Réforme des retraites. Le 49.3 accentue « le climat quasi-insurrectionnel »par Arnaud Leclerc, Professeur à l’Université de Nantes (OF.fr-19/03/23)

Arnauld Leclerc est professeur de sciences politiques à Nantes Université.

Pour le politologue nantais Arnauld Leclerc, la gestion du débat sur la réforme des retraites ôte toute légitimité à Emmanuel Macron. Et accentue « le climat quasi-insurrectionnel ».

Presse Océan : quel regard portez-vous sur cette longue séquence parlementaire ?

Arnauld Leclerc : « C’est une longue séquence parlementaire qui se joue également dans la rue. Et elle est loin d’être terminée. Le premier enseignement que l’on peut tirer de ce qui s’est passé ce jeudi 16 mars 2023 c’est que ce gouvernement est mort, mais la question de l’avenir d’Emmanuel Macron va venir après. Aujourd’hui, il n’a plus aucune légitimité. Dans le meilleur des cas, il aura une fin de deuxième mandat chaotique. Mais je dis bien dans le meilleur des cas car on est dans un climat quasi-insurrectionnel. »

Comment en est-on arrivé là ?

« Il a choisi de brutaliser les institutions pour imposer sa réforme. La CFDT l’avait mis en garde de ne pas mettre la règle des 64 ans, car la mesure d’âge est la mesure la plus injuste. Il est passé outre. Maintenant, les trois-quarts des Français sont contre lui, il n’a pas de majorité à l’Assemblée nationale et il s’est mis à dos les corps intermédiaires. »

Le recours au 49.3 et aux autres articles ayant permis de limiter le débat législatif ne pose-t-il pas une question d’ordre démocratique ?

« La Ve République va être questionnée dans les semaines qui viennent. Qu’est-ce que ça veut dire d’utiliser ces outils pour empêcher l’expression des Français ? Il y a là un problème de déni démocratique. Si on remonte à l’Antiquité, la démocratie c’est le peuple qui influence les grands choix de société. Et là, c’est sans lui, voire c’est contre lui. Ça ne fait que renforcer la fracture de la société française et la défiance contre les élites. Cette façon de faire qui consiste à prendre des décisions en dehors de ce qui remonte du terrain avait déjà commencé avec Sarkozy et Hollande. »

Quel peut-être le débouché politique ?

« Il risque d’être d’abord dans la rue et c’est pour partie la conséquence de la brutalisation des institutions. C’est un calcul politique dont je ne vois pas la teneur et qui donne l’impression d’un grand amateurisme. »

Emmanuel Macron peut-il dissoudre l’Assemblée ?

« Qu’en sortirait-il ? Une claque pour Renaissance mais avec un résultat très incertain car la scène politique est très fracturée et c’est en partie le fruit du travail d’Emmanuel Macron. Il y a aujourd’hui une masse contestataire importante car elle est contre quelque chose. Mais quel parti pourrait rassembler autour de lui cette contestation ? Structurellement ça fait le jeu du Rassemblement national mais je ne pense pas qu’il est en position de gagner en cas de dissolution. »

La crise politique est donc bien ancrée.

« Ça fait très longtemps qu’on n’en a pas connu une de cette importance. Sachant que s’y ajoutent des facteurs économiques de fragilisation qui viennent de partout. Il y a beaucoup de choses de réunies pour allumer le feu. »

Que peut-il se passer maintenant ?

« Il y a une temporalité courte avec la motion de censure lundi 20 mars. Ça va conditionner la suite. Mais il y a également un temps plus long avec ce caractère insurrectionnel fort. Si ça éclate, il faudra dix ans pour retrouver une forme d’équilibre. Aujourd’hui, Emmanuel Macron est en première ligne. Il a été élu par défaut et la situation s’est encore détériorée pour lui. Il est en échec très fort sur la réforme majeure de son deuxième mandat. Il est grillé. Mais légalement, il dispose des outils pour continuer à gérer. Il lui sera cependant difficile de se maintenir. Tout va dépendre de lundi et mardi. Que feront les LR qui sont opposés à la réforme ? »

Emmanuel Macron pourrait-il démissionner ?

« C’est trop tôt. Il faudra voir les réactions du champ politique et de la population. Mais la question de la poursuite de son mandat se posera. Il est tellement paralysé que ça peut amener de grosses difficultés. L’idéal pour lui serait de faire comme Chirac : se terrer dans son palais. Ce serait une forme de renoncement et je ne pense pas que c’est dans son caractère ».

Propos recueillis par Dominique BLOYET (Presse Océan)

Source: https://www.ouest-france.fr/economie/retraites/reforme-des-retraites-il-y-a-un-probleme-de-deni-democratique-107afe72-c414-11ed-9add-012db42d5c37

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/reforme-des-retraites-le-49-3-accentue-le-climat-quasi-insurrectionnel-par-arnaud-leclerc-professeur-a-luniversite-de-nantes-of-fr-19-03-23/

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