Pêche : il raconte les zones d’ombre dans la « guerre » du thon tropical (LT.fr-24/04/24)

Le thon tropical pêché dans l’océan Indien est transformé avant d’être commercialisé en boîte de conserve dans nos supermarchés. (Photo Ricardo Tongo/EPA)

Les pêcheurs français et espagnols pourraient être les grands perdants de la guerre du thon qui se joue dans l’océan Indien. Dans une enquête publiée dans Le Point, le journaliste Erwan Seznec s’interroge sur les liens troubles qu’ont certaines ONG environnementales avec le lobby industriel.

Entretien réalisé par Valérie CUDENNEC-RIOU.

La guerre au thon est déclarée dans l’Océan indien, écrivez-vous dans une enquête publiée dans Le Point. Quels en sont les enjeux ?

Listao, thon obèse, thon albacore : il y a surpêche et ça, personne ne le conteste. Mais chacun voudrait que l’effort soit porté par le voisin. La prochaine réunion à 31 pays de la Commission du thon de l’océan Indien (CTOI), le mois prochain, en Thaïlande, s’annonce tendue. Car le marché est colossal et donc très convoité. Plus de 2,6 milliards d’euros annuels, selon une étude publiée en 2017 par l’Institut de développement durable et des relations internationales (Iddri).

Erwan Seznec a enquêté, pour Le Point, sur les coulisses de la guerre du thon dans l’océan Indien.
Erwan Seznec a enquêté, pour Le Point, sur les coulisses de la guerre du thon dans l’océan Indien. (Collection Erwan Seznec)
Vous évoquez, dans votre enquête, une prérencontre, les 28 et 29 avril, à Dubaï, susceptible de peser sur les décisions qui pourraient être prises pour évincer de l’océan Indien les thoniers senneurs qu’utilisent les pêcheurs français. De quelle manière ?

Billets d’avion, visas, hôtel : d’après l’invitation, le séjour est tous frais payés pour les invités de ce G16 informel orchestré par l’Australie, alliée à trois ONG. Une opération de séduction qui ne peut qu’inciter les délégués des pays concernés à s’aligner sur la position des organisateurs. Or, l’Australie et l’Afrique du Sud ne rêvent que d’une chose : faire porter aux Européens le fardeau de baisse de pression sur les stocks en s’attaquant à leurs méthodes de pêche : la senne, qui est un filet mobile, et les dispositifs de concentration des poissons (DCP), dont la CTOI a voté l’interdiction l’an dernier, avant que les Européens ne parviennent à geler la mesure.

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L’alternative à la senne, c’est la pêche à la ligne, que les ONG considèrent plus durable. Or, selon votre enquête, c’est un puissant industriel, leader au Royaume-Uni sur le marché du thon en boîte, qui, dans l’ombre, tirerait les ficelles d’une de ces ONG ?

Exactement. John Burton possède la World Wise Foods, 96 millions d’euros de chiffre d’affaires, qui ne s’approvisionne qu’auprès de ligneurs, soi-disant plus respectueux pour l’environnement. Même s’il en a quitté la présidence en 2020, il est aussi le créateur de l’International pole and line foundation (IPNLF). Une ONG qui siège en tant qu’observatrice à la Commission du thon et qui, au motif de défendre les artisans pêcheurs des Maldives, influe sur les décisions qui y sont prises, au profit du business de l’industrie. Des témoignages attestent de pratiques de corruption à la CTOI, contre lesquelles rien n’est fait.

De fait, cette pêche à la ligne n’est-elle pas moins dévastatrice que celle des senneurs ?

On ne parle pas de barques artisanales, là, mais de gros navires moches, qui puent le gazole et qui, ayant besoin d’appâts, pratiquent une pêche intensive et opèrent une razzia sur les poissons de coraux, en plus du thon. La question, c’est : quels liens existent entre certaines ONG qui pèsent dans le débat public, y compris en France, et l’industrie, et quelle est leur expertise réelle ?

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Quelles conséquences économiques de nouveaux interdits auraient-ils pour la France et, plus particulièrement, pour la Bretagne ?

La France, avec une vingtaine de navires sur zone, n’est pas un acteur de premier plan dans l’océan Indien. Le pays était 9e sur la période 2011-2015 avec 46 600 tonnes de thon pêchées, selon l’Iddri, loin derrière les Espagnols, 3e, et l’Indonésie et l’Iran qui, travaillant, eux, à la canne ou au filet dérivant, prélèvent des volumes très importants, probablement sous-estimés. Toutefois, ce sont les Bretons qui, pour ainsi dire, ont inventé la pêche au thon dans ces eaux, au début des années 1980. Des interdits porteraient un rude coup aux ports de Concarneau (qui abrite la Compagnie française du thon atlantique et le pôle technique et opérationnel de la Sapmer, en plus de Via Océan, en cessation d’activité, NDLR) et Lorient. Les conséquences seraient lourdes pour les équipages, la construction navale, l’activité des prestataires et celle des conserveries de l’île Maurice et des Seychelles.

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Source: https://www.letelegramme.fr/economie/mer/peche-il-raconte-les-zones-dombre-dans-la-guerre-du-thon-tropical-6570791.php

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