Pourquoi Israël craint le Hezbollah. (Arrêt Sur Info – 02/07/23)

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, deuxième en partant de la gauche, entre le sénateur américain Lindsey Graham, à gauche, et l’ambassadeur des États-Unis en Israël, David Khan, à droite. L’ambassadeur des États-Unis en Israël, David Friedman, en route vers le plateau du Golan en mars 2019 pour un briefing israélien sur la situation militaire dans la région. (Matty Stern/U.S. Embassy Jerusalem)

Par As`ad AbuKhalil

L’émergence d’un mouvement de résistance discipliné au Liban n’a pas seulement entraîné la défaite militaire d’Israël et la montée en puissance du Hezbollah, elle a aussi ouvert une nouvelle ère d’affirmation de la puissance arabe.

Israël est en difficulté. Sa doctrine militaro-stratégique – fondée sur l’utilisation d’une force massive pour soumettre la population arabe – a entraîné des massacres successifs destinés à instiller la peur dans le cœur de tous les Arabes. Dans son livre La Révolte, l’ancien Premier ministre israélien Menachem Begin a admis que cette pratique brutale était une politique sioniste officielle.

Mais les temps ont changé et Israël ne fait plus peur aux Arabes.

La guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah, également connue sous le nom de guerre de juillet au Liban, a marqué un tournant, tout comme les récentes guerres israéliennes successives à Gaza. La perception de l’armée israélienne a été irrémédiablement modifiée.

L’époque où les Arabes acceptaient la défaite en quelques heures face à l’armée israélienne est révolue. Il est également révolu le temps où les populations arabes n’avaient guère confiance dans les combattants arabes. Les scènes de ces combattants, les mains sur la tête en signe de reddition, appartiennent à l’époque de la guerre des Six Jours, en 1967, et non à celle d’aujourd’hui.

En juillet 2006, les combattants arabes ont inversé la tendance en instillant la peur, non seulement dans le cœur des soldats israéliens, mais aussi dans celui des Israéliens.

Le 12 juillet 2006, un raid transfrontalier du Hezbollah a provoqué la mort de trois soldats des FDI et de deux autres soldats israéliens emmenés par le Hezbollah au Liban. Cinq autres ont été tués au Liban, lors d’une tentative de sauvetage qui a échoué. Les FDI ont lancé une invasion terrestre du Sud-Liban, imposant un blocus aérien et naval, tandis que le Hezbollah continuait à lancer des roquettes sur le nord d’Israël et à mener une guérilla contre les FDI.

Après une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies soutenue par les gouvernements israélien et libanais en août, le conflit a pris fin avec le déploiement de l’armée libanaise au Sud-Liban, la levée du blocus et, en octobre 2006, le retrait de la plupart des troupes israéliennes du pays.

L’OLP ne fait pas peur

Israël n’a pas eu peur du Liban lorsque l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) y avait sa base, après l’arrivée de l’OLP et de sa brigade du Fatah en 1971, à la suite de son expulsion de Jordanie.

L’OLP était une menace pour Israël, mais ne représentait pas une réelle menace. Son chef, Yasser Arafat, n’a jamais élaboré de stratégie pour affronter Israël et ses commandants militaires ont échoué lamentablement dans l’élaboration d’une stratégie de résistance. Arafat était davantage tourné vers la diplomatie et les forums de l’ONU.

Il a été prédit à plusieurs reprises qu’Israël lancerait une nouvelle guerre après celle de 2006 entre Israël et le Hezbollah, afin de se venger de sa défaite humiliante lors de ce conflit de 34 jours.
Il a été dit qu’Israël ne pouvait en aucun cas se permettre de laisser les résultats de la guerre en l’état. Mais cela ne s’est pas produit.

Dans ma jeunesse au Liban, les Arabes avaient vraiment peur d’Israël. On leur faisait croire que l’armée israélienne était invincible et que résister aux forces d’occupation israéliennes équivalait à se suicider. Deux facteurs ont contribué à l’émergence de ce mythe chez les Arabes.

Les régimes arabes ont promu l’idée que l’armée et les services de renseignement israéliens étaient exceptionnellement puissants et omniprésents, et qu’aucune personne raisonnable n’envisagerait de les défier ou d’essayer de les vaincre. Les gouvernements arabes voulaient que leurs populations craignent Israël afin de minimiser les risques d’escalade ou de confrontation avec l’armée israélienne.

La première priorité des dirigeants arabes était – et reste – la stabilité de leur régime. Je me souviens qu’en grandissant, les médias arabes publiaient de longs articles sur les succès et la sophistication des services de renseignement israéliens, ou sur l’armement de pointe de l’armée israélienne. Ils voulaient que les Arabes abandonnent la croyance en la résistance. La littérature politique et universitaire a également mis en avant cette notion d’invincibilité d’Israël.

L’ouvrage de Sadiq Al-Azm intitulé L’autocritique après la défaite, publié après la guerre de 1967, donne l’impression que les conditions civilisationnelles, scientifiques et culturelles nécessaires à la victoire contre Israël sont impossibles à remplir, pour l’instant.

La troisième guerre israélo-arabe a opposé Israël à une coalition d’États arabes, principalement l’Égypte, la Syrie et la Jordanie, du 5 au 10 juin 1967.

Al-Azm soutenait qu’une transformation large et significative de la société arabe à tous les niveaux était nécessaire avant même d’envisager d’affronter l’armée israélienne. Al-Azm et ses semblables refusaient de considérer la défaite comme purement militaire, ce qu’elle était avant tout.

Ces intellectuels ont exagéré la signification historique de la défaite. Après tout, l’Allemagne avait subi une défaite dévastatrice lors de la Première Guerre mondiale, mais s’était relevée dans les années 1930.

Ineptitude de l’OLP et volontaires libanais

L’OLP au Liban, sous la direction clownesque d’Arafat, peut être qualifiée de schizophrène. Arafat exagérait à l’extrême les capacités de l’OLP et se lançait dans un triomphalisme à l’égard d’Israël et de son armée.

Cependant, les performances réelles de l’OLP face à l’armée israélienne ont été en grande partie catastrophiques. L’OLP et ses alliés libanais ont bénéficié du soutien de nombreux pays arabes et internationaux, en particulier pendant la guerre froide. Pourtant, ces ressources n’ont pas été utilisées à bon escient et l’OLP n’a pas fait preuve d’un grand sens stratégique face à la menace militaire israélienne au Liban.

L’organisation prêchait qu’il était possible d’affronter et même de vaincre l’armée d’occupation israélienne, mais ce message contrastait profondément avec la réalité des performances de l’OLP. Ces résultats étaient bien en deçà des attentes élevées qu’Arafat et ses camarades avaient fait naître dans l’esprit des Arabes. Cela a affaibli le soutien à la cause palestinienne au sein de la population locale avant l’invasion israélienne de 1982.

L’invasion a galvanisé la résistance

Défilé du Hezbollah après la fin de l’occupation israélienne du Sud-Liban, mai 2000. (Khamenei.ir, Wikimedia Commons,CC BY 4.0)

Tout cela a changé après 1982. À une époque de défaitisme, de démoralisation et de dépression politique, alors qu’il semblait que l’occupation israélienne avait réussi à éteindre la flamme de la résistance parmi les Libanais et les Palestiniens au Liban, des volontaires libanais se sont levés pour tracer une nouvelle voie dans la lutte contre l’occupation israélienne.

Nombre d’entre eux avaient été formés au sein de l’OLP. Les volontaires libanais ont commencé à intensifier lentement la résistance nationale, un processus qui a finalement abouti au retrait humiliant des forces israéliennes du territoire libanais en 2000.

En mai de cette année-là, Israël s’est retiré du Sud-Liban jusqu’à la frontière internationale, conformément à la résolution 425 du Conseil de sécurité des Nations unies.

Dans les rangs, on trouve des communistes, des nationalistes syriens et des islamistes – ce qui deviendra plus tard le Hezbollah et le mouvement Amal. Le Hezbollah a établi un modèle de confrontation militaire avec Israël qui a rompu avec toutes les normes établies depuis la guerre israélo-arabe de 1948, qui a suivi la déclaration d’indépendance d’Israël.

C’est une combinaison de facteurs qui a amené le Hezbollah à un niveau de compétence et de sophistication militaire. Je ne souscris pas à l’idée que c’est le soutien militaire et financier de l’Iran qui a déterminé l’efficacité du Hezbollah.

L’OLP a reçu un soutien militaire et financier de la part d’un grand nombre de pays, mais cela ne s’est pas traduit par une force militaire efficace. Le Hezbollah a réussi à utiliser des ressources similaires de manière très efficace et a tiré les leçons de l’expérience de l’OLP en ne recourant pas à des déclarations grandiloquentes, mais en travaillant dans le plus grand secret. Il a gagné et conservé le soutien de l’opinion publique pour ses opérations contre l’armée israélienne.

La direction du Hezbollah contrastait fortement avec celle de l’OLP. L’OLP était souvent en conflit. Même au sein du mouvement Fatah d’Arafat, il y avait constamment des querelles et des luttes intestines, voire des affrontements entre les différentes factions.

Le Hezbollah a mis en place un commandement unifié et a confié à des individus la tâche de mettre en œuvre la stratégie de la direction. Leurs communiqués militaires rendaient compte de l’évolution de la situation sur le terrain de la manière la plus précise possible. Le mouvement a ainsi gagné en crédibilité sur le plan local, ce dont l’OLP n’a jamais bénéficié.

Le lobby israélien face à une menace redoutable

Un panneau érigé après la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah au Sud-Liban montre des roquettes et le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah. (Wikimedia Commons, domaine public).

Le Hezbollah a été en mesure de constituer une force militaire redoutable. Il a combiné le secret total des opérations militaires, la capacité de lire et de prédire le comportement de l’armée israélienne, l’utilisation de dispositifs et d’armes militaires avancés et l’utilisation pionnière de la guerre psychologique contre Israël – quelque chose que les armées arabes n’ont jamais envisagé ou utilisé.

L’organisation a pu entraîner ses combattants à effrayer les soldats israéliens, au lieu de les conditionner à les craindre. Le fait que l’armée israélienne ait formé une unité militaire spéciale pour faire face à l’éventualité d’un empiétement du Hezbollah en Galilée indique un niveau de préparation militaire arabe inconnu de toutes les armées arabes depuis 1948.

C’est pour cette raison qu’Israël fait pression contre le Hezbollah dans le monde entier et insiste, en général, pour le classer comme organisation terroriste. Toute force arabe qui résiste à l’occupation israélienne est considérée comme terroriste aux yeux de l’Occident et d’Israël. Certaines organisations arabes ont, malheureusement et de manière inquiétante, porté atteinte à des civils. Mais cela fait pâle figure en comparaison du bilan d’Israël en matière d’assassinats de civils, et ce à grande échelle. Bien entendu, cela ne doit pas excuser le fait que des civils aient été blessés par l’une ou l’autre des parties.

Israël reste confronté à un dilemme. D’une part, il veut déclencher une guerre pour donner une leçon au Hezbollah et raviver son prestige militaire passé. Mais il sait que la victoire est loin d’être garantie. C’est pourquoi Israël continuera à trouver des raisons de faire pression sur l’Occident pour qu’il désarme ses opposants, principalement en Palestine et au Liban.

Auteur : AS`AD AbuKHALIL, 30 Juin 2023

As`ad AbuKhalil est un professeur libano-américain de sciences politiques à la California State University, Stanislaus. Il est l’auteur du Dictionnaire historique du Liban (1998), de Ben Laden, Islam and America’s New War on Terrorism (2002), et de La bataille pour l’Arabie saoudite (2004). Il tweete sous le nom de @asadabukhalil

Article original en anglais: Consortiumnews.com

Traduction et source : https://arretsurinfo.ch/pourquoi-israel-craint-le-hezbollah/

URL de cet article : Pourquoi Israël craint le Hezbollah. (Arrêt Sur Info – 02/07/23) – L’Hermine Rouge (lherminerouge.fr)

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