Révélations. Amazon France : les vrais chiffres d’une casse sociale « inouïe » (LH.fr-7/11/22)

Chez Amazon, 62 % des licenciements ont pour origine un abandon de poste, ce qui en dit long sur l’extrême pénibilité du travail dans ses entrepôts. Ici celui de Boves, dans la Somme.

Recours massif aux intérimaires, taux élevé d’absentéisme, haut niveau de rotation du personnel, augmentation des licenciements pour inaptitudes… L’Humanité s’est procuré un rapport confidentiel, où figurent les données chiffrées des conditions de travail sur les sites français de la multinationale.

Une « chance inouïe ! » Voilà comment, le 3 octobre 2017, sous les applaudissements, une paire de ciseaux à la main, le président Emmanuel Macron qualifiait les créations d’emplois d’Amazon lors de l’inauguration de l’entrepôt logistique de Boves (Somme). Pour lui, comme pour les libéraux de tout poil, chaque nouvel entrepôt ouvert est l’occasion de mettre en scène un « dynamisme économique » fantasmé, celui d’une activité qui viendrait remplacer les emplois industriels de jadis.

Les incohérences du bilan social national

Mais, quatre ans après ce numéro de claquettes d’Emmanuel Macron, une étude indépendante analysant la politique sociale et l’emploi d’Amazon en France a été présentée aux représentants du personnel, au cours du dernier comité social économique central (CSEC) de l’entreprise.

Réalisé à la demande des élus du CSEC par la société d’expertise comptable Progexa, ce rapport publie des données jusqu’alors inaccessibles, et démontre qu’Amazon n’est en rien une « chance » pour les travailleurs. Le document débute par une chronique invraisemblable, celle des innombrables embûches que la direction des ressources humaines d’Amazon a dressées aux experts tout au long de leur mission, en répondant tardivement à leurs demandes d’informations, ou de manière incomplète.

Par ailleurs, les experts ont découvert que « le bilan social national présente des incohérences avec les bilans sociaux des établissements » et que « certains indicateurs des bilans sociaux présentent des chiffres totalement erronés ». Le rapport offre néanmoins une vue panoramique sur l’activité de l’entreprise et contient d’importantes révélations.

Quid des embauches massives en CDI ?

Dans le cadre de leurs apparitions médiatiques, les dirigeants d’Amazon France répètent que le recours au travail intérimaire au sein de leurs entrepôts serait corrélé à « une activité saisonnière ». Et, sur ce point, sous les présidences Sarkozy, Hollande, puis Macron, il n’a pas manqué de représentants politiques libéraux favorables aux implantations d’Amazon pour se faire les perroquets des communicants de la multinationale états-unienne.

Interviewé le 25 juin 2012 lors de l’inauguration de l’entrepôt Amazon de Sevrey (Saône-et-Loire), le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, prenait ainsi la défense d’Amazon : « Écoutez, il y a des emplois saisonniers, comme d’ailleurs dans toute activité. Les vendanges, c’est des emplois saisonniers. Dans l’industrie, il y a des emplois saisonniers. »

En 2021, 962 contrats de travail ont été rompus en fin de période d’essai.

En réalité, plutôt que d’embaucher des travailleurs en CDI, Amazon maintient délibérément un pourcentage extrêmement élevé de travailleurs intérimaires. En 2021, les intérimaires représentent ainsi 42 % de la main-d’œuvre totale embauchée par Amazon France. Ce chiffre dynamite le mythe du fleuron de la logistique qui embaucherait à la chaîne en CDI dans des territoires socialement sinistrés. « Une part importante du recours à l’intérim demeure structurelle chez Amazon et justifierait davantage de recrutements en CDI », souligne le rapport.

Afin d’accompagner la croissance de l’entreprise et ses ouvertures de nouveaux entrepôts, l’effectif global d’Amazon a augmenté : il atteint 16 571 ETP (équivalents temps plein) en 2021. Mais les experts de Progexa ont remarqué que, au cours de la même année, les embauches en intérim ont augmenté plus vite que celles en CDI.

De l’usage de la période d’essai chez Amazon…

Jadis, Amazon imposait généralement à ses nouvelles recrues une période d’intérim avant de les engager en CDI. Désormais, afin de pouvoir bénéficier des aides publiques de Pôle emploi, la procédure a changé : Amazon signe directement des CDI à de très nombreux travailleurs, puis rompt à la chaîne leurs contrats de travail avant la fin de leur période d’essai.

Pour l’année 2021, 962 contrats de travail ont été rompus à l’initiative de l’employeur en fin de période d’essai ! Au total, un salarié sur cinq embauchés en 2021 a quitté l’entreprise avant la fin de sa période d’essai. Pour les sites de Saran (Loiret) et de Brétigny-sur-Orge (Essonne), une embauche sur quatre ne s’est pas concrétisée. La fin de la période d’essai est désormais la première cause de départ des salariés.

« Le pire, dans tout ça, c’est qu’Amazon ne rembourse pas les aides publiques qu’elle touche de Pôle emploi lorsqu’elle rompt un CDI à la fin de la période d’essai », s’indigne Alain Jeault, le délégué syndical central de la CGT Amazon. De son côté, Amazon a refusé de répondre précisément aux critiques du rapport Progexa. L’entreprise s’est contentée d’adresser à l’Humanité un plaidoyer pro domo affirmant qu’elle devrait créer 3 000 emplois en 2022.

900 000 heures supplémentaires en 2021

Le taux de rotation de l’effectif a explosé en 2021 : il est passé de 22 % à 48 %. Cela s’explique par de très nombreux départs, qui ont été multipliés par trois en un an. Chez les ouvriers et employés, ce taux de départ est passé de 12 % à 28 %. Plus éloquent encore : au bout de deux ans, plus d’un salarié sur cinq a déjà quitté l’entreprise. Et un cadre sur trois ! De même, plus d’un salarié sur dix quitte l’entreprise dès la première année. Chez Amazon, 62 % des licenciements ont pour origine un abandon de poste, ce qui en dit long sur l’extrême pénibilité du travail dans ses entrepôts.

Les experts ont également découvert que les travailleurs d’Amazon ont réalisé 900 000 heures supplémentaires en 2021, soit l’équivalent de 562 ETP. Et ce, afin de pouvoir expédier en une année plus de 982 millions d’articles. Ce qui signifie qu’en moyenne, pour l’ensemble des entrepôts, un ouvrier à temps plein traite environ 65 000 articles par an. Une productivité en hausse de 1 % en 2021.

En outre, au cours des quatre dernières années, la médecine du travail a déclaré que 106 salariés d’Amazon étaient inaptes à poursuivre leur travail. Sur ces 106 salariés, seuls cinq ont bénéficié d’un poste adapté. Tous les autres ont été licenciés. Ouvert en 2019, l’entrepôt de Brétigny-sur-Orge (ORY4) compte déjà, à lui seul, onze salariés en inaptitude.

Riposte. Journée mondiale d’action le 25 novembre

La coalition internationale de travailleurs et de citoyens rassemblés sous la bannière « Make Amazon Pay » (« Faire payer Amazon ») organise une journée d’action mondiale le 25 novembre. Tandis que la multinationale réalise des recettes record – 121 milliards de dollars au deuxième trimestre 2022 –, Amazon n’a payé aucun impôt sur ses bénéfices en Europe en 2021. Son entreprise domiciliée au Luxembourg, Amazon EU Sarl, reçoit les revenus générés par ses activités au Royaume-Uni, en Allemagne, en France, en Italie, en Espagne, en Pologne, en Suède et aux Pays-Bas. Cette entité a réalisé, l’an passé, un chiffre d’affaires de 51,3 milliards d’euros, mais elle a déclaré un déficit hors budget de 1,2 milliard d’euros. Grâce à cette optimisation fiscale, Amazon a reçu 1 milliard d’euros de crédits d’impôt.

Pour rejoindre les manifestations des militants décidés à « faire payer Amazon », ou pour en organiser une, rendez-vous sur www.makeamazonpay.com.

Jean-Baptiste MALET

source: https://www.humanite.fr/social-eco/amazon/revelations-amazon-france-les-vrais-chiffres-d-une-casse-sociale-inouie-770086

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *