RÉCIT. La méconnue conspiration bretonne pour tuer Hitler (OF.fr 09/05/2023)

Le 9 novembre 1938, quelques heures seulement avant la Nuit de cristal, un homme voulut s’en prendre à Adolf Hitler lors d’une marche commémorative à Munich. Son nom : Maurice Bavaud, bras armé d’une étrange et encore aujourd’hui méconnue conspiration, née dans un séminaire des Côtes-du-Nord, ayant à sa tête un Breton qui s’appelait Marcel Gerbohay et qui paya de sa vie ses visions prémonitoires. Le magazine « Bretons » revient sur cette histoire.

Adolf Hitler à Dortmund en 1933. | PETER NEWARK HISTORICAL PICTURES / BRIDGEMANN IMAGES

Connaissez-vous Marcel Gerbohay ? Probablement que non. Ce jeune Breton originaire de Pacé, en Ille-et-Vilaine, a pourtant été identifié comme le principal instigateur d’une conspiration montée dans le but d’assassiner Adolf Hitler avant même le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

Ce n’est pas rien, bien sûr, et le fait d’imaginer les répercussions de l’attentat s’il avait réussi donne le vertige. Tout se serait joué en quelques petites secondes l’après-midi du 9 novembre 1938 à Munich. Quelques secondes et des détails pour changer le destin planétaire des années qui suivirent. Des bras qui se tendent et bouchent un angle de tir, un soleil qui vient aveugler le tireur, lequel n’a même pas le temps de sortir le pistolet de sa poche que, déjà, sa cible s’éloigne, hors de portée. C’est l’échec.

Hitler poursuit sa marche commémorative en souvenir d’un autre attentat raté, celui de la brasserie de Munich en 1923, qui lança l’ascension de celui qui allait prendre le pouvoir en Allemagne dix ans plus tard. Fendant la foule extatique, le Führer a échappé – il ne le sait pas encore – à la mort.

Une conspiration née à Langueux

Le jeune homme au pistolet resté dans la poche s’appelle Maurice Bavaud. Ce n’est que bien après la fin de la guerre qu’il sera reconnu comme l’un de ceux qui ont tenté en vain de s’en prendre au tyran sanguinaire, comme d’autres, plus connus, l’ont fait après lui, par exemple Johann Georg Elser, en 1939 toujours à Munich, ou Claus von Stauffenberg, à l’été 1944 à la Tanière du Loup. Maurice Bavaud, la main armée, et Marcel Gerbohay, l’instigateur, se sont connus en Bretagne en 1936.

C’est au séminaire de Saint-Ilan, dans la commune de Langueux sur les bords de la baie de Saint-Brieuc, que les deux jeunes hommes ont d’abord été camarades, puis amis et finalement comploteurs d’un projet plus grand qu’eux qui a fini par les tuer.

« Un garçon chétif aux nerfs fragiles »

Cette extraordinaire histoire a fait l’objet d’une enquête passionnante de Jean-Baptiste Naudet, publiée l’an dernier sous le nom Seul pour tuer Hitler. Centré sur la personnalité et le destin tragique de Maurice Bavaud, ce livre révèle néanmoins que les origines de cette tentative d’assassinat furent d’abord collectives, l’œuvre d’un petit groupe d’étudiants qu’on pourrait imaginer sous les traits des adolescents du célèbre film Le Cercle des poètes disparus. En plus de Maurice Bavaud et de Marcel Gerbohay, il y avait aussi Émile Jacquot, Raymond Blény, Mathias Tomanski, Alexandre Desilvestri, Jean Monnard, Fernand de Cools…

Tous scolarisés à Saint-Ilan, ancienne colonie pénitentiaire agricole devenue lycée d’horticulture (ce qu’il est toujours aujourd’hui), « une école apostolique des pères de la congrégation du Saint-Esprit », précise Jean-Baptiste Naudet. C’est par l’entremise de cette congrégation que le Suisse Maurice Bavaud débarque en Bretagne à la rentrée 1936 avec pour envie de devenir séminariste. Maurice, Marcel et les autres partagent la même fervente foi catholique et suivent avec inquiétude, depuis leur coin de Bretagne, les actualités internationales.

Gerbohay, surtout, présenté dans l’enquête comme un « garçon chétif aux nerfs fragiles, rocambolesque, charismatique et volontiers affabulateur ». En proie à des crises délirantes qui impressionnent ses voisins de dortoir, il veut d’abord s’en prendre aux bolcheviques, coupables selon lui d’athéisme, avant de finalement souhaiter punir Hitler, dont il pressent la dangerosité. Bavaud est fasciné par les prédications de ce Breton aux grands yeux bleus.

Pacte de sang

Après les cours, sur la plage des Rosaires, les deux amis et leurs camarades se réunissent en secret. Un nom informel est attribué à leur confrérie : la Compagnie du mystère. « Une société conspiratrice mi-politique, mi-potache », comme la présente Jean-Baptiste Naudet. Le dénommé Émile Jacquot en prend la présidence officieuse, mais c’est bien Marcel Gerbohay qui en est le meneur naturel. Après le rituel du pacte de sang, tous se promettent d’en finir avec le menaçant dictateur d’outre-Rhin qu’ils comparent à Satan.

Combien sont-ils, parmi les jeunes lycéens, à prendre le serment au sérieux ? Maurice Bavaud, en tout cas, est de ceux-là. De retour chez lui à Neuchâtel pour les vacances à l’été 1938, le Suisse décide à la rentrée de ne pas revenir en Bretagne. Géographiquement, parmi les membres du petit groupe de conspirateurs, il est le plus proche de l’Allemagne et donc de la cible à abattre. « Tout seul, il rumine en silence ses noires entreprises d’assassinat », écrit Jean-Baptiste Naudet dans son enquête.

Bien qu’admirateur de Gandhi, Bavaud est convaincu que la funeste marche en avant d’Hitler ne peut être stoppée que par la violence. Le 30 septembre, les accords de Munich livrant la Tchécoslovaquie aux nazis le persuadent définitivement de passer à l’acte, d’autant que son ami breton Marcel Gerbohay le pousse à l’action par correspondance postale. Le 9 octobre 1938, il quitte la maison familiale en laissant ce mot : « Chers parents, ne vous inquiétez pas pour moi. Je vais me construire une existence ».

Marcel Gerbohay, Pacéen et principal instigateur d’une conspiration montée pour assassiner Hitler. | AMICALE DES ANCIENS DE L’ÉCOLE SAINT-ILAN

Sans plan

Il se rend alors à Bâle pour acheter une arme, un Haenel Schmeisser de petit calibre. Ensuite, direction l’Allemagne pour un voyage sans retour. Baden-Baden d’abord, où vit une grand-tante, puis Berlin, où il espère croiser le Führer. Il n’a pas de plan, il n’est pas discret. Sa logeuse se méfie et fouille sa chambre. Elle tombe sur une photo de Gerbohay. Bavaud a déjà repris son errance jusqu’à Berchtesgaden, le lieu de villégiature d’Hitler, où il arrive le 25 octobre.

S’annonçant comme un fanatique désireux de rencontrer son idole, un homme qui travaille à la sécurité de la chancellerie du Reich lui recommande de se rendre à Munich où le dictateur s’apprête, comme chaque année, à participer à la marche du souvenir du putsch nazi manqué de 1923.

La Gestapo à Pacé

Arrive le 9 novembre, jour des commémorations. S’affichant en correspondant de presse, il obtient une place en tribune d’honneur. Assez près, espère-t-il, du dictateur lorsque celui-ci passera, entouré de Göring et d’Himmler. Mais la mer de drapeaux à croix gammée et les saluts hitlériens de ses voisins de travée bouchent sa vue à l’instant où il aurait pu sortir son arme et dégainer. Le soir même de cet échec, il tente d’échafauder un nouveau plan, mais il est à court d’idées et d’argent.

Pendant ce temps, Hitler dîne à l’hôtel de ville de Munich lorsqu’il apprend le décès à Paris d’Ernst von Rath, diplomate allemand attaqué par un jeune juif polonais en exil. C’est l’excuse pour lâcher les fauves, le coup d’envoi de l’attaque massive d’un peuple. L’anéantissement du peuple juif commence. En cette Nuit de cristal où la barbarie nazie s’exprime, 267 synagogues et lieux de culte sont détruits, 7 500 commerces saccagés, au moins une centaine de juifs assassinés et près de 70 000 autres sont déportés. Hitler, qui ne sait pas qu’il a lui-même réchappé de la mort quelques heures plus tôt, fait couler le sang.

L’imminence du danger

Au petit matin de cette nuit d’horreur, Bavaud tente une dernière approche d’Hitler, se présentant là où il loge avec une fausse lettre en main et demandant à la lui donner personnellement. Se faisant éconduire, il abandonne, découragé, se rend à la gare et monte dans un train en direction de Paris. Contrôlé sans billet et portant avec lui une arme et des documents suspects, il est remis à la police ferroviaire, puis est finalement transféré à la Gestapo de Berlin, où l’on constate qu’il était sous surveillance.

Sous la torture, il admet ses plans d’assassinat, « motivant son projet par le fait qu’Hitler est un danger pour l’humanité en général, pour l’indépendance suisse et pour le catholicisme en Allemagne », indique son biographe. Les autorités helvétiques ne faisant rien pour le sauver, il est jugé le 18 décembre 1939, plus d’un an après son arrestation, pour atteinte à la sûreté de l’État. Condamné à mort, il est guillotiné à la prison de Plötzensee au matin du 14 mai 1941, à l’âge de 25 ans.

Alors qu’il avait en premier lieu décidé de porter seul la responsabilité de cette tentative d’assassinat, Bavaud a finalement parlé aux enquêteurs de la Compagnie du mystère et du complot fomenté en Bretagne. Marcel Gerbohay, qui s’était étonné dans un premier temps que sa correspondance avec son ami suisse soit stoppée à l’automne 1938, a fini par se douter du drame et de l’imminence du danger.

Des mois de vagabondage

Après Saint-Ilan, le jeune leader de la conspiration était un temps passé par le séminaire Sainte-Croix de Châteaugiron, en Ille-et-Vilaine, avant de rentrer chez lui à Pacé, où sa mère travaillait comme domestique auprès de châtelains locaux. Il est jardinier au château de la Touche-Milon lorsque la guerre éclate. Bientôt, la Gestapo vient à Pacé pour l’interroger, mais Gerbohay a fui vers le sud, en zone libre. Après plusieurs mois de vagabondage, le mal du pays le gagne, alors, en cette fin d’année 1941, il revient clandestinement passer Noël auprès de sa mère. Ce sont ses derniers jours de liberté.

Le Premier de l’an 1942, il est arrêté sur dénonciation. Jean-Baptiste Naudet laisse entendre qu’il aurait été dénoncé par sa propre sœur, Angèle Gerbohay, qui vivait à cette époque à Rennes et fréquentait le chef local de la police de sûreté du Reich. Le jeune homme admet être le cerveau de la conjuration du séminaire. On lui prête une liaison homosexuelle avec Maurice Bavaud, ce qui n’arrange rien à son cas.

Transféré à Paris le 17 février 1942, puis déporté à Berlin le 15 septembre de la même année, il est jugé à huis clos pour haute trahison début 1943. Condamné à mort le 11 janvier, il est lui aussi guillotiné, le 9 avril 1943, à l’âge de 26 ans.

Une histoire oubliée

Recherché à son tour pour complicité, Émile Jacquot, chef officieux de la Compagnie du mystère, originaire de Châtelaudren, est finalement innocenté et échappe au sort dramatique de ses deux anciens camarades de Saint-Ilan. Longtemps oubliée, l’histoire de cette tentative d’assassinat ressurgira en Suisse dans les années 1980 grâce à un livre et à un documentaire.

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Maurice Bavaud est désormais réhabilité et considéré chez lui comme un héros, version moderne de Guillaume Tell, l’un des pères fondateurs légendaires du pays. En Bretagne en revanche, l’histoire de Marcel Gerbohay reste encore aujourd’hui largement méconnue. En guise d’hommage, la mairie de Pacé a néanmoins gravé après coup son nom sur le monument aux morts de la commune.

Auteur : Régis Delanoë

Source : RÉCIT. La méconnue conspiration bretonne pour tuer Hitler (ouest-france.fr)

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