Retraites. Le constitutionnaliste Dominique Rousseau dénonce un « détournement de procédure » (H.fr-13/03/23)

Pour le constitutionnaliste, un certain nombre d’arguments penchent en faveur d’une censure du projet de loi retraite par le conseil constitutionnel.

Le gouvernement, avec la complicité de la droite sénatoriale, avance au pas de course sur la réforme des retraites qu’il espère voir adopter d’ici la fin de semaine. Quitte à tordre le bras des institutions. Le constitutionnaliste Dominique Rousseau appelle à ne pas tolérer un « détournement de procédure » qui pourrait être motif de censure du texte par le Conseil constitutionnel.

Beaucoup des opposants à la réforme espèrent une censure au moins partielle du texte par le Conseil constitutionnel. Est-ce possible ?

Sur le plan constitutionnel, un certain nombre d’arguments forts penchent en faveur d’une censure du projet de loi, sans que le Conseil, d’ailleurs, n’ait à se prononcer sur le fond politique de la réforme. La censure pourrait porter sur la procédure utilisée.

L’article 47 employé ici concerne habituellement les lois de finances et de financement de la Sécurité sociale. Cet article conduit à limiter les débats dans le temps, mais cela n’a de sens que parce que le budget doit être adopté avant le 31 décembre, car il est inconcevable que le pays n’ait pas de budget.

Or, ici, la limitation du débat n’a pas de sens. Nous sommes dans le cadre d’un projet de loi de financement rectificatif, qui ne menace pas le budget de l’année en cours s’il n’est pas adopté. Il n’y a pas d’urgence : ce texte aurait pu être présenté en mai ou en juin sans que cela change quoi que ce soit. C’est donc, à mon sens, un détournement de procédure. 

Le fait que le texte n’ait pas été voté en première lecture à l’Assemblée, puis qu’au Sénat ont été utilisées toutes les cartouches pour limiter le débat, peut-il être un motif supplémentaire de censure ?

Aussi bien à l’Assemblée qu’au Sénat, on peut considérer qu’il y a eu atteinte au principe constitutionnel de clarté et sincérité des échanges parlementaires.

Le Conseil pourrait décider que la limitation des discussions sur un article clé comme l’article 7, par exemple, n’a pas permis d’avoir un débat propice à l’adoption de la loi.

Dans ce cas également, le Conseil ne se prononcerait pas sur le fond. Il ne s’agit pas de dire que c’est anticonstitutionnel de reculer l’âge de la retraite de 62 à 64 ans, car ça ne l’est pas, mais que la voie choisie n’est pas la bonne et qu’il faudrait reprendre depuis le début le travail législatif, avec une loi ordinaire.

Le Conseil constitutionnel serait dans son rôle d’aiguilleur du législateur. Évidemment, une censure aurait des conséquences politiques mais c’est le rôle des juges de faire du droit en mettant à distance les potentiels effets politiques de leurs décisions. 

Au contraire, si le Conseil valide l’emploi du 47-1, ne créerait-il pas un dangereux précédent ? 

Absolument. Si ce détournement de procédure passe, on peut imaginer au nom de la jurisprudence un emploi abusif de l’article 47 par les gouvernements successifs, à chaque fois qu’une réforme est délicate, désagréable ou injuste.

Un référendum d’initiative partagée (RIP) sur la réforme des retraites est-il envisageable ? Quand bien même le véhicule législatif choisi est une loi de finances, qui est hors périmètre du RIP…

Le Conseil constitutionnel a déjà répondu en partie sur cette question en octobre dernier, lorsqu’il a retoqué le projet de RIP portant sur la taxation des superprofits, au motif que cette loi « avait exclusivement pour objet d’augmenter l’imposition des bénéfices et pour seul effet d’amender le budget de l’Etat ».

La réforme des retraites n’a pas pour objet exclusif les comptes de la Sécurité sociale. Elle a un impact sur l’emploi, par exemple. Étant donné l’importance de cette loi, le Conseil pourrait, au regard de cette jurisprudence, considérer qu’un RIP est possible.

Il y a un fossé béant entre l’opinion majoritairement opposée à la réforme et l’arsenal constitutionnel employé par le gouvernement pour la passer en force. Cela appelle-t-il à un changement de Constitution ?

Démonstration est faite avec cette séquence que les élections ne suffisent plus à donner de la légitimité à la fabrication de la loi. Ce n’est pas parce qu’ils ont voté Macron au second tour que les citoyens soutiennent toute sa politique et ne veulent plus être consultés pendant cinq ans.Les institutions ne tiennent que si elles sont en adéquation avec les idées qui règnent dans un pays. Il y a aujourd’hui une demande d’association des citoyens à la démocratie, quand la Constitution, elle, les met le plus possible à l’écart.Il faut réformer la Constitution pour mettre fin à ce décalage profond entre les aspirations citoyennes et l’usage institutionnel actuel.

Entretien réalisé par Cyprien CADDEO

source: https://www.humanite.fr/politique/conseil-constitutionnel/retraites-le-constitutionnaliste-dominique-rousseau-denonce-un-detournement-de-procedure-786254

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