Reportage en Palestine. « Une troisième Intifada éclatera un jour ou l’autre » (H.fr-13/03/23)

Le nouveau gouvernement israélien tente d’accélérer l’annexion de la Cisjordanie. Parmi la jeune génération, même si l’OLP ne joue plus son rôle historique, la volonté d’en finir avec l’occupation demeure intacte.

Jérusalem-Est, Ramallah, Naplouse, Jénine (territoires palestiniens occupés), envoyé spécial.

Le camp de réfugiés de Shuafat, à Jérusalem-Est, n’a pas vraiment de couleur. Une expression qui peut paraître étrange mais c’est pourtant le sentiment qui frappe l’esprit et s’imprime sur la rétine. Des murs gris et tristes, des rues défoncées et des embouteillages rendus encore plus insupportables pour les piétons par la multiplication des motos et autres trottinettes électriques.

Les haut-parleurs des vendeurs de fruits et légumes crachent en boucle leurs messages enregistrés qui se mêlent au son rugueux des moteurs. La vieille ville de Jérusalem et l’esplanade des Mosquées ne sont pas loin. Il fut un temps où les habitants du camp pouvaient s’y rendre comme bon leur semblait. Chose impossible aujourd’hui.

Les plans gouvernementaux israéliens de colonisation ont relégué des pans entiers de l’ancien gouvernorat de Jérusalem en Cisjordanie, diminuant d’autant le pourcentage de Palestiniens vivant dans la ville sainte. Dans le même temps, la colonisation à Jérusalem-Est augmente la population juive. Un vase de Torricelli ethnico- religieux, en quelque sorte.

Il n’y a qu’un mot pour désigner cette vie : l’enfer

Pour les Palestiniens, il n’y a qu’un mot pour désigner cette vie : l’enfer. Zakaria, 30 ans, qui déambule dans ce camp où il est né, ne dit pas autre chose : « C’est comme être un animal enfermé dans une cage. » À l’instar de la plupart des jeunes ici, il n’a pas de travail régulier. « On vit tous la même chose. »

Parler de révolte à Shuafat est un mot trop faible. Il s’agit d’une combinaison de colère vive, d’espoir et de désespoir. Alors, lorsqu’en octobre 2022, Zakaria et ses amis ont appris qu’Oday Tamimi, 22 ans, qu’ils connaissaient si bien, avait mené une action devant la colonie israélienne de Maale Adumim, la réaction a été une explosion de joie.

Les forces d’occupation, à la recherche d’Oday Tamimi, ont investi le camp. « Ils ont arrêté tous ses proches, ont frappé ses parents », se souvient Zakaria. « C’était devenu une zone de guerre. » Quelque chose d’incroyable s’est passé qui devrait faire réfléchir les Israéliens mais également l’Autorité palestinienne.

L’avis de recherche lancé par l’armée stipulait qu’Oday avait le crâne rasé. Ni une ni deux, tous les jeunes du camp se sont également rasé le crâne. Ils étaient tous des Oday Tamimi. « Pour nous, c’est un héros », soutient avec admiration Zakaria. « Il a sacrifié sa vie pour dénoncer notre souffrance. On ne peut plus supporter ce qui se passe. » Oday a finalement été tué le 19 octobre 2022, mais sa mémoire continue de flotter dans le camp de Shuafat.

Les Palestiniens n’ont pas élu leurs représentants depuis… 2006

Depuis quelques mois, on assiste à un changement d’atmosphère en Cisjordanie occupée. Les multiples attaques des colons armés contre les paysans palestiniens et les raids de l’armée ont provoqué une réaction de la jeunesse palestinienne, celle née au moment des accords d’Oslo, en 1993.

Au point qu’on se demande désormais si une troisième Intifada n’est pas sur le point d’éclater. « J’étais diplomate pendant la deuxième Intifada et, comme mes collègues de la communauté du renseignement, je suis inquiet. Nous voyons aujourd’hui un rappel désagréable de certaines des réalités que nous avons déjà vues », déclarait début février William Burns, le patron de la CIA.

À Ramallah, Jamal Juma, coordinateur de la Campagne populaire palestinienne contre le mur de l’apartheid et, depuis 2012, de la Coalition de défense de la terre, rappelle que « le nouveau gouvernement israélien veut annexer purement et simplement la Cisjordanie. Il ne cherche même plus à jouer le jeu comme les gouvernements précédents. Maintenant, ils veulent tout simplement donner 62 % de la Cisjordanie aux colons ». Ce qui va consister à « isoler les différentes régions de la Cisjordanie et à mettre en place des gouvernements autonomes ».

Jamal Juma pointe une contradiction. « Les Américains ne veulent pas qu’il y ait une explosion en Cisjordanie, contrairement au gouvernement fasciste israélien, qui pourrait ainsi profiter de la situation pour organiser son nettoyage ethnique. » Selon lui, pour mettre en échec les projets israéliens, il convient de « retrouver l’unité palestinienne. Mais l’Autorité palestinienne s’entend avec les États-Unis ».

Dans ce contexte d’un mouvement national très faible et de partis politiques déconsidérés, difficile de penser qu’un statu quo va demeurer. « Une troisième Intifada éclatera un jour ou l’autre, car tout le monde hait l’Autorité palestinienne », prédit Jamal Juma.

Les Palestiniens, sans véritable représentation politique, n’ayant pas élu leurs représentants depuis… 2006 (les élections prévues en mai 2021 ont été annulées par Mahmoud Abbas, 88 ans le 26 mars), se trouvent ainsi coincés entre l’occupation et une Autorité corrompue, mettant sous le boisseau l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). D’où cette recherche non pas d’une mais de multiples formes de résistance.

À Jénine et à Naplouse, des jeunes ont formé des groupes armés. Jamal Hweil, qui combattait dans le camp de Jénine en avril 2002, rappelle que, « à l’époque, il y avait une unité de toutes les factions. Yasser Arafat nous soutenait. Maintenant, les jeunes s’expriment en résistant d’une façon différente, pas de façon idéologique. Ils veulent exprimer leur refus de l’occupation et de l’injustice. Ils disent aux Israéliens qu’ils n’entreront pas facilement dans le camp ».

Dans ce même camp, Ahmed Awwas, 36 ans, explique aussi que « les jeunes veulent quelque chose de nouveau. Après l’échec de la lutte armée, après l’échec des négociations et des accords d’Oslo, ils cherchent comment faire ».

Depuis le début de l’année, 81 Palestiniens ont été tués par l’armée ou les colons israéliens

Cette même recherche anime les étudiants de l’université de Beir Zeit, à Ramallah. Mahmoud Nawaj, coordinateur du mouvement BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions), assure : « Depuis quelques mois, nous recevons beaucoup plus d’adhésions. Les partis politiques n’attirent plus les jeunes, en revanche ils voient que ce qu’on fait fonctionne. On se fiche de savoir s’il faut un État ou deux. L’important, c’est d’en finir avec l’occupation, avec cet état d’apartheid. » Mahmoud Nawaj résume : « Les jeunes se tournent vers nous car ils peuvent s’exprimer et être actifs. »

Ce mouvement non violent (pourtant criminalisé dans certains pays, dont la France) peut-il aider à l’émergence d’une nouvelle Intifada ? « Pour que le soulèvement se transforme en une troisième Intifada, il faut une plateforme, être organisé », explique-t-il en souriant.

Ce devrait être le rôle de l’OLP mais celle-ci est corrompue et divisée. Tous les étudiants ne sont pas sur la même longueur d’onde. Certains sont dans l’impatience, à l’image d’Abed, 21 ans, étudiant en droit, et de Tarek, 25 ans, qui suit les cours de relations internationales. « Les Ukrainiens auraient le droit de se défendre et pas nous ? » demandent-ils rageusement lorsque nous les rencontrons dans un café.

«  On ne croit plus en la solution à deux États. La résistance armée, c’est mieux que la résistance diplomatique car personne ne respecte le droit international. La lutte armée est la seule solution. » Arwa, elle, un peu plus âgée et maintenant chercheuse, tente de tempérer : « Je crois en la résistance populaire pacifique, mais Israël pousse à la violence. »

Depuis le début de l’année, 81 Palestiniens ont été tués par l’armée ou les colons israéliens. Une rencontre avec les différents représentants de partis palestiniens à Naplouse nous a permis de mesurer les difficultés politiques et l’incapacité, pour l’heure, d’organiser un mouvement.

Hisham Sharabaty, de l’organisation des droits de l’homme al-Haq – ONG classée terroriste par Israël –, estime qu’ « il y a une tentative de changer les choses mais Israël tue immédiatement ceux qui prennent des responsabilités ». 

Par ailleurs militant communiste, il veut voir dans l’émergence de ces groupes « le retour à une certaine solidarité collective. Ces groupes redonnent espoir et fierté ». C’est sans doute là qu’il faut chercher les éléments de la résistance à venir, qu’il s’agisse d’une troisième Intifada ou du renouveau du mouvement national palestinien, qui s’est brisé sur les écueils d’Oslo. 

Pierre BARBANCEY, envoyé spécial de l’Humanité

source:https://www.humanite.fr/monde/palestine/palestine-une-troisieme-intifada-eclatera-un-jour-ou-l-autre-786164

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/reportage-en-palestine-une-troisieme-intifada-eclatera-un-jour-ou-lautre-h-fr-13-03-23/

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