Saint-Nazaire. Le clap de fin du pacte social créé par les Castors (OF.fr-3/8/23)

Les locaux de l’agence des Castors de l’Ouest avenue Barbara dans la ZAC de Grandchamps, à Trignac, ont définitivement fermé

Par Franck LABARRE (Presse Océan)

En juin 1950, trente ouvriers du chantier naval de Penhoët créaient au sein du CE « l’association coopérative d’auto-construction des Castors de Saint-Nazaire ». La structure à l’origine d’un véritable phénomène social a été placée en liquidation judiciaire le 7 avril 2023. Focus sur ces bâtisseurs de navires qui ont contribué à reconstruire en partie la cité portuaire après la guerre.

C’était la période de la Reconstruction de Saint-Nazaire devenue champ de ruines après les chapelets de bombes lâchées à haute altitude par les forteresses volantes des forces alliées. De retour après la libération de la Poche, la population est relogée dans des bungalows provisoires disséminés ici et là et dans les quelques habitations vétustes encore debout malgré le déluge de fer et de feu. Pour prendre en main leur destin, une poignée d’ouvriers, dessinateurs et ingénieurs élus au comité d’entreprise des Chantiers de Penhouët (devenu Penhoët), décident de mutualiser leurs efforts. Avec l’objectif de construire de leurs propres mains des maisons individuelles et pouvoir ainsi accéder d’une manière atypique à la propriété.

Les Castors ou le savoir-construire grâce à l’entraide et l’égalité

Le 2 juin 1950, ces bâtisseurs de navires emmenés par Maurice Fourcampré décident de créer au sein du CE l’Association coopérative d’autoconstruction des Castors de Saint-Nazaire. Ces pères fondateurs, vrais bricoleurs de génie dans une ville en pleine résurrection, vont être rapidement reconnus par décision interministérielle (Finances et Reconstruction). Les Castors bénéficient dès lors d’un prêt principal HLM, d’un prêt de la CAF sans intérêts et parfois d’une subvention patronale. Ce sera le cas aux chantiers navals. Les Castors fabriquent eux-mêmes les parpaings, achètent aux chantiers des matériaux de qualité professionnelle aux meilleures conditions et bénéficient du prêt de matériel et d’outillage de l’association nouvellement fondée.

Jusqu’à 44 000 adhérents

Sur ces principes de solidarité, d’égalité et d’entraide entre les familles, la structure qui aura érigé le « système D » en véritable phénomène social fut d’abord une réponse militante à la crise du logement généré par les destructions massives de la guerre. Les Castors de l’Ouest compteront même jusqu’à 44 000 adhérents dans les années 1990 et 22 sites, de Brest à La Rochelle.

La « fresque d’Épinal » installée sur un pignon de l’école de la Profondine, à Saint-Sébastien-sur-Loire, illustre l’esprit d’entraide qui anime les Castors au sortir de la guerre

Les pénuries de l’après-guerre favorisent le « faire par soi-même ». Mais toujours selon les règles d’or de l’artisan.  L’idée, c’était que des personnes de condition modeste puissent loger correctement leur famille en faisant des économies et leur permettre de se bâtir un toit , rappelait en 2011 dans Presse Océan Jacky Juhel qui était le responsable de l’agence Castors de Trignac. Le secteur de Kerlédé en bord d’estuaire va ainsi voir sortir de terre la toute première cité Castor, un lot de 50 pavillons sous statut HLM construits entre 1953 et 1957 sur un terrain de 3 hectares-et-demi acheté par le Col, Comité ouvrier du logement. Une seconde tranche de 53 maisons verra le jour au nord-ouest de la première.

Les maisons «Castors» à Kerlédé ; au centre, l’école Michelet rue Larousse | PHOTO PAUL LEMASSON ; COLLECTION SAINT-NAZAIRE AGGLOMÉRATION TOURISME ÉCOMUSÉE
Le camping de Kerlédé et les bungalows de la cité provisoire vers 1952 | PHOTO PAUL LEMASSON ; COLLECTION SAINT-NAZAIRE AGGLOMÉRATION TOURISME ÉCOMUSÉE

Quatre types de maisons

À Kerlédé, après leurs 12 heures quotidiennes de boulot à bord des navires, ils sont une cinquantaine de courageux Castors à édifier toute une cité dans un périmètre compris entre les rues Paré, Cuvier, Larousse, Lavoisier, de la Vigne-Rosée et Parmentier. Dimanches, jours fériés, congés payés, tout le temps libre y passait pour fabriquer son logis. Il existait quatre types de maisons, toutes avec salle d’eau, WC, électricité et eau courante : de plain-pied avec 2 chambres ; à étage avec 3 ou 4 chambres ; jumelées ou individuelles (rares puisqu’il n’y en eut que trois). Les dessinateurs du chantier naval tracent les plans des logements, d’autres camarades Castors apportent leurs compétences en matière d’électricité, de plomberie, de maçonnerie, de menuiserie, de couverture, etc. Il faut d’abord délimiter les terrains, abattre les arbres puis creuser les fondations… à la pelle et à la pioche. Pas de pelleteuse, de manière à limiter au maximum les coûts. Ensuite, la bétonnière tourne à plein régime !

Chaque membre apportait donc sa pierre à l’édifice en effectuant, selon ses capacités physiques et ses compétences techniques, un nombre d’heures de travail sur un chantier commun de construction de maisons individuelles. Chacune requérait en moyenne quelque 2 150 heures de travail.

La première «cité Castor» a été bâtie dans un périmètre compris entre les rues Paré (photo), Cuvier, Larousse, Lavoisier, de la Vigne-Rosée et Parmentier
Les maisons des Castors rue Daudet
Les maisons des Castors rue de la Vigne-Rosée

Un rôle pédagogique

Les Castors de l’Ouest avaient su évoluer, proposant divers services à leurs adhérents : la réglementation du plan local d’urbanisme (PLU) ; les plans ; l’assistance à la réalisation des travaux ou la maîtrise d’œuvre complète. La liste des entreprises partenaires pour obtenir les meilleures conditions d’achat des matériaux et équipements auprès des gros négociants (VM, Point P…), la centrale d’achats et son solide réseau d’artisans référencés représentant tous les corps de métiers. Surtout, leurs techniciens continuaient d’apporter de précieux conseils pour les travaux avec les matériaux et matériels pouvant être loués à l’agence. Tout ce pour quoi les Castors ont été créés au sortir de la guerre.

Mais tout a une fin. Depuis le 7 avril, les Castors de l’Ouest ont été placés en liquidation par le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire. Basée avenue Barbara dans la ZAC de Grandchamps, à Trignac, l’agence des Castors nazairiens a définitivement baissé le rideau. Les difficultés financières étaient apparues à l’ère du Covid. La politique du logement social a également rempli son rôle. Et puis, l’époque est sans doute moins à la solidarité. L’association qui avait pris il y a 73 ans le nom des rongeurs constructeurs de leurs cabanes avait aussi un rôle pédagogique : réapprendre aux gens à faire par eux-mêmes. Par ces temps économiques difficiles, la disparition de nos Castors de l’Ouest n’est pas une bonne nouvelle.

Source: https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/saint-nazaire-44600/saint-nazaire-le-clap-de-fin-du-pacte-social-cree-par-les-castors-fadb7ff8-304a-11ee-88f0-37c5cf28e831

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