
Le chef de l’État doit nommer un premier ministre d’ici vendredi soir. Si la gauche hors LFI revendique Matignon, nombre d’indices laissent pressentir un nouvel entêtement du président à défendre pied à pied son bilan, quitte à favoriser l’instabilité.
Par Emilio MESLET.
Le palais de l’Élysée s’est-il transformé en bunker d’où un président retranché s’acharne à essayer, encore et encore, de sauver son bilan ? Si Emmanuel Macron en est sorti, ce jeudi, c’est uniquement pour faire entrer au Panthéon Robert Badinter, dont il a condamné par un tweet la profanation de la tombe.
Sinon, ne cherchez aucune expression du chef de l’État concernant la politique intérieure entre le 28 septembre et le 9 octobre sur son compte X : il n’y en avait pas à l’heure d’écrire ces lignes. Depuis la démission de son troisième premier ministre en un an lundi matin, Emmanuel Macron est aphone.
Sur quel socle parlementaire
Tic-tac, tic-tac… La nature ayant horreur du vide, il est donc revenu au centre de la tension. D’autant que Sébastien Lecornu, recyclé négociateur pour détourner l’attention, lui a rendu les conclusions de sa mission flash de 48 heures pour discuter avec les formations politiques (hors RN et LFI). Il a toutes les cartes en main. L’Élysée a d’ailleurs promis qu’un nouveau premier ministre doit être nommé d’ici vendredi soir. Mais sur quel socle parlementaire s’appuiera-t-il ? Nul ne le sait.
Il faut donc aller chercher les rares indices dans la prise de parole de Sébastien Lecornu sur France 2 devant sept millions de spectateurs. « Il y a une majorité absolue à l’Assemblée nationale qui refuse la dissolution », a-t-il déclaré, estimant possible l’adoption d’un budget d’ici la fin de l’année. Seulement, « il n’y a pas de schéma dans lequel on n’est pas à moins de 5 % » de déficit public, ajoute-t-il pour tenter de cadrer le futur débat.
Comprendre : les macronistes n’entendent pas lâcher si facilement sur l’austérité. « La France aura un budget en 2026 et respectera ses engagements européens », a même affirmé, sans disposer d’aucune légitimité, Roland Lescure, ministre démissionnaire de l’Économie lors d’une réunion avec ses homologues de la zone euro.
La réforme des retraites, un sujet bloquant
Sur le front de la réforme des retraites, revenue au cœur du rapport de force, Sébastien Lecornu convient qu’il s’agit d’un dossier « parmi les plus bloquants » et que son camp « aura du mal à dire qu’il ne faut pas de débat », sans préciser sous quelle forme. Et tout en agitant le chiffon rouge d’un coût supposé de « trois milliards d’euros en 2027 » en cas de suspension.
Il n’était de toute façon pas là pour faire des annonces mais bien accentuer la pression sur cette gauche, a fortiori sur le Parti socialiste, qui réclame Matignon. Car les macronistes, à commencer par le premier d’entre eux, sont des gens entêtés.
Si Sébastien Lecornu a affirmé ne pas vouloir d’une « grande coalition à l’allemande », les troupes libérales n’ont pas l’air tout à fait prêtes à renoncer au pouvoir. Et pourquoi pas obtenir une non-censure des socialistes ? Certains faisaient même courir le bruit que le bloc présidentiel l’avait déjà obtenue. « On est dans une guerre d’intox totale », a démenti Olivier Faure, premier secrétaire du PS, auprès de l’Humanité.
Les ballons d’essai lancés par l’exécutif n’ont pas été de nature à rassurer cette gauche, hors LFI donc, qui souhaite voir l’un de ses représentants être nommé premier ministre. L’option d’un gouvernement dit « technique » est parfois évoquée, tout comme une nouvelle nomination de Sébastien Lecornu.
Le nom de Jean-Louis Borloo, centriste ex-ministre de Jacques Chirac puis de Nicolas Sarkozy, est aussi revenu avec insistance, bien que celui-ci affirme n’avoir « aucun » contact. Il correspondrait ainsi au profil esquissé par Sébastien Lecornu d’un chef de gouvernement « déconnecté des ambitions pour 2027 ». Il pourrait aussi être utile pour essayer de diviser la gauche.
Ce qui a failli fonctionner, Patrick Kanner ayant lancé un « chiche ? » devant cette proposition. Avant que le chef de file des sénateurs socialistes, après s’être fait tirer les oreilles, ne rétropédale, arguant d’une « boutade » mal comprise. « Jean-Louis Borloo portera, au mieux, une politique de centre droit, se reprend-il. Je veux un premier ministre de gauche. »
Parmi les socialistes, l’espoir d’arriver à Matignon dans un scénario de cohabitation s’amenuise. Bien que l’hypothèse ait pu convaincre quelques macronistes souhaitant un coup de barre à gauche, une non-censure n’est pas garantie. « Au nom de la stabilité institutionnelle et économique du pays, je n’accepterai pas un gouvernement mené par Olivier Faure », a par exemple écrit Annie Vidal, députée Renaissance.
D’après nos informations, le chef du groupe Ensemble pour la République, Gabriel Attal, a fait comprendre à Olivier Faure et Marine Tondelier, numéro 1 des Écologistes, qu’il ne tenait pas son groupe, dont nombre de députés viennent de la droite. D’autant qu’une suspension de la réforme des retraites pourrait aussi être un argument pour faire tomber un tel gouvernement du côté d’Horizons, le parti d’Édouard Philippe, qui souhaite reprendre sa liberté.
« Le choix du président s’imposera à eux », veut espérer Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Écologiste et social à l’Assemblée. Les Verts menacent d’ailleurs de rejoindre le camp de ceux qui appellent à la démission d’Emmanuel Macron si celui-ci ne se résout pas à respecter le résultat des législatives 2024.
Dans la nasse
Plus que jamais, le chef de l’État se trouve dans la nasse, alors que la moitié des Français interrogés par Elabe pensent que son départ pourrait débloquer la situation. Il est même lâché par une partie des siens (Gabriel Attal, Édouard Philippe, Élisabeth Borne…). Sébastien Lecornu a réussi à lui acheter un peu de temps supplémentaire mais sans faire bouger les équilibres parlementaires lui permettant d’imposer une nouvelle fois une personnalité qui ne s’attaquerait pas à ses totems (réforme des retraites et baisse de la fiscalité).
Il faut toujours que 289 députés s’abstiennent de voter la censure pour qu’un gouvernement tienne. Puisque le Rassemblement national s’apprête à refuser l’ensemble des profils dans l’espoir d’obtenir une dissolution, la gauche reste, d’un point de vue arithmétique, l’option la plus stable.
À condition que LFI ne censure pas. Et que Macron et les siens arrêtent de s’obstiner dans un refus pavlovien de la gauche. Un parlementaire communiste n’imagine cependant pas, à moyen terme, d’autres possibilités qu’un retour aux urnes : « Je ne vois pas comment Macron échappe à la dissolution. Il cherche à gratter deux semaines, deux mois au mieux. »
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