lui dire. Il avait aussi prévu de lui manifester publiquement sa reconnaissance. Car, après « une période très compliquée » due à la pénurie de médecins, Groix a retrouvé de la vigueur depuis le printemps 2022.
L’île est passée de zéro médecin à neuf praticiens. Ils assurent, par roulement, la permanence des soins.
« Aujourd’hui, c’est presque un luxe, reconnaît Dominique Yvon, réélu en 2020. « Neuf médecins qui représentent cinq équivalents temps plein », précise Nicolas Riguidel, le coordinateur de l’Association pour la permanence en santé sur les îles bretonnes.
43 % de la population a plus de 65 ans
Créée en 2019 pour Houat et Hœdic afin de répondre déjà à une problématique sanitaire, cette Apsib est adossée à la Mutualité (groupe VYV).
« Heureusement qu’ils étaient là », souffle le maire. A Groix, en 2019, les personnes âgées de 65 ans ou plus représentaient 43 % de la population (données Insee). Le nombre d’affections de longue durée y est aussi supérieur à la moyenne départementale.
»L’Agence régionale de santé (ARS) nous a dit qu’il fallait se casser la figure pour repartir de zéro, commente Frédéric Delange, le président de l’Association des professionnels de santé de l’île de Groix. Des gens ont quitté l’île en raison de l’absence de médecin. Quand on est dans une situation familiale un peu compliquée et qu’on a la possibilité de rejoindre le continent, on n’hésite pas. La santé c’est la clef. »
Deux urgentistes s’emparent du sujet
Des médecins qui partent à la retraite coup sur coup. Des professionnels de bonne volonté, mais submergés par les tâches administratives, qui finissent par jeter l’éponge. Un dispositif mis en place au débotté et qui tourne court… Pendant près de deux ans, les Groisillons ont fait le dos rond.
En octobre 2021, Laurent Combes et Jean-Marc Le Gac, deux urgentistes, l’un à Pont-l’Abbé l’autre à Lorient, ont « commencé à réfléchir » à la façon de réorganiser la permanence des soins à Groix.
« Mais Que fait le maire ? Ça, je l’ai entendu je ne sais combien de fois », se souvient Dominique Yvon. En coulisses pourtant, ça cogite. » On ne voulait pas trop parler, on ne savait pas si ça allait marcher. »
Une consultante missionnée par l’ARS
Saisie, l’ARS a missionné Marie Kernec, une consultante, ancienne directrice de la clinique mutualiste à Lorient. Plusieurs scénarii ont été esquissés.
L’État a finalement validé l’option du centre de santé porté par la Mutualité. Cette solution, originale et réplicable dans l’absolu, associe médecins salariés et libéraux. « Il faut être capable de tout faire » reconnaît le Dr Combes.
« Trois professionnels sont présents du lundi au samedi au centre de santé – la Maison de santé que la mairie a fait construire et qui est opérationnelle depuis 2 ans (N.D.L.R.), détaille Nicolas Riguidel. Tous les jours de la semaine, à partir de 18 h, le praticien de garde prend le relais. Un médecin assure les consultations le samedi matin. Puis, à compter du samedi midi et jusqu’au lundi 9 h, l’astreinte, régulée par le 15, est en place. » L’été, compte tenu de l’afflux touristique, l’effectif médical passe à quatre praticiens par jour.
Un homme victime d’un AVC évacué à temps
Et ça marche. A la mi-janvier, à 5 h du matin, un Groisillon victime d’un AVC a été pris en charge par le médecin de garde après l’appel de l’épouse au 15. L’homme a été transporté jusqu’à Lorient par la SNSM.
« Il y a deux ans, sans médecin sur l’île, peut-être que ce monsieur serait mort », avance Nicolas Riguidel. Durant cette pénurie, « les paramédicaux ont marché sur des œufs pour qu’il n’y ait pas de rupture, appuie l’un d’entre eux. Même hors saison, il y a de l’activité car il y a du monde sur l’île. »
Aujourd’hui, les médecins qui assurent à tour de rôle la garde disposent de logements au-dessus de la maison de santé, mis à leur disposition par la mairie.
En milieu isolé
« Il n’y a pas beaucoup de différence entre Groix et un village des Alpes, constate Nicolas Riguidel, chargé de rédiger un rapport sur l’expérimentation groisillonne. On est dans un milieu isolé. Le dispositif attire des médecins rassurés par le fait d’exercer au sein d’une structure. Il offre aussi une variété de tâches, de la médecine générale de suivi classique à la petite urgence. »
A la Librairie principale, on apprécie enfin de pouvoir consulter sur l’île. « C’est mieux qu’avant, mais ce n’est pas encore ça, juge quand même une cliente. Ça reste assez difficile d’avoir un rendez-vous. Et ici, il y a beaucoup de personnes âgées qui doivent être suivies… Certains généralistes rechignent à renouveler les ordonnances et renvoient vers les spécialistes à Lorient. Quand on sait le temps qu’il faut pour avoir un rendez-vous… »
« Pas toujours affaire au même docteur »
La question du médecin traitant contrarie aussi des patients. « On n’a pas forcément toujours affaire au même docteur », déplore Florence, alerte quinquagénaire.
« C’est un changement de mentalité, relativise le maire. Avant, c’est vrai, les gens avaient leur médecin attitré. Aujourd’hui, le dossier médical est partagé entre les professionnels de santé. L’essentiel est d’être soigné. Les médecins aussi ont changé leur façon d’exercer le métier, ils ne veulent plus travailler 70 heures par semaine. »
Conscient de faire des envieux, notamment parmi ses collègues insulaires, Dominique Yvon est intervenu récemment lors d’un colloque pour évoquer l’expérimentation sanitaire en cours sur son île. « Si on voit que ça marche, on donnera les clefs », assure Nicolas Riguidel.
Bientôt de la radiologie
Parce qu’« il y va de l’intérêt général », le maire de Groix pense déjà à étoffer l’offre médicale du « caillou », notamment avec un service de radiologie.
C’est prévu pour fin 2023, en principe. D’ici là, probablement au printemps, les médecins disposeront du matériel nécessaire aux bilans biologiques.
« C’est compliqué d’évacuer des patients vers le continent, appuie le Dr Combes. Tout ce que l’on pourra faire sur place, ce sera bien. Mais pour cela, il faut des moyens et de la formation. Parmi les neuf médecins qui interviennent à Groix, l’une passe son DU de pédiatrie, l’autre de gynécologie médicale, un troisième se forme à l’addictologie. »
L’urgentiste n’exclut pas la participation de partenaires privés au financement de ce système de santé insulaire et atypique.
Catherine JAOUEN.