Par Camélia Echchihab
À l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de l’accession au trône de Mohammed VI, Emmanuel Macron a affirmé que le Sahara occidental, revendiqué par le Maroc en dépit du droit à l’autodétermination de ce territoire, s’inscrit « dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Une rupture de la diplomatie française qui ulcère l’Algérie.
asablancaCasablanca (Maroc).– C’est un tournant historique dans les relations France-Maroc. Alors que le roi Mohammed VI célèbre ses vingt-cinq ans de règne, Emmanuel Macron a annoncé mardi 30 juillet, dans une lettre, un changement de position majeur de la France. Depuis près de cinquante ans, les indépendantistes sahraouis, soutenus par l’Algérie, revendiquent le Sahara occidental, que le Maroc considère, lui, comme ses « provinces du Sud » depuis la fin de la colonisation espagnole en 1974.
Soulignant « une amitié séculaire avec le Maroc », Emmanuel Macron a déclaré, dans sa lettre rendue publique par le cabinet royal : « Je considère que le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine. » Une victoire diplomatique considérable pour le Maroc, qui s’active à faire reconnaître sa souveraineté sur ces 266 000 kilomètres carrés en bordure de l’Atlantique. Après les États-Unis en 2020 et l’Espagne en 2022, la France a fini par clarifier sa position… quitte à s’attirer les foudres de l’Algérie, qui vient de retirer son ambassadeur à Paris.
En février dernier, Stéphane Séjourné, fraîchement nommé ministre des affaires étrangères, avait préparé le terrain lors de sa visite au Maroc : « Le Sahara est un enjeu existentiel pour le Maroc, et la France le sait. Il est désormais temps d’avancer », avait-il déclaré. Dans sa lettre, Emmanuel Macron franchit donc le pas… sans pour autant mettre l’adjectif « marocain » à côté de « Sahara ».
Le roi Mohamed VI a en tout cas reçu le message cinq sur cinq. Dans un courrier de réponse, rendu public mercredi, le roi se « réjoui[t] » de la « position claire et forte » de la France au « sujet du Sahara marocain ». Emmanuel Macron est donc invité, dans cette missive, à une « visite d’État » destinée à « renforcer le partenariat d’exception bâti, des décennies durant, sur l’amitié et la confiance ».
L’enjeu économique
Le choix de sa formulation française relativise-t-il la portée de l’annonce d’Emmanuel Macron ? Non, selon Maâti Monjib, historien marocain et militant des droits humains (qui vient d’être gracié). « Emmanuel Macron ne pouvait pas se rendre avec les menottes », explique-t-il. D’après l’intellectuel critique, le changement de position du président de la République est l’expression d’un pragmatisme libéral : « C’est le premier président né après la décolonisation. Pour lui, l’intérêt économique de la France passe en premier, et il l’a au Maroc, qui est un excellent partenaire, contrairement à l’Algérie… Alors, pourquoi se fâcher ? »
Pour Pascal Boniface, fondateur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris),la lettre d’Emmanuel Macron est un « aveu implicite de reconnaissance ». Il précise : « Peut-être attend-il de voir si son nouveau positionnement amène quelque chose du côté marocain… pour réserver l’annonce de la reconnaissance explicite de la marocanité lors de sa visite au Maroc ? »
En avril, le ministre du commerce extérieur démissionnaire, Franck Riester, avait évoqué des opportunités économiques lors d’une visite au Maroc. Il avait ouvert la porte à des investissements de l’Agence française de développement (AFD) dans le Sahara occidental. Selon le journal Le Monde, Emmanuel Bonne, conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron, a déjà pris soin de recevoir les présidents de plusieurs grands groupes français implantés au Maroc pour leur faire part de la nouvelle position française.
L’intérêt diplomatique
Dans sa communication, le président de la République prétend incarner la continuité de la position française : « Notre soutien au plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007 est clair et constant. » Mais la nouveauté se glisse dans la suite de la lettre d’Emmanuel Macron : « Pour la France, celui-ci constitue désormais la seule base pour aboutir à une solution politique juste, durable et négociée conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. »
C’est le mot « seule » qui change tout, selon Pascal Boniface, qui analyse dans une vidéo : « La France s’interdisait de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara parce qu’elle est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies »,qui appellent à l’autodétermination du peuple sahraoui par le vote.
Alors, pourquoi le faire maintenant ? La France voulait rattraper son retard sur l’Espagne et les États-Unis, qui s’étaient déjà exprimés pour la souveraineté du Maroc sur le Sahara, respectivement en 2022 et en 2020, pense le fondateur de l’Iris. « Et puis, les relations s’étaient trop dégradées entre les deux pays », juge Pascal Boniface.
Ces dernières années, la France et le Maroc ont enchaîné les crises. En 2021, les révélations sur Pegasus, logiciel utilisé par le Maroc pour espionner des opposants, mais aussi des politiques et des journalistes français (dont Mediapart), ont jeté un grand froid.
Les Marocains se sont aussi sentis humiliés par la restriction de l’octroi des visas pour voyager en France, jusqu’à la fin 2023. Enfin, lorsque le plus gros séisme de l’histoire du pays a frappé le Haut Atlas, en septembre dernier, le Maroc n’avait pas accepté l’aide proposée par la France, lui préférant celle du Qatar ou encore de l’Espagne.
Pour Maâti Monjib, le Maroc avait besoin de vendre un discours nationaliste à la population, et de montrer qu’il peut s’opposer à la France, son ancienne colonisatrice. « La presse proche du pouvoir a été très dure avec la France »,rappelle-t-il.
Ce désamour semble déjà lointain. Rachida Dati, la ministre de la culture démissionnaire, a assisté en personne à la réception donnée par le roi Mohammed VI dans la ville de M’diq, aux côtés de l’ambassadeur français Christophe Lecourtier. En mai 2023, Rachida Dati – binationale franco-marocaine – déclarait au magazine marocain Telquel : « Il n’y a aucun doute sur la souveraineté et la marocanité du Sahara marocain. » Elle était, à ce moment-là, en visite aux côtés… d’Éric Ciotti.
Trois ministres démissionnaires du gouvernement de Gabriel Attal – Gérald Darmanin, Aurore Bergé et Stéphane Séjourné – étaient quant à eux à l’ambassade du Maroc à Paris, mardi soir, pour célébrer les vingt-cinq ans du règne de Mohammed VI. On pouvait aussi y croiser Audrey Azoulay, ancienne ministre de la culture de François Hollande et actuelle directrice générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).
« C’était une évidence », a claironné le ministre des affaires étrangères au micro de la chaîne de télévision marocaine 2M, mardi soir. « Nous avons travaillé à une relation de confiance qu’il fallait rétablir entre la France et les Marocains », a-t-il développé.
Le politiste et écrivain marocain Hassan Aourid souligne un parallélisme assez rare : « Le ministre des affaires étrangères marocain a assisté à la réception du 14 juillet, à Rabat. Peut-être que la présence de Stéphane Séjourné à l’ambassade du Maroc hier était une sorte de réplique. »
Le Sahara, enjeu stratégique pour Rabat comme pour Alger
Pendant que le Maroc et la France célèbrent leurs retrouvailles, l’Algérie fulmine. L’ambassadeur à Paris Saïd Moussi a dû faire ses valises, et la visite du président Abdelmadjid Tebboune à Paris, prévue pour septembre, risque fort d’être annulée.
D’ailleurs, Alger n’avait pas attendu la publication de la lettre d’Emmanuel Macron pour se fendre d’un communiqué virulent dès la semaine dernière – faisant au passage fuiter l’information. Le ministère des affaires étrangères algérien soulignait alors son « grand regret et [sa] désapprobation profonde » face à une décision « inattendue, inopportune et contre-productive », et dénonçait « des puissances coloniales, anciennes et nouvelles, [qui] savent se reconnaître, se comprendre et se tendre des mains secourables ».
Avec ses eaux riches en poissons, ses terres à cultiver et ses gisements de phosphate, le Sahara occidental est un enjeu crucial pour Rabat… au point d’en faire une priorité absolue dans sa diplomatie. Le Maroc reconnaît ses alliés les plus proches parmi les pays qui soutiennent le plus le plan d’autonomie marocain. Certains, à l’image du Sénégal, des Émirats arabes unis ou du Gabon, sont allés jusqu’à installer des consulats à Laâyoune ou à Dakhla, deux villes du Sahara occidental.
Le roi Mohammed VI avait été clair en août 2022 : « Le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. » Et ce, quoi qu’il en coûte. En 2020, la reconnaissance du Sahara marocain par les États-Unis avait dû se payer de la signature des accords d’Abraham, normalisant les relations Maroc-Israël. Pour Maâti Monjib, c’est aussi ce qui explique l’importance du discours nationaliste marocain : « Il s’agit de faire contre-feu à cette normalisation, très impopulaire, et encore plus depuis le 7 octobre. » La société civile marocaine manifeste massivement et régulièrement son soutien à la cause palestinienne et fustige la normalisation comme une « trahison ».
Avec la France, le Maroc pourra donc compter sur le soutien renforcé d’un deuxième pays membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU… sauf, peut-être, si le gouvernement change de bord politique ? Une partie de la gauche a critiqué la crise déclenchée avec l’Algérie. La secrétaire nationale des Écologistes, Marine Tondelier, a qualifié la nouvelle position de Macron d’« erreur historique prise par un homme seul, à la tête d’un État sans gouvernement ni majorité ».
La France insoumise n’a pas réagi officiellement – le mouvement est divisé sur le sujet. Mais la députée Ersilia Soudais a dénoncé une « provocation » du président : « Nos principes nous obligent à la cohérence et à la protection des droits du peuple sahraoui. »
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