Depuis le drame, il y a bientôt cinq ans, jamais la mère de Steve Maia Caniço, jeune homme retrouvé mort en Loire en 2019, à Nantes, après une opération de police controversée, ne s’était exprimée. La récente promotion du commissaire alors chargé du dispositif, l’a incitée à sortir du silence. À ses yeux, l’annonce de cette nomination traduit notamment « un manque de respect vis-à-vis de la famille » du défunt.
Par Anne-Hélène DORISON (Presse Océan)
Jamais encore elle ne s’était exprimée.
Béatrice [afin de se protéger, elle n’a pas souhaité voir ici publié son nom de famille], la mère de Steve Maio Caniço décide aujourd’hui de sortir du silence, près de cinq ans après la mort de son fils. L’annonce récente de la promotion du commissaire de police renvoyé devant le tribunal correctionnel le 10 juin pour homicide involontaire
l’y a incitée. Cette nomination les indigne
, elle et sa famille.
« Ça fait cinq ans qu’on est silencieux. Mais là, c’est trop »
Apprendre ça, ça a été très dur. Pour nous, c’est un manque total de respect vis-à-vis de la famille
, souffle cette femme discrète aux yeux clairs, rencontrée ce vendredi après-midi dans le cabinet de son avocate, Me Cécile de Oliveira. Ça fait cinq ans qu’on est silencieux. Mais là, c’est trop. Ce commissaire est toujours en poste. Il porte toujours un uniforme. Et en plus, alors qu’il doit rendre des comptes judiciaires, il se retrouve numéro 1 de la police, dans une circonscription comme Lyon, comme si rien n’existait… Pour nous, c’est aussi une provocation vis-à-vis de la Justice.
« Ce procès va être très compliqué je pense »
Le procès… Unis et solidaires
, Béatrice, le père et les frère et sœurs du défunt l’attendent autant qu’ils le redoutent. Ça fait cinq ans qu’on s’y prépare mais on n’est jamais vraiment prêt
, confie-t-elle. On réaffirme notre engagement, nous la famille, à obtenir justice pour Steve. Mais ce procès va être très compliqué je pense. Nous retrouver face à lui, dans un cadre complètement inhabituel pour nous, notamment, va être difficile… Mais il est grand temps qu’il puisse s’expliquer sur les responsabilités qu’il avait ce soir-là.
L’« incroyable travail du juge et des experts »
L’attente fut longue. Mais Béatrice n’a pas oublié le fort soutien
manifesté par tous ces anonymes, lors des marches blanches organisées après la mort de son fils. Cela nous a fait chaud au cœur.
Et puis, elle le mesure aujourd’hui, un travail incroyable
a été fait dans ce dossier, par le juge et par les experts
(qui ont notamment réussi à faire parler le téléphone de la victime qui avait pourtant séjourné des semaines dans l’eau, n.d.l.r.). Elle a lu une partie du dossier. C’est compliqué de relire tout ça, bien sûr, mais on en a besoin, d’avoir ça en tête, surtout avant le procès
, explique la mère de Steve. À l’issue de l’instruction, elle a le sentiment d’avoir obtenu beaucoup de réponses, tant les investigations ont été nombreuses. Elle espère désormais simplement une reconnaissance
(de la part du prévenu).
« Je maudissais cette Loire »
Au procès, elle aimerait prendre la parole pour dire au commissaire que son fils était un gentil
. Steve n’aurait pas fait de mal à une mouche. C’était un peureux de nature. Tout ça, je voudrais le lui dire…
Béatrice sèche ses larmes et reprend : Je voudrais lui dire aussi que je n’ai pas franchi les ponts de la Loire pendant je ne sais pas combien de temps. Parce que j’y arrivais pas. Je maudissais cette Loire.
▶Un passionné de musique
La nuit du drame, Steve Maia Caniço dansait sur le quai Wilson, à Nantes. Il participait à une soirée techno organisée à l’occasion de la Fête de la musique. Un moment qu’il n’aurait manqué pour rien au monde : la musique, c’était sa bulle, sa passion, son lâcher-prise. À 24 ans, Steve travaillait dans l’animation périscolaire au sein de l’école publique Alexandre-Vincent, à Treillières, où il résidait depuis quelques années. Tous ses amis ont loué sa joie de vivre
, sa détestation du conflit et des embrouilles
et son pacifisme – sa famille ne lui connaît aucun engagement politique et seulement une manifestation, en faveur des free parties
. Ses proches ont également évoqué sa générosité.
▶« Une communication catastrophique »
L’annonce de cette nomination, je pense que c’est vraiment une communication catastrophique », estime Me De Oliveira, avocate de la famille. Dans un contexte où la sécurité publique est vraiment dans les premières préoccupations, le ministère de l’Intérieur envoie un message très fort aux policiers et aux syndicats de police au travers d’affaires judiciaires comme celle de Steve. Ce message, c’est : on vous soutiendra, quoi qu’il se passe, donc n’ayez pas la moindre crainte sur la réaction de la hiérarchie. Lors du procès, j’entends d’abord défendre la famille et la mémoire de Steve mais il y a quand même évidemment des questions qui se posent sur les méthodes policières en France et les réactions d’un ministre qui se considère comme devant envers et contre tout défendre les actions policières. Je pense que la police et le ministère de l’Intérieur gagneraient beaucoup à reconnaître une erreur, une faute, une infraction. Là, on a à mon avis une infraction.
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