Le spectacle donné par La France Insoumise ne peut que réjouir ses adversaires. On peut en effet s’interroger sur la pérennité de ce mouvement dans le moins que l’on puisse dire c’est qu’il est victime à la fois de son mode d’organisation, de la personnalité de son chef et de la ligne adoptée début 2018 qui a consisté à abandonner les couches populaires au profit de la ligne préconisée par Terranova.
Triple crise qui a le mérite de révéler le caractère foncièrement antidémocratique de ce parti et la conception qu’en a Jean-Luc Mélenchon, héritier scrupuleux en cela de François Mitterrand son modèle politique. Avec cette différence que le PS du temps de Mitterrand était un parti de masse alors que celui de Mélenchon est un groupuscule organisé et verrouillé comme tel.
Même s’il est clair qu’un parti politique n’a pas à être organisé à l’image de la société qu’il prétend vouloir instaurer. Dans un système de démocratie représentative, c’est d’abord et avant tout un outil collectif d’expression chargé (par la Constitution) d’élaborer une ligne politique et de la proposer au décideur final qui est l’électeur. Le fait que le parti soit centralisé et dirigé de façon autoritaire ne doit pas poser de problème, dès lors que l’expression de ceux qui le dirigent relèvent d’une élaboration collective. À la fin des années 70, une équipe américaine de chercheurs avait réalisé une étude sur le fonctionnement des grands partis français pour arriver à la conclusion que les deux organisations les plus démocratiques étaient le RPR de Jacques Chirac et le PCF de Georges Marchais ! L’auteur de ces lignes se rappelle les glapissements outrés des dirigeants du Parti socialiste qui présentaient son système des « courants » comme le nec plus ultra d’un fonctionnement démocratique. Dont le déroulement de chaque congrès donnait pourtant une image peu reluisante. Pour les chercheurs américains, qui évidemment avaient relevé sans illusion la centralisation autoritaire du RPR et du PCF, l’important résidait dans l’implication des militants et l’existence d’instances politiques internes permettant autant que faire se pouvait, la représentation, la responsabilité et le contrôle.
Il n’existe absolument rien de tel à LFI. Pas d’organisations locales, départementales ou régionales représentées au niveau national, pas de système fédéral, pas de comité national, de bureau politique ou de secrétariat national. Un chef, Jean-Luc Mélenchon entouré de membres de sa famille et d’une cour rapprochée de fidèles sans statut et composée arbitrairement. Qui décide de tout sans contrepoids et sans contrôle.
Les crises dont il est actuellement frappé sont évidemment la conséquence de ce système. Il y a tout d’abord le problème posé par Jean-Luc Mélenchon lui-même. Ayant réussi à la surprise générale, son pari de fédérer la gauche sur son nom à l’élection présidentielle, et tout à l’ivresse d’avoir fait mordre la poussière au parti socialiste, il s’est trompé de diagnostic. Pensant que le rapport de force issu du premier tour de scrutin lui donnerait de façon pérenne avec la création de la NUPES l’hégémonie sur ce qui restait de la gauche. Puis de façon encore moins compréhensible, il a pensé pouvoir être majoritaire à l’Assemblée et devenir ainsi premier ministre de cohabitation. En commettant l’erreur de ne pas se représenter lui-même. Son dépit au soir du premier tour des législatives, dépit que chacun a pu constater à l’image, était révélateur. Après la défaite et en l’absence de tout mandat, la seule façon d’exister pour le patriarche a donc été de passer son temps à intervenir à tout propos, de façon contradictoire et parfois ridicule. Il n’est pas sûr que cette agitation lui soit très bénéfique alors même que la question de sa succession est posée et suscite des appétits parmi ses portes flingues.
Cette réalité n’a pas échappé à ses partenaires de la NUPES qui, profitant de ses difficultés, se préparent activement à reprendre leur liberté. Cela n’a pas échappé non plus à ses « amis » qui se rêvent calife à la place du calife. À cette crise pour la succession et au spectacle des appétits qui s’aiguisent, des prises de position qui s’autonomisent, des stratégies de communication transparentes, Jean-Luc Mélenchon a répondu de façon très simple. En choisissant officiellement pour successeur, le plus terne et le moins charismatique de ses lieutenants. Qui ne risque pas de lui faire de l’ombre au contraire de certaines personnalités un peu plus affirmées. Mais ce qui n’a pas été relevé, c’est que Manuel Bompard présente une autre caractéristique : il a pour le compte du chef, la haute main sur le système électoral et gère en particulier la question des investitures. On se rappelle l’épisode des dernières élections européennes, quand il avait soigneusement fait le ménage des talents pour installer à la tête de la liste la pitoyable Manon Aubry, sortie dont on ne sait où. C’est une question encore plus essentielle aujourd’hui. La loi de 1990 relative au financement public de la vie politique attribue aux partis une dotation en fonction de leurs résultats électoraux aux législatives. Mais ce texte n’avait pas prévu l’existence des organisations gazeuses, et il est probable qu’a priori la dotation LFI d’environ 9 millions d’euros, par an doit être entièrement contrôlée par Jean-Luc Mélenchon. Le choix d’un Manuel Bompard à qui on déléguera sous contrôle étroit les investitures et l’utilisation de l’argent ne sera jamais approuvé ou validé par quelque instance que ce soit. Du postmodernisme en politique chez LFI !
Ceux qui se voyaient succéder au sultan sont bien embêtés. De Clémentine Autain à François Ruffin en passant par Mathilde Panot ou jusqu’au fidèle Alexis Corbière on ne sait pas trop comment réagir. Alors pour l’instant on grommelle, on marmonne, voire comme Raquel Garrido et comme d’habitude on éructe, mais on est obligé de constater qu’on est coincé. Manuel Bompard jubile, lui qui sait leur obligation de rentrer dans le rang s’ils veulent conserver l’investiture LFI et les mandats confortables qu’elle peut offrir. On ne sait jamais, une dissolution de l’Assemblée pourrait intervenir avec un retour devant les électeurs. Autant avoir cette investiture et peut-être un peu d’argent pour la campagne au passage.
Et puis, il y a les polémiques furieuses autour du cas d’Adrien Quattenens. On ne reviendra pas sur les péripéties de cette affaire en se contentant de rappeler que LFI est victime de sa tartuferie en matière sociétale. Toujours au premier rang lorsqu’il s’agit des surenchères wokisantes, voilà qu’un de ses parlementaires emblématiques vient d’être condamné pour des violences commises sur son épouse. Deux camps s’affrontent, celui semble-t-il assez minoritaire autour du grand chef réclame le coup d’éponge, d’autres exigent son exclusion du groupe parlementaire. Le tout à grands renforts d’incendie sur les réseaux, de pétitions et surtout d’une grande innovation politique « la grève du militantisme », installant un joli foutoir, ou le grotesque le dispute à l’hystérie. Avec le comble atteint par l’hypocrisie de ceux qui redécouvrent soudainement les règles et les principes en matière de Justice qu’ils n’ont jamais voulu appliquer concernant leurs adversaires.
La façon dont la mouvance LFI affronte cette crise-là est finalement le symptôme de sa faiblesse politique. Si le mouvement gazeux avait un minimum d’organisation démocratique, soit Adrien Quattenens aurait dû être poussé vers la sortie, au moins du groupe parlementaire, soit il aurait dû démissionner et se représenter, demandant aux électeurs leur arbitrage.
Il est peu probable que toute cette agitation impressionne beaucoup Jean-Luc Mélenchon. Qui continuera à suivre sa ligne, fût-elle changeante au gré des circonstances.
La tactique l’a toujours beaucoup plus intéressé que la stratégie.
Et une candidature présidentielle en 2027, après tout…
Régis de CASTELNAU