Quand Bernard Arnault poussait pour Darmanin à Matignon. (Politico – 24/08/23)

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L’épisode en dit long sur la cote dont jouit le ministre de l’Intérieur auprès des grands patrons | Eric Feferberg/AFP via Getty Images

Par  PAUL DE VILLEPIN

L’ambitieux ministre de l’Intérieur a su nouer des liens solides avec les patrons, dont le premier d’entre eux.

PARIS ― Lorsqu’il sort de l’Elysée en ce début juillet, Bernard Arnault est sûr d’avoir fait mouche. Alors que la France vient de traverser une période d’émeutes provoquées par la mort de Nahel, les tractations en vue du remaniement vont bon train. Lors de son entretien avec Emmanuel Macron, qu’il voit plusieurs fois par an, le patron de LVMH plaide en faveur d’un départ d’Elisabeth Borne, trop à gauche à ses yeux. 

Pour remplacer la Première ministre, le deuxième homme le plus riche du monde, selon le magazine Forbes, évoque les prétendants putatifs issus des rangs de la droite, Bruno Le Maire, Sébastien Lecornu et surtout Gérald Darmanin, sur lequel il insiste tout particulièrement, d’après deux personnes au fait des échanges entre le chef de l’État et Bernard Arnault. 

Bernard Arnault sort de son rendez-vous, non répertorié à l’agenda officiel ― et que l’Élysée a refusé de confirmer à POLITICO ― persuadé que Gérald Darmanin sera nommé à Matignon. Si bien qu’il en avise plusieurs de ses proches par téléphone.

Perdu : dix jours plus tard, la Première ministre est confirmée dans son poste. Mais l’épisode en dit long sur la cote dont jouit le ministre de l’Intérieur auprès des grands patrons.

Des soutiens qui n’ont pas suffi pour être promu à Matignon, mais qui pourraient être cruciaux pour la suite. Ses partisans, réunis ce dimanche dans son fief de Tourcoing pour sa rentrée politique, connaissent ses ambitions. Ses appuis dans le monde des affaires aussi.

Bernard Arnault a fait sa connaissance à Bercy peu après qu’Emmanuel Macron l’a nommé ministre des Comptes publics en mai 2017. Depuis, les échanges entre les deux hommes sont fréquents.

Autre milliardaire incontournable du paysage économico-médiatique, Vincent Bolloré a aussi noué des liens avec l’ex-conseiller régional des Hauts-de-France, à l’époque étiqueté UMP, puis LR.  

“Vincent [Bolloré, ndlr] voit en lui quelqu’un qui a des orientations politiques globalement pas très éloignées de ce qu’il pense et Vincent le sert systématiquement”, remarque un grand chef d’entreprise, citant pour exemple les premiers numéros du JDD version Geoffroy Lejeune qui, en trois éditions, font la part belle aux faits et gestes du ministre de l’Intérieur. 

Contacté, Matthieu Ellerbach, le conseiller spécial du ministre, tempère : “Ils ont de bonnes relations, mais [Vincent Bolloré] n’a jamais été reçu à Beauvau.”

Doué pour le contact humain, Gérald Darmanin ne manque pas une occasion de soigner ses relations avec les patrons.

“Vous avez toujours un truc à demander à un ministre de l’Intérieur”, raconte le même grand chef d’entreprise, qui dit avoir bénéficié de petits services “comme les autres” par Gérald Darmanin, notamment sur des sujets de sécurité personnelle. 

Des états de service d’un garde du corps à vérifier ? Un problème urgent de passeport ? Une validation de port d’armes ? “Les petites choses ont de l’importance”, confie un ancien de son cabinet.

Lors de son entretien avec Emmanuel Macron, le patron de LVMH Bernard Arnault plaide en faveur d’un départ d’Elisabeth Borne, trop à gauche à ses yeux | Stefano Rellandini/AFP via Getty Images

De la même manière, être en odeur de sainteté auprès d’un ministre du Budget, de facto patron du fisc, n’est jamais inutile pour un dirigeant d’entreprise, lorsqu’on fait partie des plus gros contributeurs nationaux à l’impôt ou pour la conduite des affaires.

Si beaucoup d’arbitrages fiscaux remontent à la connaissance du ministre, Gérald Darmanin “faisait très attention d’éviter toute intervention dans des dossiers individuels”, assure cependant un haut fonctionnaire de Bercy. 

Bercy comme tremplin

C’est grâce aux sujets fiscaux, économiques et budgétaires, à l’époque où la hausse de la taxe carbone, la loi de lutte contre la fraude fiscale ou la loi pour un État au service d’une société de confiance (ESSOC) occupent ses journées, que Gérald Darmanin tisse des liens avec des acteurs économiques de premier plan. 

Il met également son nez dans la structuration de Choose France, sommet créé en 2018 par Emmanuel Macron et destiné à attirer des investissements étrangers dans l’Hexagone.

Avant sa nomination au gouvernement, l’ex-maire de Tourcoing comptait parmi ses réseaux bon nombre d’entrepreneurs nordiques, comme Bertrand Dumazy, PDG d’Edenred, natif de Tourcoing, et la famille Mulliez dont il connaît plusieurs membres, en particulier Barthélémy Guislain, président de l’Association Familiale Mulliez, qui contrôle de nombreux fleurons du commerce français (Auchan, Décathlon, Leroy Merlin…), comme le racontait récemment l’Informé

“Pour ce qui est du Nord, il connaît tous les grands patrons”, confirme la député Renaissance Brigitte Liso, élue dans le département. Un chef d’entreprise est toujours flatté qu’un parlementaire, qui plus est un ministre, soit à son écoute.”

À Bercy, “il organisait des rendez-vous avec des grands patrons et des économistes au sens large, par exemple Olivier Blanchard, pour prendre le pouls et comprendre quelles étaient les attentes et motivations” des leaders économiques du pays, relate un ancien de son cabinet.

Lors de son passage au ministère des Comptes publics, il n’oublie pas d’avoir de petites attentions qui ne manquent pas de flatter les ego. Il remet la légion d’honneur à son ami Antoine Flamarion, co-fondateur du fonds Tikehau capital, et promeut au grade de Chevalier, Grégoire Chertok, le banquier d’affaires star de Rothschild. 

Autre personnalité du monde de l’investissement, il est également proche de Thierry Déau, boss du fonds Meridiam. À tel point que pour prévenir toute situation de conflit d’intérêts, il a décidé de se déporter de la fondation Archery, destinée à l’insertion des talents des quartiers populaires, montée par Thierry Déau.  

Chez Ardian, l’un des plus gros fonds de private equity français, il fréquente Dominique Senequier, sa présidente et est ami avec François-Aïssa Touazi, un ancien diplomate, désormais co-responsable des relations investisseurs du fonds.

Gérald Darmanin est aussi sur l’estrade le jour où Nicolas Sarkozy remet l’insigne de chevalier dans l’ordre national du Mérite à David Layani, fondateur de l’entreprise Onepoint, spécialiste de la transformation numérique. Avec ce quadra, proche de bon nombre de politiques et des réseaux sarkozystes, la relation s’est nouée au cours de vacances passées en Corse.

Des années Sarkozy, dont Gérald Darmanin fut le collaborateur à l’UMP, il garde une relation privilégiée avec Sébastien Proto, ex-directeur général adjoint de la Société Générale, récemment nommé président des cliniques Elsan.

Gérald Darmanin fut le collaborateur à l’UMP de Nicolas Sarkozy | Philippe Huguen/AFP via Getty Images

L’ex-inspecteur des finances, tête pensante d’une bonne partie du programme économique de l’ex-président, le voit “en bilatérale” et le retrouve aussi lors du dîner annuel des anciens collaborateurs de Nicolas Sarkozy.

Au cœur du printemps, dans les semaines précédant le remaniement, son offensive pour Matignon s’est accompagnée d’un networking intense. “Il a commencé à s’activer très fort depuis quelques mois”, se souvient un observateur de la droite au fait des nombreux dîners organisés par le ministre. 

Source : Quand Bernard Arnault poussait pour Darmanin à Matignon – POLITICO

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