Quand Darmanin dînait avec l’imam Iquioussen, qu’il veut à présent expulser. ( Mediapart – 25/08/22 )

Gérald Darmanin après l’annonce de sa victoire aux élections municipales de Tourcoing, le 31 mars 2014. © Photo Franck Crusiaux / REA

Le Conseil d’État se prononce vendredi sur l’expulsion de l’imam Hassan Iquioussen, souhaitée par le ministre de l’intérieur. Mediapart a appris qu’avant les municipales de 2014 à Tourcoing, Gérald Darmanin avait tenté de séduire lors d’une rencontre celui qui avait déjà tenu les propos antisémites qui lui sont aujourd’hui reprochés. Il cherchait à s’attirer les voix des musulmans dans le Nord.

Le Conseil d’État se penche ce vendredi 26 août sur l’arrêté d’expulsion du prêcheur Hassan Iquioussen. Signé de la propre main du ministre, l’arrêté d’expulsion de ce prédicateur historique de l’ex-UOIF (Union des organisations islamiques de France, réputée proche des Frères musulmans), d’origine marocaine mais né en France, fait l’objet d’une abondante campagne de communication du ministre.

Ces quatre dernières semaines, le locataire de la Place Beauvau aura en effet couru les micros pour dire tout le mal qu’il pense de cet « ennemi de la République » qui « tient des propos antisémites »« nie l’égalité entre les femmes et les hommes »« nie des génocides », mais dont le tribunal administratif de Paris a décidé, le 5 août, de suspendre l’expulsion.

De ce feuilleton abrasif « Darmanin-Iquioussen », il existe pourtant un chapitre dont ni les notes de renseignement produites par le ministère de l’Intérieur, ni Gérald Darmanin ne font mention.

Un dîner, plus précisément, jusque-là resté secret, durant lequel Gérald Darmanin et Hassan Iquioussen ont échangé politesses et conseils, en marge des élections municipales de 2014. Le but : ravir les voix des musulmans de Tourcoing et les ramener dans l’escarcelle de Gérald Darmanin, en misant notamment sur l’influence du prédicateur.  

Selon les informations de Mediapart, ce dîner d’une durée d’environ deux heures à vocation électorale, organisé dans un domicile privé du quartier Gambetta de Tourcoing, a réuni une petite dizaine de personnalités de la communauté musulmane locale, au premier rang desquelles Hassan Iquioussen et l’un de ses fils. 

Mediapart a retrouvé deux autres invités de l’époque, qui ont détaillé, à l’oral et à l’écrit, l’existence de cette soirée électorale discrète en présence du prédicateur et de Gérald Darmanin.

Contacté par Mediapart sur les circonstances et la teneur de cette rencontre, le ministre n’a pas répondu à nos questions. 

Joint par téléphone, Hassan Iquioussen, resté silencieux depuis le début de cette affaire, a, lui, commenté : « On a passé une très belle soirée. C’était très positif, on s’est mis d’accord sur 99,9 % des sujets de conversation. »

Pas question à l’époque de grands coups de menton ni de violentes diatribes à l’égard du religieux. « L’ambiance était cordiale, se souvient Mounir*, ingénieur originaire de la région, alors assis à proximité du ministre. Il n’y avait ni d’échanges musclés ni même de débats contradictoires. C’était constructif. » 

À l’époque, des ponts sont jetés entre l’UMP, parti auquel appartient alors Gérald Darmanin, fraîchement élu député de la 10e circonscription du Nord, et l’UOIF (rebaptisée depuis Musulmans de France), proche des Frères musulmans, dont Hassan Iquioussen est un conférencier star, tout comme Tariq Ramadan, lors des rassemblements du Bourget. 

En 2013, l’UOIF appelle à marcher contre le mariage homosexuel. Et quand Gérald Darmanin bat le pavé le 24 mars 2013, dans le cortège de la Manif pour tous, les militants de l’UOIF manifestent déjà depuis deux mois avec des banderoles, certaines en français, d’autres en arabe.

Le jeune député, à ce moment-là, a un objectif en tête, la mairie de Tourcoing, et une théorie qu’il évente régulièrement lors de ses prises de parole publiques : si son nouveau mentor Nicolas Sarkozy a perdu les élections présidentielles de 2012, c’est à cause des musulmans qui se seraient massivement reportés sur le bulletin de François Hollande. Pour autant, Gérald Darmanin pense que les musulmans sont foncièrement de droite : « Ils ont un discours volontiers “réactionnaire” en fait (rire), bien plus en tout cas que les catholiques », indiquait-il, interrogé pour son livre Passion française par l’islamologue Gilles Kepel .

Darmanin spécule alors sur un vote musulman

Il multiplie alors les appels du pied. « Si je suis maire de Tourcoing, je ne célèbrerai pas personnellement de mariage entre deux hommes et deux femmes », tweete-t-il ainsi le 2 juin 2013. 

Comme beaucoup de ses camarades de droite de l’époque, il spécule sur un supposé vote musulman et pense pouvoir faire tomber la municipalité de Tourcoing, aux mains des socialistes depuis presque un siècle. 

Pour ce faire, il compte sur une personnalité clé de la ville : Salim Achiba. Cet expert comptable, formé à l’université de Villeneuve-d’Ascq, est une vieille figure associative de la vie tourquennoise. Ancien colistier de Christian Vanneste, lors des élections municipales de 2001, Salim Achiba avait déjà été choisi à l’époque pour ramener au candidat de droite un vote communautaire. 

En 2012, le député de la 10e circonscription du Nord est écarté en raison de ses propos homophobes. Gérald Darmanin récupère sa circonscription et Salim Achiba se met rapidement dans sa roue. 

Ce professeur propre sur lui a un pied dans les associations locales et les centres sociaux, il fréquente également assidûment les mosquées de la ville lors de la prière du vendredi ou les fêtes. « C’est lui qui a rendu Darmanin acceptable aux yeux de la communauté musulmane, décrypte le militant roubaisien Les Républicains Amine El Bahi, fin connaisseur de la région. J’ai du respect pour lui. » 

Des points de convergence contre le mariage des homosexuels

Du respect pour Salim Achiba, Hassan Iquioussen en a aussi. Il dit le connaître amicalement depuis l’époque où il tenait le prêche dans les foyers du campus de Villeneuve-d’Ascq, que les deux hommes fréquentaient. « Monsieur Achiba assistait à mes conférences de manière régulière », assure-t-il. 

C’est donc Salim Achiba qui s’est tout naturellement chargé d’organiser le dîner préélectoral avec la communauté musulmane à Tourcoing. Pour le bon déroulé de l’événement, il met à disposition un appartement et s’occupe d’inviter les convives et de garnir la table. « Des pizzas », se souviennent les convives.

Yanis*, qui assiste de loin à la campagne de Gérald Darmanin à l’époque, fait partie des invités que Salim Achiba accueille dans cette grande maison bourgeoise en briques dont les dépendances sont réaménagées en plusieurs petits logements individuels. « Hassan Iquioussen est arrivé un peu en retard avec son fils. Salim Achiba a été le premier à prendre la parole. Il a présenté Gérald Darmanin et celui-ci a ensuite expliqué pourquoi il voulait devenir le maire de Tourcoing. »

Après un tour de table, l’échange permet au candidat d’exposer ses vues convergentes sur le mariage homosexuel. « Darmanin mettait un point d’honneur à rappeler qu’il portait comme deuxième prénom Moussa, que ça venait de son grand-père », se remémore Yanis. « Il disait : “Nous partageons certaines opinions. Vous, les musulmans, vous n’approuvez pas le mariage homosexuel. Nous avons cette même ligne.” »

Mounir, lui, se souvient surtout « des discussions autour de la capacité des populations musulmanes à se déplacer dans les bureaux de vote ».

Interrogé sur sa participation par la suite à la campagne de Gérald Darmanin, Hassan Iquioussen assure aujourd’hui ne pas avoir appelé à voter pour le candidat. Il déclare en revanche avoir maintenu d’excellentes relations avec son bras droit, Salim Achiba, au point d’avoir sollicité son entremise il y a quelques mois en apprenant le non-renouvellement de son titre de séjour : « J’ai mangé son sel, comme disent les Arabes. Quand quelqu’un vous invite, qu’il vous ouvre la porte de chez lui, et qu’il vous fait partager un repas, ça veut bien dire que vous avez de l’importance et de la valeur à ses yeux. »

Les faits et propos de Hassan Iquioussen étaient déjà connus

Gérald Darmanin pouvait-il ignorer à l’époque de ce dîner les controverses entourant déjà le prédicateur ? Ni le ministère de l’Intérieur ni Salim Achiba n’ont souhaité répondre à ce sujet.

De fait, Hassan Iquioussen était loin d’être un inconnu à l’époque. Certaines affaires reprochées aujourd’hui par le ministre avaient déjà fait les gros titres de la presse nationale. Dès 2004, L’Humanité révèle l’existence de ses propos lors de la conférence antisémite « La Palestine, histoire d’une injustice », dont les cassettes, qui se vendent dans certaines librairies islamiques du pays, décrivent les juifs comme « ingrats »« avares »« vivant entre eux dans des ghettos », et une prétendue « connivence » entre Hitler et les sionistes. 

Un autre des griefs actuels ne manque pas de sel. Il est reproché à Hassan Iquioussen sa participation, aux côtés de Marwan Muhammad, responsable du CCIF (Comité contre l’islamophobie en France), à la table ronde « Islamophobie décomplexée. Quel impact sur notre société ? », organisée le 9 février 2013 dans le Maine-et-Loire. 

Or, cette même année 2013, Gérald Darmanin, alors député, participait à une réunion similaire organisée avec le même Marwan Muhammad à Tourcoing. Sept ans, donc, avant qu’il n’arrive au ministère de l’Intérieur et qu’il ne décide de dissoudre en 2020 l’ONG érigée du jour au lendemain en « ennemi de la République ».  

Pour Ali Benfiala, militant associatif antiraciste local, « c’est avant tout la démonstration que cet homme est dépourvu de colonne vertébrale, qu’il n’a pas de convictions… Il est le produit le plus pur de l’opportunisme politique ».

Source : Quand Darmanin dînait avec l’imam Iquioussen, qu’il veut à présent … | Mediapart

Auteur : Lou Syrah

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