Ce fut l’un des points les plus commentés du discours du Premier ministre le 30 janvier. Veut-il augmenter les salaires, à commencer par ceux des fonctionnaires ? On peut en douter ! En fait, c’est un véritable jeu de dupes qu’il voudrait lancer.
Par Yacine Hadjhamou
Comme nous l’avions écrit dans ces mêmes colonnes il y a deux semaines, près de 18 % des salariés du privé et près de 20 % des salariés de la fonction publique étaient payés au Smic en janvier 2023. Et cette situation vient de loin.
S’il n’y a jamais eu formellement d’échelle mobile des salaires en France (hormis le Smic qui est automatiquement relevé dès que l’inflation dépasse 2 %), dans les faits, si l’on examine les accords conclus dans les années 1970 dans les grandes branches professionnelles, les accords salariaux aboutissaient à ce que les augmentations de salaires soient, a minima, au niveau de l’inflation réelle. Le blocage des prix et des salaires en 1982 (surtout des salaires, on l’aura compris) a abouti à casser ces mécanismes.
Chez les fonctionnaires, une perte de 50 % de pouvoir d’achat depuis 1982
Ce n’est pas l’objet de cet article d’y revenir mais, de fait, à partir de 1982 et 1983 (second plan de rigueur), les augmentations de salaires négociées dans les branches professionnelles l’ont été en fonction « des prévisions et objectifs d’inflation » fixés par les gouvernements et non plus de l’inflation réelle. Et la « négociation annuelle des salaires en entreprise » instaurée en 1982 s’est transformée, bien souvent, en machine à privilégier les augmentations individuelles au détriment des augmentations générales.
Les salaires moyens ont commencé à décrocher. Dans la fonction publique, encore plus, au nom des sacrifices que devaient consentir les « privilégiés » bénéficiant de la garantie d’emploi.
On a peine à s’imaginer aujourd’hui la violence de la campagne engagée non seulement par les gouvernements successifs (de « gauche », faut-il préciser) mais aussi toute la classe médiatique et à sa bonne place le leader de la CFDT de l’époque Edmond Maire contre les « privilégiés ».
Selon une étude, depuis 1982, la valeur du point d’indice, qui sert de base au calcul des rémunérations des fonctionnaires, a perdu 50 % de sa valeur si on la rapporte à l’inflation.
De gigantesques exonérations de cotisations pour les patrons
Pour le privé, la part des salaires dans la valeur ajoutée brute corrigée des facteurs n’a cessé de diminuer depuis 1983.
À cela, s’est ajoutée, au nom de la lutte pour l’emploi, l’exonération des cotisations sociales sur les « bas salaires » dont le Smic, politique qui a été élargie par tous les gouvernements et en particulier par celui de Jospin (« gauche plurielle », PS, PCF, écologistes) et ensuite par celui de Fillon, jusqu’à aboutir aujourd’hui à une situation où les employeurs ne paient aucune cotisation sociale pour les salaires jusqu’à 1,5 fois le Smic (coût pour les finances publiques : entre 75 et 77 milliards par an selon les différentes études).
Passons sur les péripéties, tout au long de ces années, des déclarations plus tonitruantes les unes que les autres sur les « sacrifices » nécessaires pour préserver et créer des emplois (mention spéciale à Gattaz, chef du Medef en 2013, et de son « million d’emplois » promis dont personne n’a jamais vu la couleur).
Tout cet ensemble a constitué un appel d’air formidable à « smicardiser » les salaires pour reprendre l’expression d’Attal.
Revenons aux propos du Premier ministre.
Le Smic en ligne de mire
S’agit-il de proposer une augmentation de tous les salaires, disons de 20 % ? Vu la politique du gouvernement, on peut en douter.
S’agit-il de revenir à une échelle mobile des salaires avec indexation automatique sur l’inflation ? Tous les salariés qui subissent depuis des années ces politiques et depuis deux ans en particulier ne vont bien sûr se faire aucune illusion.
Un moyen tout simple serait de supprimer le Smic : il n’y aurait alors plus de « smicardisation » car il n’y aurait plus aucune référence, plus de Smic. On se doute que, pour ce gouvernement, pour qui les désirs du capital financier sont des ordres, ce serait la solution idéale.
Mais le caractère explosif d’une telle mesure la rend difficilement envisageable… pour l’instant. Faisons confiance à ces gens pour s’y autoriser à la première occasion.
Reste aussi la solution de supprimer le mécanisme d’indexation du Smic sur l’inflation (l’échelle mobile du Smic) en échange de la promesse « de grandes négociations », d’« un grand dialogue social », qui aboutirait à une revalorisation des salaires dans les branches professionnelles et les entreprises. C’est une petite musique qui court dans les propos d’Attal à l’Assemblée : la place des branches professionnelles, mais aussi l’adaptation à la réalité des entreprises. Mais pour cela, faudrait-il que les dirigeants des grandes confédérations syndicales acceptent de se prêter à ce jeu de dupes. Cela sera-t-il le cas ?
À suivre.
Source: https://infos-ouvrieres.fr/2024/02/09/quand-gabriel-attal-veut-desmicardiser-la-france/
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/quand-gabriel-attal-veut-desmicardiser-la-france-io-fr-9-02-24/