Mutuelles de Bretagne : la Cour de cassation examine la question de la prescription. ( LT.fr – 20/06/22 – 15h02 )

En mars 2021, Richard Ferrand avait obtenu une victoire judiciaire dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai avait estimé que les faits visés, c
En mars 2021, Richard Ferrand avait obtenu une victoire judiciaire dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai avait estimé que les faits visés, commis du 1er décembre 2010 au 18 juin 2012, étaient prescrits depuis plusieurs années

L’association Anticor tentera, mercredi, devant la Cour de cassation d’empêcher que la justice ne classe définitivement l’affaire des Mutuelles de Bretagne, dans laquelle Richard Ferrand, qui avait été mis en examen pour prise illégale d’intérêt, a obtenu en appel la reconnaissance de la prescription.

Dans l’information judiciaire ouverte après une plainte de l’association Anticor en 2017, Richard Ferrand, l’ancien député du Finistère (2012-2022) et ex-président LREM de l’Assemblée nationale, est soupçonné d’avoir monté une opération immobilière litigieuse : la location à partir de 2011 par les Mutuelles de Bretagne, qu’il dirigeait, de locaux commerciaux appartenant à sa compagne, pour un loyer annuel de 42 000 €, pendant neuf ans.

Les trois juges lillois qui instruisent le dossier depuis le dépaysement de l’affaire avaient mis en examen Richard Ferrand en septembre 2019 pour prise illégale d’intérêt, et placé sous le statut plus favorable de témoin assisté sa compagne Sandrine Doucen.

Mais fin mars 2021, la défense de l’ancien quatrième personnage de l’État – pas réélu député dimanche soir – avait obtenu une victoire judiciaire. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai avait estimé que les faits visés, commis du 1er décembre 2010 au 18 juin 2012, étaient prescrits depuis plusieurs années. Soit depuis juillet 2014, c’est-à-dire trois ans après la signature du bail. Soit depuis juillet 2015, trois ans après la démission de Richard Ferrand des Mutuelles. Mais dans les deux cas, avant que les faits ne soient dénoncés à la justice en 2017.

« J’espère que le droit sera pleinement appliqué afin que Richard Ferrand réponde des faits pour lesquels il est mis en examen »

Anticor a depuis formé un pourvoi en cassation après une décision « extrêmement surprenante eu égard des faits, de la position du juge d’instruction et du parquet général », selon Me Jérôme Karsenti, conseil de l’association.

« J’ai une forte attente dans la Cour de cassation et j’espère que le droit sera pleinement appliqué afin que Richard Ferrand réponde des faits pour lesquels il est mis en examen », a-t-il commenté.

Infraction dissimulée ?

Anticor plaide une « infraction dissimulée », faisant démarrer la prescription à la date de la révélation de l’affaire en 2017 par le Canard enchaîné et non, comme le soutient la défense de Richard Ferrand, au moment où celui-ci a cessé ses fonctions dans l’entreprise en 2012 avant de devenir député. L’association estimait en effet que la relation entre Richard Ferrand et Sandrine Doucen n’était pas connue de tous les administrateurs des Mutuelles de Bretagne lors du choix des nouveaux locaux. La chambre de l’instruction a, elle, conclu que leur relation était notoire et publique et que le couple n’a pas cherché délibérément à occulter les conditions de la signature du bail.

Si la Cour de cassation confirmait la décision de la cour d’appel de Douai sur la prescription, cela signifierait l’extinction des poursuites.

La Cour de cassation examinera également mercredi un second pourvoi, formé par Richard Ferrand qui fait valoir la nullité de la procédure au motif que le tribunal judiciaire de Paris, saisi d’une plainte par Anticor, n’était pas territorialement compétent pour la traiter. La chambre de l’instruction avait rejeté cette requête.

Le procureur de Brest avait ouvert une enquête préliminaire en juin 2017, classée sans suite en octobre 2017. Anticor avait alors déposé une seconde plainte avec constitution de partie civile, au pôle financier à Paris, et obtenu la saisine d’un juge d’instruction.

L’information judiciaire est dépaysée à Lille depuis juillet 2018 car un magistrat parisien, vice-président d’Anticor, a provisoirement été présent dans la procédure.

Sollicités, les avocats de Richard Ferrand n’ont pas souhaité s’exprimer.

En complément

Une seule question : Richard Ferrand a-t-il caché les faits aux Mutuelles ?

La prescription des faits, ou non, se joue autour de cette seule question : Richard Ferrand a-t-il dissimulé au conseil d’administration des Mutuelles de Bretagne, qu’il dirigeait alors, que le bien qu’il proposait de louer aux Mutuelles appartenait à sa compagne ? Si la réponse est oui, les faits datant de 2011 sont prescrits, et Richard Ferrand en a définitivement terminé avec cette affaire. Si la réponse est non, le délai de prescription court à partir de la révélation des faits, c’est-à-dire la publication de l’article du Canard Enchaîné, en 2017, et les faits ne sont donc pas prescrits. Dans ce cas, l’instruction peut se poursuivre.

Quatre administrateurs sur douze informés

L’enquête a déjà déterminé que sur douze administrateurs des Mutuelles, quatre ont déclaré avoir été informés par Richard Ferrand. Parmi les huit restants, certains, dont le président du conseil, ont répondu l’inverse, et d’autres ont indiqué qu’ils ne s’en rappelaient plus. Anticor, l’association anticorruption qui a porté plainte, estime que cela suffit à démontrer la dissimulation, « d’autant plus que les commissaires aux comptes ignoraient également cette information ».

Les avocats de Richard Ferrand pensent l’inverse : à partir du moment où ne serait-ce qu’un seul administrateur est informé, et donc a fortiori pour quatre, aucune dissimulation ne peut juridiquement être retenue. Cette interprétation est celle adoptée par le procureur de la République de Brest en 2017, et aussi, dernièrement, par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai. Saisie par Anticor, la Cour de cassation, qui ne se prononce qu’en droit, et pas sur les faits, reviendra-t-elle sur cette notion juridique de la dissimulation ? Débats ce mercredi matin. La décision sera mise en délibéré à une date ultérieure.

Auteur : Hervé Chambonnière

Source : Le Télégramme (letelegramme.fr)

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