Mégabassines : «Une parodie de procès», selon les opposants (reporterre-29/11/22-14h09)

Devant le tribunal de Niort, pendant le procès des antibassines, un faux procès s’est déroulé avec les visages des «40 voleurs d’eau », dont celui d’Emmanuel Macron. Le 28 novembre 2022 à Niort

Cinq militants interpelés lors de la manifestation contre la bassine de Sainte-Soline ont été condamnés le 28 novembre à entre deux et trois mois de prison avec sursis. Ils ont déserté leur procès dès le début de l’audience.

Niort (Deux-Sèvres), reportage

C’est un procès déserté par ses prévenus qui s’est tenu lundi 28 novembre au tribunal de Niort. François B., David et Jean H. ainsi que Julien M. comparaissaient pour avoir pris part à la manifestation contre la bassine de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, le 29 octobre dernier. Ils étaient accusés de « participation à un groupement en vue de commettre des violences ou dégradations de biens ». Cette mobilisation contre ces gigantesques réserves d’eau dédiées à l’agriculture industrielle avait été fortement réprimée, avec près de soixante blessés parmi les manifestants et six gardes à vue. Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci.

Dès l’ouverture de l’audience, l’avocat des prévenus, Alexis Baudelin, a demandé le report du procès afin de mieux préparer la défense. « Je reprends les mots du ministère public tenu lors de la comparution immédiate [1]. Il souhaitait faire de ce procès un exemple pour montrer qu’on ne manifeste pas impunément. Or, nous ne voulons pas d’un procès expéditif où l’on va se contenter de contester l’infraction reprochée. Nous souhaitons montrer à toutes ces personnes que leur lutte est légitime. Car lorsqu’on manifeste contre un projet écocidaire mené par des criminels climatiques, il peut s’avérer nécessaire de s’y opposer, c’est un état de nécessité. »

L’avocat a également pointé l’absence de l’un des cinq prévenus, Robin [*], blessé à la tête par un tir de LBD durant la manifestation et toujours souffrant. Signalons également l’absence de la seconde avocate des prévenus, Hanna Rajbenbach. Devant le tribunal de Niort, le 28 novembre 2022.

« Nous allons quitter la salle »

Cette demande de renvoi a été rejetée par le tribunal, qui a estimé que la défense avait eu largement le temps de préparer les éléments nécessaires. L’avocat des prévenus s’est alors emporté : « Ce procès va être une parodie, nous allons quitter la salle. » Les quatre prévenus présents ainsi que l’ensemble de leurs soutiens ont ainsi déserté le tribunal. « Il y a une forme de pression pour juger vite et rapidement. Trois semaines pour préparer un procès comme celui-là, ce n’est pas suffisant pour s’accorder sur une stratégie, trouver les témoins », a déclaré Alexis Baudelin devant la foule de militants venue soutenir les prévenus.

Julien M., l’un des prévenus, a renchéri : « Je lance mon activité professionnelle en ce moment, j’ai à peine eu le temps de discuter avec mon avocat. Nous juger ainsi, ce n’est pas juste. » L’homme exerce le métier de foreur et a déjà mesuré le niveau de centaines de nappes phréatiques. Il connaît particulièrement bien le sujet des bassines. « C’est mon métier et je sais que nous avons affaire à un accaparement de l’eau. Cela pose les jalons pour une future privatisation de la ressource. » À la sortie du tribunal et dans l’attente du jugement, l’avocat de la défense a annoncé que la lutte ne s’arrêterait pas là et a scandé « No bassaran ! » (« Bassines, non merci »), repris en choeur par la foule.

À ses côtés sur le banc des prévenus, François B., un ex-prof de sport de 66 ans, n’avait jamais vu une telle répression en manifestation, malgré ses nombreuses années de militantisme, notamment chez Attac. « J’étais dans un cortège très tranquille, avec les familles et les enfants. On faisait des farandoles. Pourtant, nous avons essuyé beaucoup de gaz lacrymogènes. Pour les éviter, je me suis écarté du groupe. Je n’ai pas été très malin, car c’est à ce moment que j’ai été arrêté. »

Une arrestation suivie d’une garde à vue de 48 heures, comme pour les autres prévenus. François B. estime ainsi que la justice utilise tous les moyens possibles pour « faire taire les opposants aux bassines ». Amendes en série, interdictions de manifestations, surveillance des militants et mobilisation de la section de recherches de Poitiers, une unité de la gendarmerie exerçant des missions de police judiciaire visant habituellement la criminalité organisée comme l’explique Libération. Mediapart a également dévoilé une circulaire du garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, qui appelle à « une réponse pénale systématique et rapide » contre « les infractions commises dans le cadre de contestations de projets d’aménagement du territoire ».

Cette consigne semble avoir été suivie à la lettre par le tribunal de Niort. Un peu dépité par le départ des prévenus, le juge a quand même poursuivi l’audience. « Le fait que la défense ne soit pas là, c’est inconfortable. Mais je veux montrer que le tribunal a préparé avec le sérieux requis, car c’est notre devoir de montrer les éléments à charge et à décharge. » Il a surtout diffusé de nombreuses photos des altercations entre les manifestants et les forces de police et de gendarmerie. À plusieurs reprises, il s’est adressé aux journalistes — dont une bonne partie est sortie du tribunal en même temps que les prévenus — pour savoir s’ils avaient eu le temps de voir tous les éléments défilant sur les écrans. Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci, devant le tribunal de Niort.

« Vous ne convoquez pas ceux qui ont fait ces violences »

Il a également écouté le témoignage d’un témoin cité par la défense. Il s’agit d’André Puygrenier, un ancien faucheur d’OGM. À la barre, l’homme de 85 ans n’a pas la langue dans sa poche. Dans un émouvant témoignage, il a rappelé la « nécessité de la désobéissance civile », s’appuyant sur son expérience de faucheur. Il s’est également indigné du sort réservé aux manifestants. « Vous parlez de violences, mais vous ne convoquez pas ceux qui ont fait ces violences. »

Le juge l’interroge notamment sur la présence d’un « black bloc », dont les participants auraient jeté des pierres et lancé des feux d’artifice en direction des forces de gendarmerie. « Je me demande si ces gens venaient vraiment pour l’écologie ? On peut estimer que leur violence délégitime votre action. » Mais André Puygrenier ne s’est pas laissé démonter : « Il y a eu beaucoup de manifestations où nous avons été gentils. Si on avait écouté les gens à ce moment-là, on aurait pu remettre en cause le projet. C’est malheureux d’avoir à dire que la violence permet à ces sujets d’être débattus. » Le procès populaire des 40 voleurs d’eau s’installe devant le tribunal. Cette mise en scène fera comparaître 40 bassineurs et bassineuses devant un tribunal d’animaux.

Après ce seul et unique témoin, le procureur de la République Nicolas Leclainche a fait son réquisitoire en balayant d’emblée les motifs écologiques de la manifestation : « Ces questions liées au dérèglement climatique et à la protection de la biodiversité sont louables et légitimes. Mais ce n’est pas l’enjeu aujourd’hui. Dans un tribunal, on juge s’il y a eu ou pas une infraction pénale. » Pour lui, si les prévenus n’avaient pas l’intention de commettre des violences à titre individuel, ils ne pouvaient pas ignorer qu’ils participaient à un regroupement en vue de commettre des violences ou des dégradations de biens.

Selon le procureur, les intentions des organisateurs de la manifestation étaient claires, détaillées notamment dans leur communiqué de presse. Et la tournure prise par les évènements démontrait les velléités de certains participants. « Quand on voit gens des cagoulés commettre des mouvements guerriers, cela explique clairement que ces personnes avaient l’intention de commettre des violences. » Il a requis une peine de quatre mois de prison avec sursis simple, ainsi qu’une interdiction de séjour dans le département des Deux-Sèvres pour cinq ans. Des réquisitions suivies presque à la lettre par le juge, qui a condamné les prévenus entre deux et trois mois de prison avec sursis simple, ainsi qu’une interdiction de séjour de trois ans dans le département. De nombreuses personnes sont venues soutenir les prévenus à Niort, le 28 novembre 2022.

Dans un communiqué de presse, les avocats des prévenus ont assuré qu’ils feraient appel. « Il y a là de toute évidence un empressement à faire des “exemples” afin de décourager tout un chacun·e de se rendre à des manifestations, pourtant suivies à chaque fois plus massivement. Ce refus de renvoi, cette condamnation sont les signes d’un gouvernement aux abois, et d’une justice aux ordres. »

Laury-Anne CHOLEZ et Yoan JÄGER (photographies)

source: https://reporterre.net/Mega-bassines-une-parodie-de-proces-selon-les-opposants

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