Nouveau budget : ce virage brutal qui se profile pour les apprentis et les alternants (H.fr-3/11/25)

En sacrifiant l’apprentissage, le gouvernement déstabilise l’enseignement supérieur privé, secteur aux nombreuses dérives dont le modèle économique est bâti sur l’alternance. © JPL/REA

Fin des exonérations, baisse des aides, coupes dans les centres de formation… Avec la présentation des projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale pour 2026, le gouvernement multiplie les coupes.

Par Léa DARNAY

Après des années à vanter les mérites de l’apprentissage, le gouvernement opère un virage brutal. Dans son projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2026, Bercy entame une politique de rigueur concernant les jeunes apprentis, déjà fragilisés par la précarité de leur emploi en formation.

Pour commencer, l’exécutif souhaite supprimer totalement les exonérations de cotisations sociales salariales pour les contrats signés à partir du 1er janvier 2026. L’annonce a fait des remous. Si la mesure a été rejetée en commission par les parlementaires, son sort dépendra des débats à venir lors de l’examen du budget de la Sécurité sociale à l’Assemblée nationale à partir de ce mardi 4 novembre.

Jusqu’à présent, les apprentis bénéficiaient d’une exonération partielle, déjà réduite de 79 % à 50 % du Smic dans une première réforme en début d’année. Désormais, ils cotiseront « comme tout salarié », selon la formule du ministère de l’Économie, qui y voit une question d’« équité ». « Déjà qu’ils sont à moitié exploités, comment parler d’équité quand ils gagnent à peine 600 euros ? » s’indigne Bastien Bonnargent, coordinateur du mouvement Jeunes communistes.

Fin des exonérations sociales : la double peine

Concrètement, cette suppression fera perdre entre 100 et 187 euros nets par mois aux apprentis, selon leur âge et leur année de formation. « C’est leur pouvoir d’achat qui est directement impacté, déplore Taran Coutarel, formateur en français dans un centre de formation d’apprentis (CFA) en Auvergne-Rhône-Alpes. J’ai déjà des groupes entiers d’élèves qui m’interpellent et s’inquiètent d’une telle diminution de salaire pour leur quotidien. »

Et la perte ne s’arrête pas là avec un effet domino sur les revenus globaux. Avec un salaire plus bas, beaucoup sortiront du champ de la prime d’activité, ce qui peut représenter une perte pouvant aller jusqu’à 290 euros mensuels. « Ce n’est pas négligeable quand on a un loyer à payer, témoigne Pauline*, apprentie en banlieue parisienne et originaire de la Nièvre. La vie vaut excessivement cher en île de France, je vis déjà en colocation, je ne peux pas faire mieux. »

Autre attaque au pouvoir d’achat des apprentis, le gouvernement souhaite également supprimer l’aide de 500 euros au permis de conduire qui leur était destinée. « Elle induit une rupture d’égalité vis-à-vis des autres étudiants qui n’en bénéficient pas et n’est pas conditionnée au niveau de ressources de l’apprenti (…) », expose l’article du PLF en question. Seulement, « pour beaucoup, surtout en milieu rural, le permis est indispensable pour rejoindre leur entreprise ou leur centre de formation, déplore le formateur en CFA. Les parents ne peuvent pas toujours payer ! »

Les employeurs aussi mis à contribution

Après une première baisse à 5 000 euros pour les TPE et 2 000 pour les grandes entreprises en début d’année, l’aide à l’embauche d’apprentis à destination des employeurs est aussi rabotée. La mesure est ramenée à 2,4 milliards d’euros, soit un milliard de moins qu’en 2025. « Cette année, dans mon centre de formation, une centaine de jeunes n’ont pas trouvé de maître d’apprentissage, regrette Taran Coutarel. Avec cette loi, cela va devenir impossible de trouver un patron ! »

Et les centres de formation ne sont pas épargnés non plus puisque Bercy réfléchit à baisser de 6 % les dotations versées aux CFA pour les « coûts contrats », afin de récupérer 565 millions d’euros. Si la mesure ne figure pas dans le projet de budget, un arrêté suffit pour la mettre en œuvre. « Cette décision va nous pousser à regarder les chiffres pour atteindre les seuils de rentabilité, déplore le formateur en français. Nous sommes une association, pas une entreprise. C’est certain que cela va impacter la qualité de notre enseignement. »

Afin de compenser la mesure pour les CFA, l’exécutif prévoit de supprimer les dérogations à la taxe d’apprentissage dont bénéficiaient certains employeurs. Cette dernière est directement reversée aux CFA par les entreprises. Toutefois, en l’état du projet du budget, seuls les associations, organismes fondations, fonds de dotation et syndicats à activités non lucratives vont devoir passer à la caisse, pour un rendement non indiqué. Un nouveau coup de massue supplémentaire pour les associations qui subissent lourdement l’austérité, 90 000 emplois du secteur étant menacés par ce projet de budget.

Dans leur dernière revue de dépense sur le sujet, les Inspections générales des affaires sociales et des finances avaient chiffré à 373 millions d’euros le manque à gagner de ces dérogations en 2022, en rassemblant toutes les structures qui en bénéficient, totalement ou partiellement. Une somme que Bercy entend désormais récupérer, au nom de la « bonne gestion ». « L’autonomie financière des centres diminuera au profit des entreprises, qui choisissent à qui elles versent leur taxe, dénonce Raphaël Steiger, ancien apprenti en menuiserie. Dorénavant, les centres de formation auront intérêt à ne pas trop intervenir dans les entreprises où il y a des potentiels dysfonctionnements avec les jeunes, puisqu’elles détiennent le pouvoir de financement du centre. »

Un écosystème menacé

Formateurs, jeunes précaires et entreprises locales risquent de payer le prix de ce projet de loi austéritaire. Un paradoxe, alors que le gouvernement se félicite de la « réussite historique » de l’apprentissage, avec 878 000 nouveaux contrats en 2024, contre 283 000 en 2015. Mais ce succès reposait sur un modèle massivement subventionné : près de 25 milliards d’euros par an d’aides publiques.

Selon l’Observatoire français des conjonctures économique (OFCE), la flambée de l’apprentissage depuis 2020 s’explique ainsi avant tout par les aides massives du plan de relance, « très généreuses et non ciblées ». Mal calibré, ce dispositif aurait surtout profité aux étudiants du supérieur qui, a priori, rencontrent moins de difficultés pour décrocher un poste après leurs études. D’après l’OFCE, 61,6 % des entrées en apprentissage concernaient des étudiants préparant un diplôme d’études supérieures, alors qu’ils étaient minoritaires avant 2020.

À l’autre bout du spectre, les jeunes qui ne sont ni en emploi ni en formation « ont peu profité de cette dynamique, puisque ceux-ci sont actuellement légèrement plus nombreux que fin 2019 ». Au final, cette politique de soutien à fonds perdu a surtout bénéficié… au gouvernement et au patronat. Plus de 200 000 postes d’apprentis, moins coûteux pour les entreprises, auraient remplacé des emplois classiques. « On a transformé les étudiants en apprentis pour gonfler artificiellement les chiffres de l’emploi », dénonce Bastien Bonnargent. « On est considéré comme des intérimaires à bas coût », renchérit Raphaël Steiger.

En outre, rien ne garantit le maintien en emploi des apprentis, une fois disparus les avantages financiers liés à leur statut. Comme le souligne l’OFCE, « la hausse du nombre de jeunes chômeurs indemnisés issus d’un apprentissage du supérieur est pour le moins perturbante au regard de la promesse d’insertion en emploi des diplômés de l’enseignement supérieur ».

Pour Bastien Bonnargent, « c’est incompréhensible de subventionner à outrance sans condition, pour ensuite brutalement rationaliser au détriment des plus précaires ». « L’intention n’est pas de mettre à mal l’apprentissage […] Le pari, c’est qu’on arrive à tenir la politique », a tenté de rassurer le ministre du Travail et des Solidarités, Jean-Pierre Farandou, auditionné devant la commission des Affaires sociales du Sénat le 28 octobre. Les effets sur les effectifs des alternants risquent d’être conséquents selon l’Insee, qui prévoit la suppression de 65 000 postes d’ici à la fin de l’année.

Reste que, après les coupes dans l’assurance-chômage et la réforme du RSA, le PLF 2026 poursuit la réduction du rôle de l’État auprès des jeunes travailleurs, toujours plus précaires. Le vote des députés sera décisif : le premier ministre Sébastien Lecornu a promis de ne pas recourir à l’article 49.3 pour imposer le texte, laissant le sort de l’apprentissage entre les mains du Parlement.

* Le prénom a été changé.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/apprentissage/emploi-les-apprentis-et-les-alternants-dernieres-victimes-en-date-du-budget-lecornu

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/nouveau-budget-ce-virage-brutal-qui-se-profile-pour-les-apprentis-et-les-alternants-h-fr-3-11-25/

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