Quid de la contre offensive ukrainienne par Sacha Bergheim ? (H&S-10/09/22)

Sacha Bergheim, israélien français connaissant bien le monde russe est actuellement au Daghestan d’où il envoie ce commentaire sur l’état du Front et sur la première contreoffensive de l’OTAN face aux Russes. Parce que désormais la bataille qui se joue oppose bel et bien l’OTAN à la Russie… Bliken pret à se battre jusqu’au dernier Ukrainien et pourquoi pas européen, voit dans cette bataille les énormes pertes russes, l’allié chinois affaibli,c’est un bel optimisme qui prouve à quel point l’Ukraine est de la chair à canon comme ce sont les européens qui payent la note de cet art d’épuiser selon les USA les Russes. Autre paradoxe, le choix de la stratégie soviétique dans cette contre offensive et qui dit stratégie soviétique pense au piège d’Alexandre Nevski, cet art de laisser s’avancer l’ennemi pour le prendre en tenaille et effectivement le couloir d’offensive peut se refermer (voir ci dessous carte) . Cette analyse confirme le bulletin spécial que Marianne traduit pour nous quotidiennement mais elle reste exclusivement militaire alors que le bulletin lui contextualise le militaire dans une stratégie anti-OTAN qui a des dimensions autant sinon plus économiques et géopolitiques. .Sans oublier que la guerre est livrée partout contre les peuples et pour les intérêts des mêmes.(note de danielle Bleitrach pour histoireetsociete)

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Voir ci dessous carte des avancées OTAN-Ukraine

https://fb.watch/frUBwGwlBA/

Il n’était pas possible de manquer de publier à l’occasion de l’offensive ukrainienne sur Izyul et Kupiansk qui se déroule en ce moment parce qu’il s’agit en réalité de la seule et première offensive ukrainienne depuis le début de la guerre. Une offensive est par définition un ensemble d’actions menées pour détruire les capacités de l’ennemi et le contraindre à soit se replier soit se rendre.

Beaucoup de bruit a été fait autour de la fameuse “contre-offensive” de Kherson dont nous avions déjà signalé qu’elle ne représentait rien. Pourquoi la percée ukrainienne entre Kupiansk et Izyum? Il y a quatre raisons à cela qui rendent le développement des opérations militaires des prochains jours décisifs:

1 le terrain: contrairement à la steppe de Kherson où tout rassemblement est observable à distance et où l’aviation russe a pu détruire des dizaines et des dizaiens de blindés, sans compter les unités laminées par des bombes FAB 500. Il a été facile de laisser venir l’adversaire, l’encercler et réduire les poches avancées non ravitaillées. A l’inverse, la région à l’est de Kharkov est plutôt valonnée et entrecoupée de nombreux bois et forêts. Cela a un impact certain dans la contrainte que cela représente pour les avions d’opérer à l’aveugle sans reconnaissance au sol.

2 l’absence de second échelon russe. Contrairement à Kherson où les médias occidentaux et autres experts ont prétendu que le himars avait fait des merveilles (oui, quelques opérations tactiques), à aucun moment le corps russe n’a été isolé, sans ravitaillement ni coupé de ses bases arrière. Cela explique pourquoi le front a tenu le choc de dix attaques simultanées. Du côté de Balakleya, il n’y avait qu’une ligne de défense.

3 la doctrine: à Kherson, ce sont les méthodes occidentales qui ont été appliquées sans couverture aérienne, à Kharkov, c’est la doctrine en apparence soviétique: percée massive, introduction d’unités mobiles de reconnaissance pour isoler les points de défense et couper les approvisionnements. Comme la couverture aérienne est limitée près de Kupiansk, l’effet bélier a pu fonctionner à plein régime et être exécuté avec brio.

4 le commandement occidental: paraxodalement, si la doctrine est de type soviétique, c’est uniquement en raison du terrain et non de la stratégie militaire sous-jacente. Le commandement est britannique, le renseignement américain, et les unités de reconnaissance sont issues dans la majorité des PMC (les Wagner occidentaux).

Le premier échelon ukrainien a fixé les forces russes dans les communautés urbaines sans les prendre d’assaut, tout en laissant les unités de reconnaissance prendre le contrôle stratégique des routes de ravitaillement, ce qui a obligé les russes à deux opérations aéroportées pour faire venir en toute urgence des forces capables d’organiser une retraite du gros des forces et redéployer des points de fixation afin de limiter au nord et au sud l’avancée ukrainienne. Dans un second temps, les unités occidentales privées sont rejointes par les bataillons mécanisés ukrainiens. On peut s’interroger sur la stratégie russe: au début de l’offensive, les Ukrainiens disposaient d’un ratio de 1 à 3 [9000 VS 3000] en leur faveur (ce qui était le cas des offensives précédentes, sans aucun succès notable), puis ils ont dégarni les unités présentes autour de Kharkov, les faisant passer par la ville relais de Chuguev à l’est de Kharkov, permettant d’accroître, avec les ravitaillements, le ratio de 1 à 10 [5000 Russes (et alliés) avec les renforts VS 50 000 Ukrainiens (et alliés)], ce qui est impossible à contrer. A cela on ajoute un usage raisonné et opérationnel des MLRS sur le front: les lanceurs multiples ont frappé à chaque étape les renforts possibles, donnant l’opportunité au premier échelon offensive de progresser sous un feu ennemi limité.

Autrement dit, c’est la première fois où les forces ukrainiennes-otan (ne le cachons pas, l’otan est DIRECTEMENT impliqué) agissent de manière combinée donc performante. En même temps, les forces ukrainiennes continuent d’attaquer plusieurs zones du front dans le but d’empêcher le redéploiement des unités russes et alliées vers Kupiansk et Izyum. Cela correspond ainsi à la définition militaire d’une offensive. C’est l’opération la plus massive depuis le début du conflit.

Les Russes ont établi une ligne défensive et la bataille se joue actuellement dans les faubourgs de Kupiansk, le village de Senkove a été pris par les unités de reconnaissance avec surtout le pont qui n’a pas été détruit, donnant un accès quasi direct à l’autoroute qui sert de ravitaillement à tout le front de l’oblast de Kharkov. Plusieurs opérations aéroportées sont en cours pour ravitailler le front, une unité de réserves des forces du ministère de l’intérieur russe ainsi que 400 PMC Wagner ont pris position sur la route entre Izyum et Kupiansk (900 hommes [info exclusive!]), et des colonnes de blindés ont été repérés sur la route. Pour le moment Izyum n’est pas isolé et les Russes mènent une offensive vers Slaviansk pour empêcher l’offensive ukrainienne combinée de s’y étendre (2000 hommes au nord de Slaviansk).

Trois paramètres rentrent en ligne de compte:

-pourquoi les russes n’ont pas détruit les ponts qui mènent à la voie stratégique Belgorod / Izyum?-pourquoi ont-ils observé l’accumulation de moyens à Chuguev sans le frapper et n’ont-ils laissé qu’une ligne défensive au lieu des deux échelons habituels?

-pourquoi les Russes n’ont pas bombardé Chuguev avant MAIS hier soir, soit le principal point de ravitaillement APRES le début de l’opération ukrainienne?

On peut émettre trois hypothèses pour lesquelles nous aurons de réponse qu’une fois l’opération en cours achevée:

1-les Américains ont observé que les Russes ont dégarni un front qui dispose d’une profondeur stratégique de 40km, en raison des moyens limités que les Russes s’imposent au nom de leur “opération spéciale” qui implique principalement des unités locales (mobilisés de Lugansk, Donetsk) et des forces spéciales (garde nationale, Tchétchènes) épaulés par des unités d’artillerie de l’armée russe et des contractuels privés (Wagner), et ont pu mobiliser beaucoup de forces, en raison du corps d’armée assurant la défense de Kharkov. Le but est ainsi opportuniste: prendre Kupiansk et Izyum avant l’automne par le biais d’une grande tenaille.

2-les Russes ont dégarni volontairement la zone de Balakeya pour étirer les forces ukrainiennes qu’ils ne parviennent pas à défaire dans les cercles défensifs autour de Kharkov, une tactique éprouvée lors des différentes attaques combinées ukrainiennes des deux derniers mois, en laissant la zone attractive (en ne dynamitant pas les ponts qui donne accès à l’autoroute stratégique vers Izyum) et en conduisant les Ukrainiens dans une petite tenaille.

3-une combinaison des deux. Il me semble que les Ukrainiens ont prévu une offensive, repérée par les Russes qui dégarnissent le front en omettant que le commandement occidental tienne compte des leçons passées, d’où le ratio incroyablement plus élevé où les forces ukrainiennes jouent leur atout ultime.

Les Russes ont de toute évidence été pris de court par la qualité opérationnelle des unités de reconnaissance, le choix de contourner les zones défensives pour couper l’arrière, et par la quantité d’équipement impliqué dans les forces, avec le risque inhérent que cela représente. Les Russes actuellement déploiement beaucoup de renforts mais avec deux jours de retard sur les Ukrainiens. La question est donc de savoir si dans ce délai de deux jours avec que les Russes ne puissent réduire le ratio de 1 pour 10 à 1 pour 3 (qu’ils gèrent plutôt bien en raison de leur densité en artillerie et des sorties aériennes), les Ukrainiens vont réussir à occuper Kupiansk et à couper l’autoroute vers Izyum.

Si c’est le cas, cela obligera les Russes à reconsidérer la nature de “l’opération spéciale” et à passer à la vitesse supérieure s’ils ne veulent pas risquer de perdre militairement ce que Zelenski gagne politiquement.

Si les Ukrainiens stagnent sur les fronts nord et sud, et ne parviennent pas à enfoncer la ligne à l’est de Senkove, ils risquent de se retrouver en encerclement opérationnel, sans fortification, et un repli ou une défaite serait alors fatale pour le corps d’armée de Kharkov. C’est donc non à Kherson mais à Kupiansk que se joue la bataille la plus décisive de toute l’année 2022.

Si les Russes ne reconquièrent pas le terrain perdu, ils auront perdu politiquement, moralement et militairement: cela signifie que l’opération spéciale est incapable de résister à une percée et cela donnera aux Ukrainiens sur les zones les plus tendues du front une raison de plus d’espérer.

Si les Ukrainiens ne parviennent pas à couper Izyum et à faire tomber la ville, c’est une offensive très coûteuse en hommes qui risque de rapprocher les forces armées ukrainiennes du point de rupture. Près de 5000 hommes ont été perdus sur le front de Kherson (soit 5 fois plus que les Russes) et plus de 560 soldats ukrainiens ont perdu la vie durant le premier jour de l’offensive de Balakleya (mais sur un ratio de 50.000 hommes, cela n’affecte pas les capacités opérationnelles, cela jouera uniquement si la bataille se prolonge à ce rythme et sans gain stratégique).

Qui plus est, en dégarnissant d’autres fronts, les Russes, et notamment les forces de Kadyrov sont reparties à l’assaut et sont au coeur de Bakhmut.Nous avions noté à plusieurs reprises que les forces ukrainiennes n’avaient réussi la moindre offensive jusque là: incapacité tactique, moyens limités, mauvaise coordination, ratio insufissant, échelons limités.

C’est une situation inédite qui se joue en ce moment et qui donne lieu à des batailles féroces où chaque camp a pleinement conscience qu’une défaite a des conséquences respectives qui sont existentielles: tant que l’armée russe n’est pas défaite, elle apparaîtra encore pour les Ukrainiens comme une menace existentielle, et si l’armée ukrainienne n’est pas défaite, c’est l’ossature même de la stabilité de la fédération de Russie, son armée, qui est menacée, avec un risque d’implosion qui pourrait survenir plutôt que prévu

PS: ce qui m’inquiète c’est que les ukrainiens ont mis leurs meilleures unités dans cette bataille. S’ils ne gagnent pas, cela ne laisse plus aucun espoir de réellement peser par la suite. C’est un véritable quitte ou double qui ne repose que sur une seule variable, la lenteur de la mobilisation des unités russes de réserve

Leçon du jour venant du Daghestan:”Акьулсуз дустунилай акьуллу душман хъсан я”: Un ennemi intelligent vaut mieux qu’un ami stupide 😉 (cela s’appelle l’émulation!)

source: https://histoireetsociete.com/2022/09/10/quid-de-la-contre-offensive-ukrainienne-par-sacha-bergheim/

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