Entretien-L’ancienne ministre Anahi Durand revient sur la crise politique et sociale qui sévit au Pérou depuis plusieurs semaines et insiste sur le caractère historique des mobilisations. Propos recueillis par Romain Migus.
Comment caractérisez-vous les quinze premiers jours du régime de Dina Boluarte ?
Un régime autoritaire a été mis en place avec la participation active de l’armée et du pouvoir judiciaire en tant qu’acteurs politiques. Leur objectif était de restaurer le pouvoir des élites de Lima, qui avait été menacé par le triomphe de Castillo. Ces pouvoirs factices ont cherché à donner une leçon au peuple afin qu’il ne déborde pas de sa place dans une société de classe et raciste. Pour eux, un enseignant rural ne peut occuper le fauteuil présidentiel. Ils ne se sont jamais remis de cette gifle qu’a représentée la rébellion électorale qui a porté Castillo au pouvoir. Dina Boluarte est le symbole de cette oligarchie rancunière.
Comment expliquer l’impressionnante mobilisation lors des protestations ?
Je vais reformuler la question. Comment expliquer, par exemple, que le peuple indigène de la jungle, frontalier du Brésil, tant oublié et loin de tout, aille mettre sa poitrine et sa vie en jeu pour défendre la liberté d’un président ? Cela ne s’est jamais vu auparavant, même sous la dictature de Fujimori.
L’éviction de Castillo a été l’élément déclencheur de la colère et du mécontentement accumulés par un secteur largement exclu qui n’était pas prêt à vivre une nouvelle humiliation. Pendant des décennies, on leur a dit qu’avec leur vote, quelqu’un comme eux pourrait arriver au pouvoir et transformer la société. Le récit de la démocratie libérale n’a pas résisté à la réalité, où l’équilibre du pouvoir penche toujours en faveur des dominants. Cette contradiction explique l’impressionnante mobilisation dans toutes les parties du pays, marginalisées. Cela ne s’est jamais produit auparavant au Pérou. Ce que nous vivons est une expression de la lutte des classes, sans précédent dans l’histoire du pays.
Quelle est la situation des droits de l’homme au Pérou ?
C’est terrible. En quinze jours, nous avons eu plus de personnes assassinées par les forces de l’ordre dans les manifestations qu’au cours des cinq dernières années. Et pourtant, nous avons une histoire de confrontation très chargée. Avec Dina Boluarte, des centaines de personnes ont été blessées et arrêtées. Des centaines ont également disparu. Le pouvoir militaire et policier apparaît désormais comme l’épicentre de son régime. L’État d’urgence permet tous les abus. Dans plusieurs régions, il existe un couvre-feu. Je ne sais pas comment on appelle ce type de régime, chez vous, en France. Mais vous conviendrez que cela ressemble fort à une dictature.
Entretien d’Anahi DURAND , ancienne ministre de Pedro CASTILLO par Romain MIGUS.