Par Marylise COURAUD
Des attaques en règle contre la CFDT, des propos dégradants et humiliants qui visent une élue… Les prud’hommes de Nantes ont à juger une inhabituelle affaire de harcèlement syndical chez Décathlon.
Elle n’y est pas allée par quatre chemins, l’avocate. Il faut dire que l’affaire que les conseillers prud’homaux avaient à examiner a laissé plus d’un auditeur sans voix, lors de l’audience, ce mardi 23 mai, à Nantes. « Une discrimination la plus crasse, dont on n’imagine même pas qu’elle puisse exister », a lancé en préambule Me Anne-Laure Bellanger. « Dans une enseigne comme Décathlon qui se veut moderne. Mais toute libérée qu’elle soit, l’entreprise n’aime pas les corps intermédiaires ». En clair, les syndicats.
Dans la salle, un petit comité de soutien formé par des militants de la CFDT est venu épauler la syndicaliste, une élue, toujours salariée du Décathlon à Atlantis. Elle a découvert en 2021, comme de nombreux autres salariés, l’existence d’un groupe WhatsApp au sein du magasin de cette enseigne d’équipements sportifs à Atlantis à Saint-Herblain.
« Lynchage collectif »
Ce groupe existait depuis un certain temps et réunissait une dizaine de personnes de l’encadrement, des chefs de rayon au directeur du magasin. « Une salariée prise de remords en a parlé à la CFDT. » On y trouvait de tout, des discussions privées, des photos des gamins en vacances, mais aussi des insultes, et des propos discriminants à l’égard de cette élue, une vendeuse embauchée depuis 1999 et qui en 2013 a pris des responsabilités syndicales. « Je vais me la faire », « Aujourd’hui, j’aurais tout vu. M. qui court un 100 mètres, non un 10 mètres ». Avec des mots humiliants sur son poids. « Dans tous les cas, elle est en délégation demain… Elle sera sur son canapé. » Et dans ce florilège, l’avocate rapporte aussi ce propos signé par le directeur : « Tu aurais pu te faire cinq CFDT aujourd’hui ! »
Évidemment, l’affaire révélée, la direction régionale de Décathlon ne pouvait pas ignorer, ce que l’avocate qualifie de « lynchage collectif ». Une enquête interne a été menée. De nombreux salariés ont invoqué le côté privé de cette messagerie. Finalement, trois personnes ont été licenciées, dont deux chefs de rayon et le directeur d’exploitation. Deux autres ont été mis à pied, dont le directeur, six jours. « Ma cliente doit se lever tous les matins pour continuer à dialoguer avec ce directeur », fustige son avocate. À la suite des faits, la salariée a été en arrêt de travail, puis est revenue en mi-temps thérapeutique.
« Des mesures ont été prises »
« L’employeur n’a pas mis fin aux risques auxquels était exposée ma cliente. » Et de relever les contenus des derniers entretiens annuels où le directeur mentionne une année, ponctuée par de nombreuses absences et une impossibilité de mener à bien ses missions. La salariée était en effet en mi-temps thérapeutique. « C’est une façon de faire peser sur elle la culpabilité. »
Pour l’avocate de Décathlon, « jamais, la gravité des faits a été niée. Les mesures immédiates ont été prises, une cellule psychologique mise en place » et des sanctions sont tombées proportionnellement à la gravité des propos tenus. « Le directeur a été sanctionné pour ne pas avoir compris qu’il aurait dû réagir , commente Me Lucie Delange. Il s’est excusé auprès de la salariée, il a aussi proposé une médiation qui n’a pas abouti. » Et d’énumérer un certain nombre d’actions mises en place, notamment des formations sur le « management social ».
Pour l’avocate de l’élue et la CFDT, le harcèlement discriminatoire est avéré et les mesures prises insuffisantes. Pour les manquements à l’obligation de sécurité, elle demande 20 000 €, et encore 20 000 € pour le harcèlement. Jugement attendu le 14 septembre.
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