Marins dans la tempête en pays de Brest : Jean-Paul Hellequin, cuistot tout terrain vers les bancs de Terre-Neuve (LT.fr-16/08/22-

Jean-Paul Hellequin a été marin-cuisinier à la grande pêche, où les tempêtes étaient monnaie courante. Il a choisi de nous raconter la tempête de l’hiver 1974 et une interminable montée vers les bancs de Terre-Neuve.
Cuistot à bord d’un bateau ? Au moins aussi important que le capitaine ! Et a fortiori quand ça piaule, lorsque les estomacs sont malmenés et les organismes fatigués. Jean-Paul Hellequin, cuisinier à bord d’un navire de grande pêche, revient sur 22 jours de tempête pour atteindre Terre-Neuve. Quatrième épisode de notre série « Marins dans la tempête en pays de Brest ».

Avant d’être le tenace président de l’association Mor Glaz, à Brest, Jean-Paul Hellequin a travaillé sur les bateaux de pêche et à bord des remorqueurs des Abeilles en tant que cuisinier. Le gros temps, il connaît. Il en a bouffé autant qu’il a su nourrir les équipages malmenés dans la tempête. L’interminable coup de tabac qu’il choisit de nous raconter remonte à l’hiver 1974. Son navire usine le Victoria vient de quitter Bordeaux, le 25 novembre 1974. Direction les bancs de l’Atlantique nord pour faire le plein de morue.

À la cape, sans progresser

100 m de long, 52 marins à bord. Le chalutier pêche arrière est habitué au très gros temps. Il lui faut en général cinq à six jours pour toucher le premier banc de pêche. Mais, cette année-là, il lui faudra vingt-deux jours avant démarrer sa campagne de pêche !

Jean-Paul Hellequin est à la grande pêche depuis 1967. Des coups de vent, il a en croisé un certain nombre. Mais la suite de dépressions que le Victoria doit affronter, cet automne 1974, est sans commune mesure. Le vent et la mer sont tellement forts que le bateau est ralenti dès sa sortie de l’estuaire de la Gironde. Au mieux, il progresse vers le nord à quelques nœuds. Le plus souvent, le commandant doit mettre à la cape et faire le dos rond dans la houle et la furie de temps.

Quartier de bœuf à l’avant

Et pendant ce temps qui s’écoule durant trois interminables semaines, il faut faire à manger à un équipage secoué qui ronge désespérément son frein. « La grande pêche, c’est un milieu particulier. Ce sont des gars qui sont là pour faire de l’argent ». Alors quand ça ne pêche pas, le moral est dans les chaussettes. C’est là que le rôle du cuistot revient une nouvelle fois sur le devant de la scène. Quand on attend, quand on se fait secouer et que l’on fait du surplace, bien manger ça devient essentiel.

Pendant ces 22 jours de transit, il a fallu se démener en cuisine, faire plaisir et réussir à travailler dans des conditions plus que sportives. « Je me souviens quand il fallait chercher un quartier de bœuf à l’avant, en traversant une bonne partie du bateau bringuebalé dans tous les sens. Les frites avec l’huile bouillante en pleine tempête, on continuait à en faire ! Fallait pas se blesser et attaquer les manip les plus délicates quand le bateau était face à la lame. Quand il virait de travers avec des coups de roulis pas possibles, valait mieux anticiper en cuisine et se cramponner ».

Péché mignon après le quart

Même si ça ne pêche pas pendant ces 22 jours de mer en furie, il faut nourrir l’équipage, des gaillards qui préparent les filets et le matériel pour la marée qui s’éternise. « Ils ont tout le temps faim. Alors je les soigne avec des plats qui tiennent au corps, essentiellement de la viande puisqu’on ne pêche rien (habituellement, seulement deux à trois plats de poisson en semaine) ».

À bord, ça mange toutes les six heures, sans compter les sandwiches et les petits extras. Du novice au commandant, tout le monde mange la même chose?. « On fait des crêpes en plus du pain que sort tous les jours le boulanger. Quand on pêche, je prépare à ceux qui m’en apportent la langue et les lèvres de morue, leur péché mignon qu’ils dégustent après leur quart ». Même si c’est la guerre en cuisine, le cuistot s’efforce de bien présenter les plats présentés en carré, jauger la quantité de sauce en fonction du roulis. Particulièrement au fond des gamelles de plus d’un mètre de haut qui mijotent en cuisine !

340 jours de mer entre 1971 et 1972 !

Chaque jour, il faut sortir autour de 200 litres de café. En plus du vin servi à table. Pour une campagne pouvant durer plusieurs mois, on embarquait des centaines de litres de vin que l’on pouvait consommer à chaque repas. « Heureusement que les choses ont changé sur les bateaux ! ».

Les campagnes pouvaient durer des mois. « Entre juin 1971 et juin 1972, j’ai dû passer 340 jours de mer ! Et toujours à cuisiner du mieux que je pouvais. Quand je suis passé de la grande pêche aux remorqueurs, j’ai eu du mal à baisser le niveau de calories ». Évidemment sur les Abeilles, c’était tout aussi sportif sur le pont comme en cuisine !

Stéphane Jézéquel

source: https://www.letelegramme.fr/dossiers/marins-dans-la-tempete-en-pays-de-brest/marins-dans-la-tempete-en-pays-de-brest-jean-paul-hellequin-cuistot-tout-terrain-vers-les-bancs-de-terre-neuve-16-08-2022-13149901.php

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