Infirmière à la retraite depuis 2017, Maryse Honoré transforme le temps qu’elle avait pour les autres en pages d’écriture. Après deux romans sur le thème des pratiques soignantes, elle vient de publier son 3e livre. Tristement inspiré par plusieurs parcours de femmes de son entourage, Une Vraie Sainte-Nitouche ! aborde le thème des violences conjugales.
Entretien
Maryse Honoré, auteure du roman Une vraie sainte-nitouche ! et ancienne infirmière en pédopsychiatrie, pendant trente ans.
Vous publiez Une vraie sainte-nitouche, chez L’Harmattan. Où se situe ce livre dans votre parcours d’auteure ?
C’est mon troisième livre et roman. Comme les précédents, c’est une fiction, mais il relève bien plus de l’intime que les autres. Les deux précédents, Quand il fêtera beau ! Quand il fêtera chaud ! et Si la Clis m’était contée, parlaient de pratiques soignantes ou comment trouver du sens à son métier. Là, on touche à une histoire personnelle forte et au problème des violences au sein du couple. Celle de Julie, infirmière à Brest.
Pourquoi avoir choisi ce délicat sujet des violences conjugales ?
J’ai accompagné deux amies qui ont été victimes de telles violences, dont une il y a vingt ans. J’ai gardé des liens. On s’est rappelées il y a quelque temps. Elle était à nouveau en difficulté avec la personne qui l’avait fait fuir. En remettant le nez dedans, elle m’a confié qu’elle aurait aimé pouvoir l’écrire et m’a demandé si, moi, je me sentais de le faire.
Lourde responsabilité…
Autant dire qu’au début, je ne voyais pas bien comment faire. Ce qui m’inquiétait, c’était de raviver et de mettre à mal cette histoire. J’ai d’abord proposé un extrait.
Mathilde, l’amie qui accompagne Julie dans le roman, ne serait-elle pas Maryse ?
(Rires) Oui, je suis Mathilde. Par moments. Mais je n’ai pas été la seule. Mathilde, ce n’est pas moi exclusivement.
Malgré des mots pesés, votre récit décrit des scènes violentes. C’est nécessaire d’amener le lecteur à cela ?
Ce que j’écris est édulcoré, la réalité est bien plus violente. Ce livre est un témoignage, pas un reportage. Si l’histoire de Julie relève de la fiction, pour des raisons évidentes de confidentialité, les événements qui se sont passés sont réels. Le récit est condensé et percutant pour donner du rythme, mais je n’invente rien de cette histoire. Surtout pas les situations d’accompagnement de la victime, qui ne sont pas à la hauteur.
Vous critiquez fortement des institutions. Un choix militant malgré des expériences qui remontent à vingt ans ?
Féministe dans l’âme, je ne suis pas dans une démarche militante. Dans mon expérience, tous ceux qui étaient prétendument capables de soutenir les victimes, c’est-à-dire le soin, la police, le social, le judiciaire et l’entourage ne l’ont pas fait. On a entendu des choses aberrantes.
C’était il y a vingt ans. Les situations n’ont-elles pas évolué depuis ?
La dernière fois que j’ai eu l’occasion de vérifier les capacités d’accompagnement des instances, c’était il y a environ cinq ans, et je dirai que ça n’avait pas tellement évolué. Je ne dis pas que c’est facile et je ne jette pas la pierre aux personnes mais c’est inquiétant.
Heureusement, depuis MeToo et l’action de plusieurs groupes féministes, je pense que les choses sont en train d’évoluer et la parole se libère. Mais de ce que j’en ai vu, c’est souvent la victime qui est bien plus ciblée que l’agresseur. Les institutions continuent de porter la domination masculine.
Vous dites, en substance, que les entourages ne sont pas capables d’accompagner les victimes ?
Ce sont des situations qui peuvent un temps fasciner, surprendre et intéresser. Au bout d’un moment, ça peut créer un désagrément d’entendre une personne parler de ses problèmes qui durent. Vient alors le rejet et la mise à distance. Les gens qui pouvaient écouter se lassent. Souvent, des proches vont se dire que, finalement, si la personne est dans cette situation c’est qu’elle n’y est peut-être pas pour rien. C’est défensif. Des histoires comme celle de Julie, ça envahit trop et ça dérange.
Deux victimes dans votre entourage proche, c’est une affaire de milieu ou d’écoute ?
Pour cette amie dont je raconte l’histoire, il se trouve que c’est moi qui ai repéré ce qui n’allait pas. Je n’ai pas pu m’en défaire et c’est ce qui a permis à cette amie de se confier. Il faut qu’il y ait ce possible et cette rencontre. Que la parole circule, c’est déjà beaucoup.
Faute d’éradiquer les violences, quels sont les leviers pour une meilleure prise en charge des victimes ?
Il faudrait que les victimes, qui ont aujourd’hui plus d’outils pour se signaler, trouvent des gens vraiment formés et dans l’empathie face à elles. Quand ça marche, c’est un sacré coup de bol.
Je crois pour cela beaucoup dans les générations à venir. Les jeunes femmes d’aujourd’hui ont l’air de s’autoriser des choses, font des choix de vie et sont moins soumises au patriarcat. C’est peut-être marginal mais je crois beaucoup en leur capacité à inventer.
À qui s’adresse ce récit ?
À tout un chacun. Pour qu’on se pose tous des questions, pour ne pas être dans le jugement ou pour ne pas accepter que ces affaires de violences relèvent du domaine privé du couple. Entendre que la femme serait l’objet de l’homme, c’est assez banal.
« Mon travail m’a habituée à me mettre à la place de la personne qui souffrait »
Infirmière en pédopsychiatrie pendant trente ans, Maryse Honoré a aussi été conteuse thérapeutique et marionnettiste. « J’ai toujours été habituée à me mettre à la place de la personne qui souffrait ou qui ne pouvait pas se défendre. Ces livres sont, en quelque sorte, un prolongement de cette manière de faire mais d’une façon plus légère et sans le jargon médical, pour le rendre accessible au plus grand nombre. Une façon aussi d’ouvrir les portes des hôpitaux psy pour enfants qui sont assez méconnus. »
Passée par plusieurs structures du Finistère-sud, elle a travaillé auprès des enfants, âgés de 2 à 16 ans et présentant des troubles psychiques divers. « Des enfants empêchés d’accéder à la parole, à la communication, empêchés d’apprendre, présentant une anorexie, une phobie scolaire ou des troubles autistiques. C’est vaste. »
Ses deux premiers ouvrages évoquent ces univers. « Comme une transmission pour rendre hommage à mes collègues et aux familles qui nous ont permis d’imaginer des choses autour des médiations thérapeutiques », explique l’auteure.
Des livres qui disent aussi l’importance du sens et de l’humanité que l’on met dans son travail. « Ma démarche en partant à la retraite était de témoigner d’une pratique soignante humaniste à laquelle j’étais attachée. »
Humaniste ? « Ça veut dire prendre autant de temps que les enfants et leurs familles en ont besoin et prendre du temps aussi pour les réunions. Ce travail de réflexion et à plusieurs était essentiel pour nous mais il a glissé vers plus d’administratif. Des temps d’hospitalisation plus court où il fallait toujours mettre les enfants plus vite sur les rails. »
Une vraie sainte-nitouche !, de Maryse Honoré collection Les Impliqués, chez L’Harmattan. 13 €
Propos recueillis par Carole TYMEN