Rentrée universitaire : pourquoi tant de haine à l’égard de la jeunesse ? ( Charlie Hebdo – 19/08/22 )

Particulièrement mise à mal par la crise du Covid, la jeunesse n’est toujours pas la priorité du gouvernement, en dépit des alertes sur sa santé mentale. Un choix politique absurde sur le plan humain, mais aussi économique.

« Il m’est parfois arrivé de prendre un sandwich au Resto U le midi et de n’en manger que la moitié pour garder le reste en prévision de mon dîner », confie Soazig, étudiante à la fac de Rennes. Sa mère, infirmière libérale, gagne « trop », en dépit du fait qu’elle doive s’occuper de sa petite sœur, qui vit encore à la maison, et que son ex-mari ne lui verse pas la pension alimentaire qu’il lui doit. Résultat : Soazig n’a pas droit à la bourse étudiante.

Des témoignages comme cela, d’étudiants qui travaillent durant l’été et pendant l’année les soirs et les week-ends, sans pouvoir vivre dignement, sans parler d’avoir un logement avec un minimum de confort, de l’argent pour les livres, mais aussi disposer de ce temps de loisir dont le corps et le cerveau ont tant besoin, il y en a des milliers.

Une rentrée trop chère

Et la situation n’est pas près de s’arranger. Selon le baromètre de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), les 3 millions d’étudiants qui vont s’inscrire, ou se réinscrire, vont devoir débourser 2 527 euros, soit 135 euros de plus que l’an dernier (+ 7%). Principales causes : les complémentaires santé, les fournitures scolaires, et l’assurance logement.

Face à cela, le gouvernement a créé la possibilité pour les étudiants boursiers de se délecter des repas du Resto U pour un euro, ainsi qu’une « aide exceptionnelle de solidarité » de 100 euros aux étudiants pauvres. Mais cela n’empêche que les bourses augmentent bien moins vite que l’inflation (+ 33% contre +55% au cours des vingt dernières années, selon la Fage).

Cela dit, le fait d’étudier assure des revenus plus élevés que ceux qui ont arrêté leurs études à 16 ans et sont magasiniers chez Carrefour. En France, les études étant presque gratuites, et bénéficiant surtout aux enfants de bourgeois, est-il normal qu’elles soient payées par les impôts de tous, y compris les ouvriers dont les enfants restent des années de moins sur les bancs de la fac ?

La gratuité des études bénéficie bien aux pauvres

Comme l’explique Jean Gadrey, il est faux de penser que les contribuables modestes paieraient les études des enfants des riches. Certes, il est exact que la dépense publique d’éducation supérieure par enfant scolarisé est 4 fois plus élevée en faveur des 10% de ménages les plus favorisés qu’en faveur des 10% les plus défavorisés. Mais ces 10% de ménages les plus aisés contribuent 12 fois plus que les 10% les plus pauvres aux recettes publiques.

La conclusion est claire : l’existence d’un vaste système public d’éducation réduit fortement les inégalités par rapport à une situation où les facs seraient toutes privées. Cependant, la situation actuelle reste très inégalitaire, entre les étudiants disposant de bonnes conditions de vie et celles et ceux qui ont une vie dure en dépit du fait qu’ils et elles travaillent.

La jeunesse, cette oubliée

Les étudiants, et les jeunes plus généralement, sont, sur le plan politique, face à un problème important : ils sont relativement peu nombreux dans la population, et ils votent moins que les vieux. Ainsi, au second tour de la présidentielle, 59% des 18–24 ans ont voté, contre 80% des 60–69 ans. La raison principale de leur abstention est connue : le constat que les dirigeants ne font rien de sérieux pour ralentir la destruction de la vie sur terre.

Mais cela a pour conséquence que le pouvoir est peu sensible à leurs demandes. La place des jeunes a ainsi été très secondaire durant la campagne présidentielle, en dépit de nombreux travaux montrant qu’elle avait particulièrement souffert de la crise sanitaire : interruptions d’études, emploi perdu, isolement, dépressions, tentatives de suicide.

De la « start-up nation » aux files d’attente devant les soupes populaires

Pourtant, les solutions sont connues, simples, et elles représentent de faibles sommes par rapport aux dizaines de milliards déversés durant la crise du Covid : réforme des bourses sociales, promise par Emmanuel Macron depuis 2017 ; moyens suffisants pour les établissements d’enseignement supérieur ; accès effectif aux soins ; etc. (Voir ici les 50 propositions de la Fage)

En 2017, Emmanuel Macron voulait faire de la France une « nation start-up ». Les piliers d’une telle politique, ce sont l’enseignement, la recherche, et le lien entre écoles et entreprises. Mais, loin de ce rêve déjà oublié, dans notre pays, dans de nombreuses universités, l’état des toilettes des étudiants est à vomir, et il n’est plus rare que des étudiants aient faim. ●

Source : Rentrée universitaire : pourquoi tant de haine à l’égard de la jeunesse ? – Charlie Hebdo

Auteur : JACQUES LITTAUER ·

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