Morvan Lebesque : l’embarrassant hommage à un collaborationniste breton(Blog de Simon Férelloc- 14/12/22)

Maurice LEBESQUE
Ce 29 novembre, le député (FI) Hadrien Clouet a alerté le gouvernement : « partout dans notre pays, des rues portent le nom de nazis français » et a appelé à « rebaptiser ces intitulés infâmes qui abîment le pays ». Cette initiative salutaire devrait attirer l’attention sur le cas de Morvan Lebesque. Derrière cette personnalité régionale se cache une trajectoire politique sinistre.

S.F.

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Lettre ouverte au recteur d’académie de Rennes, au maire de Mordelles, aux conseillers de la région Bretagne et du département de la Loire-Atlantique

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Ce 29 novembre, le député (FI) Hadrien Clouet a alerté le gouvernement : « partout dans notre pays, des rues portent le nom de nazis français » et a appelé à « rebaptiser ces intitulés infâmes qui abîment le pays ». Cette initiative salutaire devrait attirer l’attention sur le cas de Morvan Lebesque dont le nom a été donné à un collège à Mordelles (35) tandis qu’à Quimper (29), celui-ci a été tenu à l’écart en raison de son passé collaborationniste.

Morvan Lebesque est aujourd’hui connu pour être l’auteur d’un ouvrage consacré à l’identité bretonne qui fut un succès de librairie lors de sa publication en 1970. Mais derrière cette personnalité régionale se cache une trajectoire politique sinistre. En effet, avant de devenir une figure du mouvement culturel breton de l’après-guerre, M. Lebesque s’est d’abord investi sur un terrain beaucoup plus politique. Né à Nantes en 1911, celui qui s’appelle alors Maurice Lebesque épouse pleinement la cause de l’emsav (l’autre nom du « mouvement breton ») en rejoignant le Parti Autonomiste Breton (PAB) dès 1928. Par la suite, il évolue dans la frange la plus réactionnaire du mouvement en quittant le PAB pour adhérer au Parti Nationaliste Intégral de Bretagne (PNIB) en 1931.

À l’époque, aucun militant politique n’ignore ce que signifie le « nationalisme intégral ». C’est le nom de la doctrine forgée par l’écrivain Charles Maurras, fondateur du journal d’extrême-droite L’Action française qui alimente largement la haine des Juifs et de la République durant l’entre-deux-guerres. Au sein du groupusculaire PNIB, Lebesque est nommé « délégué général à la propagande » et écrit dans la revue Breiz da zont (« Bretagne à venir ») dont les membres « se réunissaient sous l’étendard de la croix gammée ». Dans le numéro 4 de cette revue (mars 1931), le PNIB affirme son objectif d’empêcher « le virus bolcheviste de s’établir en Bretagne et à en chasser la peste judéo-maçonnique introduite par l’influence française ». Lebesque lui-même désigne les Juifs comme faisant partie des ennemis de son combat dans un article paru au printemps 1931.

À partir de 1932, Lebesque gagne Paris et ne s’investit plus directement dans le mouvement breton jusqu’à un bref passage à la rédaction de la revue pro-allemande, nationaliste bretonne et antisémite L’Heure Bretonne en 1940. Lebesque la quitte rapidement mais il rejoint quelques mois plus tard le journal Je suis partout dirigé par Robert Brasillach. Il s’agit de l’une des publications collaborationnistes les plus influentes de la France occupée. Lebesque y signe des chroniques littéraires et artistiques qui côtoient l’antisémitisme criminel de rédacteurs applaudissant les rafles de Juifs en France.Après-guerre, le nationalisme breton est discrédité en raison de l’engagement massif de ses cadres dans la Collaboration. Lebesque lui n’est pas inquiété. En 1952, il entre au Canard Enchaîné où il publie des centaines de chroniques jusqu’à sa mort en 1970.

C’est à cette époque qu’apparaît le Morvan Lebesque que la postérité a retenu : un intellectuel de gauche anticolonialiste et antiautoritaire, hostile à la Vème République, aux gaullistes et aux communistes. Lebesque est un compagnon de route de la nouvelle gauche et il s’enthousiasme pour Mai 68. Ce moment politique est pour lui l’occasion de renouer avec son engagement initial et de publier l’essai Comment peut-on être breton ?. C’est l’écho rencontré par cet ouvrage qui lui vaut d’avoir aujourd’hui un collège à son nom à Mordelles, mais aussi de nombreuses rues à Brest, Lorient, Saint-Brieuc, Rennes, Nantes… Mais pas à Quimper. Le conseiller municipal (PCF) Piero Rainero ayant indiqué en 2005 que l’appartenance de Lebesque à des publications antisémites et collaborationnistes interdisait, à ses yeux, d’accoler son nom « à ceux de résistants qui ont combattu pour la liberté ». 

À la lumière de ces faits, aucun doute ne peut subsister sur l’identité politique qui était celle de M. Lebesque : celle d’un nationaliste breton collaborationniste. Son combat s’est appuyé sur la détestation des Juifs et de la France républicaine. Contre l’universalisme hérité de la Révolution, il a choisi l’ethnisme et le racisme de la réaction. En janvier 1932, il fit le serment de lutter pour « l’établissement […] de l’État breton social nationaliste » et il s’engagea au côté des collaborationnistes pendant les années d’occupation allemande. M. Lebesque n’a jamais assumé ni réprouvé son passé fasciste. Il s’est contenté de l’édulcorer, voire de le réécrire, en particulier dans son fameux essai. Aussi, on ne peut qu’être surpris par le nombre de municipalités dans lesquelles cet homme est aujourd’hui honoré. Plus encore, il paraît incompréhensible qu’il le soit dans un collège public. En France, l’école est le lieu formateur de notre citoyenneté commune. Un lieu qui ne saurait d’aucune manière rendre hommage à un individu qui s’est activement engagé pour détruire tous les principes de liberté, d’égalité et de fraternité.

La Bretagne a droit au travail de mémoire républicain que M. Clouet appelle justement de ses vœux. Bien sûr, il ne s’agit pas de pointer du doigt les villes qui ont pu intégrer Morvan Lebesque parmi leurs odonymes. Son nom a sans doute été retenu en toute bonne foi et en toute ignorance de ce qu’il a vraiment été. C’est pour cette raison qu’il est d’autant plus nécessaire d’alerter les élus et d’informer le public. Les collectivités territoriales de Bretagne et de Loire-Atlantique ne peuvent pas continuer à honorer le nom et l’héritage d’un homme qui s’est engagé dans un autonomisme dirigé contre la France, contre la République et contre ses valeurs d’universalisme et de fraternité.

Étudiant en master d’histoire ayant grandi à Rennes, à 20km du collège de Mordelles, je demande aux élus régionaux et locaux d’agir pour que celui-ci ne porte plus le nom de Morvan Lebesque. En lieu et place, la commune et le rectorat pourraient décider d’honorer un résistant originaire de l’Ille-et-Vilaine, dont le nom pourrait être choisi de concert avec les historiens de la Résistance et les associations d’anciens combattants. Cela permettrait de rappeler que la Bretagne fut un des hauts lieux de la lutte contre l’occupation allemande et la collaboration du régime de Vichy. Une lutte pleinement républicaine.

Simon Férelloc

Annexes :

Annexe 1 « La doctrine du social nationalisme breton » selon Morvan Lebesque. Extraits :

« Or, nous Bretons, […], nous avons pris fait et cause pour l’un des deux courants d’idées opposées : le social-nationalisme (localement appelé fascisme). Tel est notre droit, je suppose ! […]

Le boulangisme, le nationalisme ont été des formes du fascisme. Il leur a manqué l’esprit de la victoire et une doctrine comportant la solution du problème social.

L’objectif essentiel du fascisme, dans toute l’Europe, est de créer, sous le nom républicain, royaliste ou impérial, l’État politico-économique, syndical et corporatif qui doit remplacer l’État parlementaire périmé. […]

Les deux révolutions procèdent d’une constatation de la décadence politique et économique de la bourgeoisie. La révolution bolcheviste a échoué parce qu’elle a nié un des principaux moteurs de l’activité humaine, la propriété. La révolution fasciste a réussi parce qu’elle a fait rentrer dans la discipline nationale les titulaires de la propriété. L’une et l’autre révolution ont fait appel, dans le même esprit, au prolétariat. Mais Lénine a supprimé les bourgeois : c’est la cause de son échec. Mussolini les a utilisés pour la grandeur : c’est la cause de sa réussite. […]

À Rome, un État national, fortement établi au-dessus de la bourgeoisie, ayant de larges appuis paysans et ouvriers, limite et dirige vers la grandeur l’action économique et sociale de la bourgeoisie italienne. […]

Ne supprimons pas les bourgeois : utilisons-les à leur place. Pour qu’ils redeviennent ardents, conquérants, créateurs, plaçons-les entre un État national puissant et des classes ouvrières vigoureuses ».

Morvan Lebesque, Breiz da zont, n°1 (deuxième année), décembre 1931 cité par Erwan CHARTIER, Morvan Lebesque (1911-1970) : le masque et la plume d’un intellectuel en quête de Bretagne, Spézet, Coop Breizh, 2007, pp. 203-204.

Annexe 2 – Le « serment » social nationaliste de Lebesque lors d’un congrès des « séparatistes bretons » en janvier 1932 à Rennes :

« Sur une tenture d’un vert espérance [figurait] le juif cloué par un épervier tenant le globe entre ses serres. Au-dessus la croix gammée victorieuse.  Lebesque fait parvenir un message aux séparatistes bretons réunis à Rennes, publié dans les mêmes colonnes [celles du numéro 2, deuxième année, de Breiz da zont] :

À cette minute, de cœur et de pensée je suis avec vous. Qu’on ne me dise pas : il se refuse, il se rétracte ou il a peur celui qui fut des nôtres. Je serai toujours nationaliste. J’ai dédié ma vie à la patrie bretonne, mon plus cher désir est de ne jamais faillir à mes engagements. […] Je fais le serment de lutter de toutes mes forces pour l’établissement de la nation bretonne et de l’État breton social nationaliste ».

Erwan CHARTIER, Morvan Lebesque (1911-1970) : le masque et la plume d’un intellectuel en quête de Bretagne, Spézet, Coop Breizh, 2007, p.66

Annexe 3 – L’antisémitisme de Morvan Lebesque au PNIB

« Voyons d’abord ce que nous allons trouver en face de nous (pas toujours en face), contre nous

Il y a le monsieur anti-breton. Première espèce : le monsieur qui n’aime pas le folklore. Avec celui-là, la chose est claire : notre folklore l’écœure, il raille notre paysan, il ne trouve ni grâce ni beauté à nos femmes, il nous juge juste bons à être gouvernés, il brûle nos villages avec son automobile. Deuxième espèce : le monsieur qui aime la Bretagne. Il a une propriété près de Quimper. Ah ! Mon cher, que ce pays est poétique ! Et qu’il est bien français ! Comme il faut en bannir les quelques exaltés qui veulent le rendre libre ! Ennemi aussi dangereux que l’autre.

   Remarque : ce monsieur s’appelle la plupart du temps Lévy, Khan ou Isaac Jacob.

Il y a le républicain […] Seulement, il y a des républicains intelligents […] et les autres : les autres ou si vous voulez les médiocrates démocrasseux.

Il y a le juif. À vous la parole, mon cher Jeusset [Théophile Jeusset, fondateur du PNIB et collaborationniste pendant l’Occupation]. Je vous laisse le soin d’allonger des gifles à quelques appendices nasaux extraordinairement développés. […]

Mais sois tranquille. Derrière nous, il y a la Patrie et la Race. Deux choses qu’il nous faut à nous, Bretons, gagner à la sueur du front comme notre pain de chaque jour ».

Morvan Lebesque sous le pseudonyme « Maurice Vince » dans Breiz da zont, numéro 5, Pâques 1931 cité par Erwan CHARTIER, Morvan Lebesque : le masque et la plume d’un intellectuel en quête de Bretagne, Spézet, Coop Breizh, 2007, p.63

Annexe 4 – « Quand la droite bretonne prend le même nom qu’un groupuscule fascisant »

« C’est une drôle de “boulette” historique qu’a dénichée Le Mensuel du Golfe du Morbihan, un magazine local breton : le groupe d’opposition de droite et du centre au conseil régional a baptisé depuis huit mois sa formation «Breizh da zont», ce qui signifie en breton «Bretagne à venir», mais est aussi le nom d’«un groupuscule d’extrême droite nationaliste breton» fascisant des années 1930.

Une découverte que le site a tout simplement faite sur Wikipédia, avant de la confirmer auprès d’un historien spécialiste de la politique bretonne, Jean-Jacques Monnier :

«C’est le nom d’un groupuscule d’extrême droite animé par une dizaine de personnes. Il faut être spécialiste pour connaître ce groupuscule royaliste, mais il a bel et bien existé.»

Un journaliste spécialiste du mouvement, Erwan Chartier, confirme également, évoquant des «zozos» qui «défendaient des idées nationalistes, antisémites et anticommunistes» et «se réunissaient sous l’étendard de la croix gammée».

Si, selon le Mensuel du Golfe du Morbihan, «certains élus et militants de droite n’hésitent pas à parler d’une “connerie” qu’ils n’avaient “pas vu venir”», la chef de file de la majorité présidentielle dans la région, Bernadette Malgorn, réfute cette vision, critiquant une «fausse querelle politique» et refusant de voir certaines expressions «récupérées par les extrêmes». »

https://www.slate.fr/lien/32323/bretagne-droite-ump-fascisme-breizh-da-zont

source: https://blogs.mediapart.fr/ferellocsimon/blog/141222/morvan-lebesque-lembarrassant-hommage-un-collaborationniste-breton?utm_source=20221215&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-20221215&M_BT=37669498248

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