
Ronan Louédin travaille à la Crim’ dans l’unité de police judiciaire de Brest-Quimper. Rompu aux investigations les plus complexes, cet enquêteur non syndiqué ose sortir de l’ombre, pour exprimer l’inquiétude de tous les flics de la PJ face à la réforme de la police du ministre Darmanin.
C’est quoi le quotidien d’un flic de la PJ à Brest ?
À Brest, on a trois groupes : la financière, les stups et la criminelle. La financière, c’est un quotidien très réglé. Beaucoup de bureau, de longues auditions, un travail de fourmi pour décortiquer des dossiers et les rendre digestes pour des magistrats. Le groupe stups, c’est énormément de terrain, beaucoup d’écoutes, de sorties de nuit. Idem pour la crim’. On travaille surtout sur commission rogatoire, sous l’autorité d’un juge d’instruction. Comme chez les stups, ce sont des affaires au long cours qui demandent de se mettre à plusieurs. Et quand on est saisi, c’est du 24 h sur 24.
Qu’est-ce qui vous distingue au sein du commissariat ?
D’abord, au commissariat, on a d’excellents professionnels partout. En aucun cas, il y a les seigneurs et les laquais. Chaque maillon est indispensable dans la longue chaîne de la police. Nous, nous sommes des spécialistes, avec énormément de technicité et le temps nécessaire pour traiter les dossiers les plus complexes. Savoir faire une filature, faire parler un téléphone, comprendre le fonctionnement d’un malfrat, poser des micros sans se faire détecter, cela réclame beaucoup de formations et d’expérience. À la Crim’, les auditions, ce sont aussi de grands interrogatoires. On peut passer une journée entière à s’y préparer. On doit pouvoir expliquer, rassembler des preuves, rendre abordable ce qui est souvent très compliqué. On doit bétonner le dossier, pour ne pas s’exposer au vice de procédure recherché par les avocats de la Défense lors des procès.
Il m’est arrivé d’être en congés à la plage avec la famille. Le téléphone sonne, je pars sur le champ, en laissant ma femme et ma fille. Et je ne peux pas leur dire quand je vais rentrer
Parlez-nous de l’esprit de corps de la PJ…
C’est une vraie famille. Quand on y rentre, il n’y a pas de hasard. C’est une vraie vocation. On bosse pour y arriver, on fait énormément de sacrifices. Et quand on y est, on en fait encore plus. Il m’est arrivé d’être en congés à la plage avec la famille. Le téléphone sonne, je pars sur le champ, en laissant ma femme et ma fille. Et je ne peux pas leur dire quand je vais rentrer. Chez nous, il n’y a pas de relève. C’est ce qui fait la force de la PJ. On a une vraie autonomie d’action, on n’a pas de carcan administratif, on s’affranchit des frontières départementales. Comme les malfrats. C’est pour ça qu’on veut garder une autonomie budgétaire et notre maillage territorial.
En quoi la réforme à venir du ministre Darmanin menace cette autonomie ?
Il veut placer tous les effectifs de la police sous le commandement unique d’un directeur départemental de la Police nationale (DDPN). Mais fondre nos effectifs avec ceux de la sécurité publique, cela n’a pas de sens. On va nous détourner de l’investigation qui fait l’essence de notre métier. Et ce n’est pas de notre expertise dont les collègues ont besoin, mais de moyens humains pour traiter le flot incessant des dossiers qui, bien souvent, ne sont pas en adéquation avec leur fonction. Et puis, est-ce qu’un directeur départemental nous permettra demain de se projeter sur le territoire pour une affaire comme on le fait aujourd’hui ? Pour des questions de budget, et de priorités du moment, il aura la tentation de refiler le bébé au commissariat à l’autre bout de la France, parce que les auteurs sont là-bas.
On sait que sur le plan disciplinaire, on prend un vrai risque. On a déjà reçu quelques messages menaçants allant dans ce sens
Vous craignez aussi des interférences du pouvoir politique dans les enquêtes ?
C’est l’une des craintes soulevées par les magistrats qui nous soutiennent massivement. À partir du moment où le directeur départemental est placé sous l’autorité du préfet, et même noté par lui, quelle indépendance lui reste-t-il ? Aujourd’hui, à la PJ, on ne réfère jamais de nos enquêtes en cours au commissariat. On est en ligne directe avec les magistrats, et notre directeur zonal à Rennes ne va jamais hiérarchiser les affaires en cours. Notre crainte, avec un DDPN, c’est qu’en fonction de l’actualité du moment, il soupèse les enjeux de l’investigation, ceux de la sécurité publique et de l’ordre public. La tentation peut être très forte de rediriger les moyens, parce qu’il faut casser un point de deal dans un quartier.
Le ministre de l’Intérieur a assuré récemment que vos missions resteront les mêmes. Y voyez-vous un signe d’apaisement ?
On salue le geste d’ouverture du ministre, et on prend de façon positive sa volonté de dialoguer et de faire une pause, car il était temps de décrisper les effectifs. Mais l’éviction du patron de la PJ de Marseille n’est toujours pas passée. Et il reste des contradictions dans le message du ministre. Quand il dit que la délinquance s’internationalise, on est d’accord. Mais alors, pourquoi départementaliser ? Au sein de l’association nationale de la Police nationale (ANPJ) que l’on a créé en août dernier, on est en train de rédiger une lettre pour éclaircir certains points.
Vous êtes le vice-président régional de l’ANPJ. Après le limogeage du patron de la PJ de Marseille, ne redoutez-vous pas une sanction à votre tour ?
On sait que sur le plan disciplinaire, on prend un vrai risque. On a déjà reçu quelques messages menaçants allant dans ce sens. Mais notre volonté n’a jamais été de perturber un gouvernement, ni un ministre, ni même le directeur de la Police. Nous, ce que l’on demande, c’est que l’on écoute nos arguments, pour éviter de casser ce qui marche bien. En deux mois, l’association a fédéré 2 000 adhérents sur 3 500 flics à la PJ. C’est bien le reflet d’un malaise, non ? Et on a toutes les organisations syndicales de magistrats derrière nous. Le ministre doit comprendre que l’on aime la PJ, on y est attaché. On ne laissera pas notre maison cramer comme ça.
À noter
Lundi 17 octobre, dans le cadre d’une action de l’ANPJ, des policiers de la PJ et des magistrats qui les soutiennent se rassembleront devant le tribunal judiciaire de Brest pour protester contre la réforme.
Auteur : Jean-Luc Padellec