Réforme des retraites : les huit arguments fallacieux du gouvernement pour reculer l’âge de départ (Basta-2/01/23)

Manifestation du 5 décembre 2019 contre la réforme des retraites à points (abandonnée avec l’arrivée du covid)

Ministres et membres de la majorité multiplient les déclarations chocs pour tenter de convaincre de la nécessité d’une nouvelle réforme des retraites. Basta! fait le tri entre arguments sérieux et ceux qui sont de mauvaise foi.

lisabeth Borne doit présenter ce 10 janvier le projet de réforme des retraites. Ardemment souhaitée par Emmanuel Macron, la réforme vise à reculer l’âge légal de départ à taux plein à 65 ans. Cela fait des semaines que les membres du gouvernement et de la majorité avancent des arguments parfois fallacieux pour tenter de justifier cet allongement de la durée de travail. Basta! est allé regarder de plus près.

N°1 : Le système de financement des retraites serait en déficit

« Nous avons aussi dit qu’il n’y avait pas de totems, que nous étions prêts à examiner, avec un double objectif absolument majeur : à la fois, améliorer notre système, parce qu’il est injuste et n’est pas lisible, et le redresser puisqu’il est en déficit. »

Olivier Dussopt, ministre du Travail, 30 novembre 2022, dans Les 4 Vérités sur France 2.

Non, le système de financement des retraites n’est pas en déficit. En tout cas plus maintenant. Le déficit était de 13 milliards d’euros en 2020 mais, un an plus tard, les caisses de retraites étaient excédentaires de près de 900 millions d’euros, d’après le rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites (COR) publié en septembre 2022. Le Conseil, composé de parlementaires, de chercheurs, de représentants de syndicats et des administrations, a pour fonction de remettre régulièrement ses analyses et recommandations à la Première ministre.

Cette amélioration des finances « s’explique en très grande partie par la croissance importante des ressources due au rebond de l’activité, alors que l’effet de la surmortalité des retraités liée à la Covid sur les dépenses de retraite est resté limité ». Le COR estime l’amélioration « se prolongerait » en 2022 avec « un excédent de 3,2 milliards d’euros. » En revanche, les prévisions sont plus pessimistes, avec un risque de déficit d’ici dix ans.

Le gouvernement a donc tort lorsqu’il conjugue le déficit au présent, puisqu’il se base sur les prédictions du COR sur les 25 prochaines années, alors même que l’organisme prévoit un retour progressif à l’équilibre « dans trois scénarios sur quatre » d’ici 2070, dans le cas où la contribution de l’État resterait constante. Une phrase de mise en garde s’est d’ailleurs glissée au détour du rapport : « Les résultats de ce rapport ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite. »

« Le système n’est pas du tout en danger comme le laisse entendre parfois le gouvernement »

« Un écart entre les recettes et les dépenses est prévu dans les 10 ou 15 prochaines années, mais a plutôt tendance à se réduire après », explique l’économiste Michaël Zemmour (maître de conférences à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne). « Cela pose la question de comment on traite ce léger déficit prévu. Est-ce qu’on reste à découvert un certain nombre d’années ou est-ce qu’on le comble ? Le système n’est pas du tout en danger comme le laisse entendre parfois le gouvernement. » Une analyse partagée par Yvan Ricordeau, secrétaire national à la CFDT en charge du dossier des retraites : « À partir du rapport du COR, on peut conclure que la question du financement est tout sauf dramatique. »

N° 2 : Il faudrait allonger la durée du travail pour ne pas baisser les pensions

« On ne veut pas augmenter les impôts des Français, on ne veut pas baisser les pensions des retraités, donc il faut allonger un petit peu la durée du travail. »

Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, le 6 décembre 2022 dans Les 4 Vérités, France 2.

Le gouvernement part d’un postulat : le recul de l’âge légal de départ à la retraite serait la seule possibilité pour financer les retraites. Il exclut d’emblée les solutions alternatives. C’est un « choix politique » selon l’économiste Michaël Zemmour.

« En fait, tout est possible, assure le chercheur. Ce que prévoit le gouvernement, c’est de baisser le niveau de financement des retraites. Le déficit ne vient pas d’une augmentation des dépenses : pour l’instant, il vient d’une baisse du financement. Mais on pourrait choisir différents moyens pour maintenir le financement à son niveau actuel. »

Parmi les options : le maintien d’une participation plus élevée de l’État dans le financement des retraites, ou encore une légère augmentation des cotisations. Il serait aussi possible d’étendre les cotisations à des parties de rémunérations qui en sont aujourd’hui exemptées, « comme la prime Macron ou l’épargne salariale », ajoute Michaël Zemmour.

« Pourquoi ne pas augmenter des cotisations, ce qui pourrait être assez indolore, au moins pour les plus gros salaires ? »

Il y a donc plus d’un levier pour remédier à de prochains déficits. Le recul de l’âge de départ en est un parmi d’autres. « Pourquoi ne pas augmenter des cotisations, ce qui pourrait être assez indolore, au moins pour les plus gros salaires ? » interrogeait la sénatrice socialiste des Landes et membre du COR Monique Lubin sur Public Sénat début décembre.

La grande absente du débat, c’est la réforme Touraine, votée en 2014 et appliquée depuis 2020, qui prévoit déjà un report progressif de l’âge de départ à la retraite à taux plein. Plus précisément, la mesure prévoit d’augmenter la durée de cotisation d’un trimestre tous les trois ans entre 2020 et 2035. « On en observera pleinement les effets que dans une dizaine d’années, donc on n’a même pas fini les réformes précédentes », note Michaël Zemmour.

N°3 : Reculer l’âge de départ augmenterait le taux d’emploi des seniors

« Quand on décale l’âge de départ à la retraite, cela accroît mécaniquement le taux d’emploi des seniors. Cela a été le cas avec le report de 60 à 62 ans. »

Élisabeth Borne, Première ministre, le 1er décembre 2022 dans Le Parisien.

En 2021, moins de 80 % des 55-59 ans étaient en emploi en France, (selon les chiffres de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, Dares). Et passé la barre des 60 ans, l’activité salariée s’écroule : un peu plus d’une personne sur trois occupe un emploi (38 % pour les 60-64 ans). Un grand nombre de personnes sont donc aujourd’hui déjà sans emploi avant d’avoir atteint l’âge de la retraite.

« Une augmentation assez forte de la précarité notamment dans les catégories les plus populaires, les ouvrières et les ouvriers »

« Il y a bien un effet mécanique du taux d’emploi des seniors parce que vous obligez une partie des personnes qui peuvent avoir un emploi à le garder. Si vous reculez l’âge de la retraite, près des deux tiers des personnes qui sont en emploi à 62 ans peuvent espérer le rester encore un à trois ans de plus », répond l’économiste Michaël Zemmour. L’autre tiers ne pourront pas continuer à travailler, pour cause d’incapacité, de licenciement, de discrimination à l’embauche… « En même temps qu’on augmente le taux d’emploi, on va augmenter le nombre de seniors au chômage, en invalidité, en longue maladie ou tout simplement inactifs et qui ne sont pas à la retraite », résume le chercheur. Et donc nécessitant d’autres formes de dépenses sociales.

Le maître de conférences estime donc qu’un recul de l’âge légal entraînerait, mécaniquement, « une augmentation assez forte de la précarité notamment dans les catégories les plus populaires, les ouvrières et les ouvriers. C’est l’angle mort de toutes les présentations au gouvernement. »

Rapport annuel du COR, septembre 2022

N°4 : Cette réforme serait plus juste pour les petites retraites

« Je veux au contraire augmenter la retraite minimum et améliorer les petites retraites. La réforme des retraites est donc aussi une réforme de justice et d’équité. »

Emmanuel Macron le 3 décembre 2022 dans Le Parisien

Emmanuel Macron promet une retraite minimum à 1100 euros. Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a de son côté parlé dans Les Échos d’aller « au-delà de 1100 euros », se passant de détailler le chiffre. « Ce que nous portons, c’est en fait une retraite minimum, pour une carrière complète, autour des 85 % du Smic net », a-t-il précisé. 85 % du Smic net, c’est aujourd’hui 1129,69 euros.

Il existe déjà un minimum de retraite prévu dans la loi depuis 2003, censé être d’au moins 85  % du Smic. « Mais cela n’a jamais été appliqué, ces dispositions n’étant pas contraignantes », rappelle la CGT. Le syndicat signale aussi que 1100  euros, c’est « tout juste au niveau du seuil de pauvreté ». Pour la confédération syndicale, « aucune retraite ne devrait être inférieure au Smic pour une carrière complète ».

Le minimum retraite prévu depuis 2003, censé être d’au moins 85  % du Smic, « n’a jamais été appliqué »

D’autres aides existent pour les personnes qui n’ont pas suffisamment cotisé. L’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), destinée aux personnes aux carrières incomplètes ou n’ayant pas cotisé, s’élevait en 2022 à 953,45 euros maximum, soit 148 euros en dessous du seuil de pauvreté. En 2020, 635 000 personnes vivaient avec le minimum vieillesse ou l’allocation de solidarité aux personnes âgées.

Si le taux de pauvreté reste plus faible chez les personnes âgées que dans la population active (8,6 % contre 14,8 %), certaines catégories de retraités sont en état de grande précarité. C’est le cas des personnes les plus âgées, comme l’explique l’Insee, « notamment en raison d’une proportion plus importante de veuves ayant eu des carrières incomplètes, voire ne bénéficiant que d’une pension de réversion. »

N°5 : Il faudrait décaler l’âge de départ, car on vit plus longtemps

« On vit de plus en plus vieux. On vit de plus en plus vieux en bonne santé, ce qui est une très bonne chose, mais il faut que le système soit pensé pour trouver l’équilibre entre les actifs et les retraités. »

Emmanuel Macron, le 3 octobre 2019 lors d’un débat sur les retraites à Rodez

D’après les projections démographiques 2021-2070 de l’Insee sur lequel se base le COR, il est vrai que la population devrait vivre plus longtemps en France dans les décennies à venir. À l’âge de 60 ans, l’espérance de vie des femmes était de 27,5 ans en 2021 (soit 87,5 ans). Elle atteindrait 29 ans en 2040 et 31,3 ans en 2070. Celle des hommes de 60 ans était d’encore 23 ans en 2021 et atteindrait 25,6 ans en 2040 et 29,3 ans en 2070. Mais les hommes ouvriers vivent en moyenne six ans de moins que les cadres [1].

Et dans quel état de santé vivra-t-on si l’horizon de la retraite devait s’éloigner ? L’espérance de vie dite en bonne santé, sans incapacité, est aussi en augmentation, signalait la Drees l’année dernière. En 2020, une femme de 65 ans pouvait espérer vivre encore 12,1 ans sans incapacité ; un homme 10,6 ans. Mais d’après une étude des économistes de la santé Thomas Barnay et Éric Defebvre, on a plus de chance de vieillir en bonne santé, physique et mentale, quand on est à la retraite que quand on est forcé de continuer à travailler.

« Les gens vivent plus longtemps parce qu’on travaille moins longtemps. Il y a un lien direct »

« Pour les personnes confrontées à des contraintes physiques, la retraite améliore principalement la santé générale, tandis que pour les personnes ayant subi des contraintes psychosociales, elle diminue plus sensiblement l’anxiété et la dépression, ont constaté les chercheurs. Les effets bénéfiques les plus visibles de la retraite sont observés dans la population masculine non diplômée et exposée à des contraintes physiques », expliquent-ils encore. « Les gens vivent plus longtemps parce qu’on travaille moins longtemps. Il y a un lien direct », défend aussi Thomas Vacheron, responsable retraite pour la CGT.

N°6 : Il y aurait urgence à réformer

« Plus vous attendez, plus vous mettez le système en risque, plus les réformes seront potentiellement plus dures. »

Sylvain Maillard, député de Paris et vice-président du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale , le 3 décembre 2022 sur France 2

Vite, la réforme ne peut plus attendre. C’est un des éléments répétés à l’envi par les représentants de la majorité. Dans les faits, que risque-t-on ? « Le système n’est pas au bord de la faillite. Il n’y a à la fois pas d’urgence et pas de danger », répond Michaël Zemmour.

Une réforme des retraites « afin de compenser les baisses d’impôts aux entreprises »

Alors, pour quelle raison le président Emmanuel Macron souhaite-t-il réformer à tout prix notre système de retraite ? L’économiste avance une explication : « Le gouvernement pose cette réforme comme urgente pour se servir de la réforme des retraites afin de compenser les baisses d’impôts aux entreprises. En accordant beaucoup de baisses d’impôts de production dans les dernières années, il s’est engagé à récupérer de l’argent sur la réforme pour compenser ces baisses. C’est ça qui la rend urgente. Ce n’est ni la situation du système de retraite ni la situation du marché du travail. »

N°7 : Nos voisins auraient déjà reculé l’âge de départ

« Tous les pays autour de nous travaillent plus longtemps pour des raisons de démographie. »

Geoffroy Roux de Bézieux président du Medef, le 17 décembre 2021 sur Public Sénat

Sur l’âge légal de départ à la retraite, la France, en comparaison de nos voisins européens, se situe « plutôt dans la moyenne basse, reconnaît l’économiste Michaël Zemmour. Même si les réformes qui sont encore en cours vont nous amener à avoir un âge moyen de la retraite qui augmentera. Peut-être qu’une des différences réside dans le fait que nos voisins européens ont moins de difficultés du côté de l’emploi des seniors, et notamment de la santé au travail », ajoute-t-il.

Sauf exception, liée à la durée de carrière, la pénibilité, ou l’invalidité, l’âge d’ouverture des droits à la retraite au 1er janvier 2022 était de 62 ans aux États-Unis, en France, en Suède et dans le régime collectif obligatoire japonais pour les femmes (64 ans pour les hommes) ; 65 ans en Belgique et dans le régime universel de base japonais ; 65 ans et 10 mois en Allemagne ; 66 ans au Royaume-Uni ; 66 ans et 2 mois en Espagne ; 66 ans et 4 mois aux Pays-Bas, et 67 ans en Italie [2].

Avec un âge de départ en retraite sans décote de 67 ans, la France se retrouve au niveau des pays avec les âges de départ les plus élevés

La France est-elle donc une éternelle retardataire de la réforme des retraites ? Michaël Zemmour suggère plutôt de comparer, pour une vision plus juste, les âges de départ sans décote. La décote c’est la baisse du niveau de la pension pour celles et ceux qui partent avant d’avoir validé le nombre d’années nécessaires pour une pension complète. En France, à partir de 67 ans, il n’y a pas de décote, même si on n’a pas le nombre d’années de cotisation exigé.
« En France, on a un âge légal et puis on a un âge sans décote, de 67 ans. Par rapport aux pays européens, c’est plutôt cet âge-là, de la retraite sans décote, qu’on pourrait comparer », explique-t-il. Et là, la France se retrouve au niveau des pays avec les âges les plus élevés, au-delà de l’Allemagne et au niveau de l’Italie.

N°8 : La réforme profiterait aux femmes

« Pour faire une réforme juste, notamment pour les femmes, nous avons décidé de ne pas augmenter l’âge d’annulation de la décote, qui restera à 67 ans. »

Élisabeth Borne, Première ministre, le 2 décembre 2022, dans Le Parisien

Les inégalités femmes-hommes s’observent aussi dans l’accès à la retraite. Selon l’Insee, en France, les femmes partent en retraite en moyenne sept mois après les hommes. Le départ se fait en moyenne à 62 ans et 7 mois pour les femmes et 62 ans pour les hommes. Si l’écart se « réduit progressivement au fil des générations », précise l’Insee, ce dernier reste important.

« Même en considérant les départs récents en retraite, l’inégalité reste importante : la pension moyenne des femmes est inférieure de 33 % à celle des hommes »

Non seulement les femmes doivent prendre leur retraite plus tard que les hommes, mais en plus leurs pensions sont inférieures, de 40 % en moyenne ! « Cet écart s’explique en partie par des durées de cotisations plus courtes : 56 % des femmes retraitées de la génération 1950 ont validé une carrière complète contre 72 % des hommes retraités de la même génération », précise l’Insee. L’écart est aussi dû « à la nature de l’activité professionnelle exercée par les femmes, souvent moins rémunératrice. »

Reste que l’écart de niveau des retraites des femmes comparées à celles des hommes est bien supérieur à celui des salaires, inférieurs en moyenne de 22 % à ceux des hommes. « De fait, la retraite amplifie les inégalités de salaires », analyse Christiane Marty, membre du Conseil scientifique d’Attac et de la Fondation Copernic dans une note. « Même en considérant les départs récents en retraite, l’inégalité reste importante : la pension moyenne de droit direct des femmes de la génération 1953 est encore inférieure de 33 % à celle des hommes », ajoute-t-elle.

Sur l’annonce de ne pas augmenter l’âge d’annulation de la décote, Christiane Marty n’est pas convaincue. Plus de femmes que d’hommes sont aujourd’hui touchées par une décote, pointe la membre d’Attac : 8 % des femmes (pour la génération 1950) et 6 % des hommes. « Le montant de la décote est plus important en moyenne pour les femmes. Pour éviter de la subir, ce sont 19 % des femmes contre 10 % des hommes qui ont attendu l’âge auquel la décote ne s’applique plus pour liquider leur retraite », précise-t-elle.

Selon les annonces d’Élisabeth Borne, la décote sera donc maintenue, et restera à 67 ans. « Où est le progrès ? demande Christiane Marty. Prétendre que la réforme sera juste pour les femmes relève de l’indécence », accuse-t-elle.

Maÿlis Dudouet

source: https://basta.media/Reforme-des-retraites-les-huit-arguments-fallacieux-du-gouvernement-pour-reculer-l-age-de-depart

Notes

[1] Voir cette étude de l’Insee.

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