Pêche en crise : au Guilvinec, le sentiment d’un « immense gâchis » (LT.fr-13/02/24)

Sur le chantier, celui qui gère l’élévateur de bateaux, Didier, 54 ans, mesure déjà bien la chute amorcée : 205 montées, en 2023, contre 250, l’année précédente. (Photo Lionel Le Saux/Le Télégramme)

Au Guilvinec (29), premier port de Cornouaille, toute la ville fait le dos rond en attendant de connaître l’ampleur de l’impact économique sur la région, entre fatalisme et amertume.

Par Hervé CHAMBONNIERE.

L’avenir sur les quais du Guilvinec, ce mardi 13 février 2024, ressemble à la météo : désespérément bouchée. Sur les flancs de la criée, blouse blanche sur le dos et mains dans les poches, ce professionnel du transport des produits de la mer a lu, comme tout le monde ici, les mauvais chiffres des volumes de pêche des ports bretons pour 2023 : « Pas une criée n’est épargnée et cela affecte toute la chaîne. C’est pas joyeux, c’est sûr… » Lui redoute que « Le Guil’» devienne un port de seconde zone, « celui que les grands distributeurs appelleront éventuellement après Boulogne ».

« L’État ? Pas de son, pas d’image »

Un autre professionnel de la mer, qui souhaite rester anonyme, liste la vague qui s’abat de plein fouet sur les marins-pêcheurs : « L’inflation, la hausse des prix du gazole, la difficulté à trouver du personnel, les règles de l’Union européenne pas appliquées par tous les pays au détriment de la France, le plan de sortie de flotte qui a, ici, emporté près de 25 navires hauturiers. C’est près de la moitié de la flotte ! ». « Que fait l’État ? », apostrophe un mareyeur « fortement impacté ». « La France a la deuxième façade maritime mondiale et le secteur de la pêche ne représente que 0,07 % du PIB ! », fustige-t-il, évoquant « un immense gâchis ».

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Jean-Luc Tanneau, le maire du Guilvinec, dénonce « le désintérêt total de l’État vis-à-vis de la pêche et de nos territoires » : « Il n’y a rien. Pas de son, pas d’image. On se sent démunis et, surtout, on n’entrevoit aucun avenir. S’il y avait au moins une vision à moyen ou long terme, cela permettrait à des jeunes d’aller vers ce métier de marin-pêcheur. Aujourd’hui, il faut être fou pour se lancer… »

Dans le centre-ville, les commerçants attendent « la vague ». « Là, c’est l’hiver, c’est calme. On verra quand l’activité est censée reprendre, au printemps. Mais on va le ressentir, c’est sûr », redoute la patronne de La Trinquette, un bar à deux pas de la criée. De l’autre côté des quais, sur le port et le chantier naval, les professionnels sont fatalistes. « On ne peut rien y faire », lance un marin-pêcheur, qui sort brièvement la tête des entrailles du Kronos, un chalutier en réparation à quai.

« On était une vingtaine. Nous ne sommes plus que six »

Coque bleue en bois, 100 tonnes à la pesée, le valeureux Liouann Amzer, plus de 40 ans de bons et loyaux services, est sur cales. Des étincelles qui jaillissent de sa proue émergent deux têtes casquées. « Bien sûr qu’on est frappés !, souffle le plus jeune de ces deux soudeurs-chaudronniers. On était une vingtaine dans la société avant. Aujourd’hui, on n’est plus que six et notre patron envisage de nous passer aux 35 heures… »

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Eux évoquent « les rumeurs » qui courent sur les quais et assombrissent un peu plus leur horizon : projets de parcs éoliens, plan de casse élargi aux navires côtiers, extension des interdictions de pêche pour préserver les dauphins… « Si ça empire ? Ben, on fera autre chose », glissent les deux ouvriers.

Cyril, 22 ans, jeune matelot, a l’impression d’assister, impuissant, au naufrage. Il veut pourtant encore y croire : « Il faudra toujours des chalutiers. Ce sont eux qui font la lotte, la raie, le saint-pierre… » Sur le chantier, celui qui gère l’élévateur de bateaux, Didier, 54 ans, mesure déjà bien la chute amorcée : 205 montées, en 2023, contre 250, l’année précédente. « On est bien obligés de suivre. On n’a pas le choix », confie-t-il en haussant les épaules. Vapoteuse dans la main gauche, l’homme fronce les sourcils. Dans la grisaille et le vent qui siffle, il vient d’apercevoir la vedette de la SNSM qui file rapidement vers l’entrée du port. « Ça, j’aime pas. C’est jamais bon signe… »

Source: https://www.letelegramme.fr/economie/mer/peche-en-crise-au-guilvinec-le-sentiment-dun-immense-gachis-6525611.php

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