Scandale Buitoni : un rapport de 2020 prouve les mensonges de Nestlé sur l’hygiène au sein de son usine. ( disclose.ngo – 15/06/22 )

L’usine qui fabrique les pizzas Buitoni a été mise en cause pour de graves problèmes d’hygiène en septembre 2020, révèle un rapport d’inspection obtenu par Disclose. La direction de Nestlé affirmait le contraire en mars dernier.

Le 17 février, Nathan, 8 ans, est pris d’intenses diarrhées et de vomissements. Hospitalisé à Paris, les médecins lui diagnostiquent un syndrome hémolytique et urémique, une infection grave causée par la bactérie Escherichia coli – E. coli, présente dans les matières fécales animales et humaines. Dans la nuit du 17 au 18 février, la situation du garçon se dégrade : après deux arrêts cardiaques, son cerveau et ses reins cessent de fonctionner. Nathan meurt peu de temps après. Un mois après son décès, le 10 mars, un autre enfant, âgé de 2 ans et demi, succombe des suites de la même infection. En l’espace de quelques semaines, ce sont 55 mineurs âgés de 1 à 17 ans qui vont être contaminés par la bactérie E. coli.

Le 17 mars, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la Direction générale de la santé finissent par identifier la source de l’intoxication. Il s’agit des pizzas surgelées Fraîch’Up de la marque Buitoni, propriété du groupe Nestlé. Le lendemain, le géant de l’agroalimentaire procède au rappel de toutes les pizzas de la gamme. Malgré l’étendue du scandale sanitaire, la direction de Nestlé France reste mutique.

Il faut attendre le 31 mars pour que le groupe sorte du silence… contraint et forcé. Ce jour-là, des photos prises par un ancien salarié de l’usine de Caudry (Nord) où sont produites près de 200 000 pizzas par jour refont surface sur RMC – elles avaient été diffusées en mai 2021 sur le site M. Mondialisation. Les clichés dévoilent des sols jonchés de déchets alimentaires, des cuves débordantes de pâtes ou encore des vers de farine sur la chaîne de fabrication.

Photos prises à l’intérieur de l’usine Buitoni de Caudry par un ancien salarié.

Dans les heures qui suivent, Pierre-Alexandre Teulié, le directeur de la communication de Nestlé, réagit auprès de l’AFP : « Ce que montrent [ces photos] ne représente pas l’état normal, habituel ou acceptable de l’usine. » Selon lui, il ne peut s’agir que d’un événement ponctuel. Et le communicant d’appuyer son propos en évoquant l’existence de deux contrôles réalisés par la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) en septembre 2020 et mars 2021. Des inspections inopinées, jure-t-il, qui n’auraient permis de relever aucun écart avec les réglementations en vigueur dans l’industrie agroalimentaire. C’est faux, comme le révèle le rapport du 30 septembre 2020 que Disclose s’est procuré.

« SOUILLURES »

Dans ce document de onze pages encore jamais publié, les inspecteurs de la DDPP rapportent de nombreux « manquements » aux règles d’hygiène sur la chaîne de production des pizzas surgelées. Les entorses aux règles sanitaires débutent dès le début de la visite, au niveau de la boulangerie, là où a été fabriquée la pâte à pizza contaminée par E. coli. Le « plafond est malpropre », écrivent les agents, qui notent également la présence de « souillures marron au niveau des poutres et sur les parois murales » ainsi qu’un dessus de presse « très poussiéreux » et avec des « miettes ». C’est pourtant sur cette machine que la pâte est étalée puis aplatie.

Photos de l’usine Buitoni de Caudry prises lors de l’inspection des services de l’Etat, en septembre 2020.

Même défaut d’hygiène dans la salle de garnissage des pizzas : « Le plafond est sale et souillé » ; « la gaine d’aération est malpropre » ; « une ouverture au plafond est sale et rouillée ». Plus inquiétant, les portes de deux congélateurs « sont couvertes d’une couche de glace », ce qui pourrait laisser craindre un défaut d’étanchéité. Vient le tour de la cuisine. Cette fois, les agents de la DDPP relèvent des « traces de moisissures », la présence de « peinture écaillée », de saleté sur les « grilles de la hotte » et de « rouille sur les poteaux ».

DES SIGNALEMENTS EN 2012 ET 2014

En conclusion, les inspecteurs rappellent la réglementation européenne en matière « d’hygiène des denrées alimentaires ». Obligation numéro 1 : « Les locaux par lesquels circulent les denrées alimentaires doivent être propres et en bon état d’entretien. » Dans le cas contraire, le contrevenant s’expose à un risque plutôt modeste : une amende de 450 euros par infraction. « Au vu des problèmes constatés, estime une ancienne ingénieure de l’industrie agroalimentaire à qui Disclose a fait analyser le rapport, les inspecteurs auraient du approfondir leurs investigations en faisant des prélèvements pour s’assurer qu’il n’y avait pas de contamination bactérienne. » Ce qui ne semble pas avoir été le cas.

Ce n’est pourtant pas la première fois que des problèmes d’hygiène sont mis en avant par la DDPP. Des rapports de contrôle réalisés en 2012 et 2014, obtenus par Disclose, avaient déjà signalé la présence de moisissure, de peintures écaillées et de rouille au sein de l’usine. Mais aussi de mites alimentaires, en 2012, sur la ligne de production des pizzas Fraich’Up.

L’usine Buitoni de Caudry (Nord) où sont fabriquées les pizza Fraich’Up est fermée depuis le 1er avril 2022. ©AFP

Selon nos informations, quelques jours après l’inspection du site de Caudry, en octobre 2020, la direction de Nestlé Grand Froid a fait l’objet d’un « avertissement ». Quelles suites ont été données par les services de l’Etat ? L’organisation d’une contre-visite six mois plus tard, en mars 2021. Mais contrairement à ce qu’a affirmé le directeur de la communication de Nestlé, cette visite, comme la précédente, n’avait rien d’inopiné. « La direction de l’usine avait été prévenue quarante-huit heures avant la visite des inspecteurs », confirme la DGCCRF auprès de Disclose. Dans les mois qui ont suivi, l’usine de Caudry n’a fait l’objet d’aucune visite inopinée.

Ce n’est que le 22 mars, en plein scandale, que la DDPP du Nord et la DGCCRF franchissent par surprise les portes de l’usine. « L’état d’hygiène de l’usine était déplorable », témoigne un agent de la DGCCRF sous couvert d’anonymat. Des « manquements graves » sont constatés. A commencer par le « manque d’entretien et de nettoyage des zones de fabrications » et « la présence de rongeurs ». Dans la foulée, le préfet de la région Hauts-de-France ordonne l’arrêt de la production pour cause de « menace pour la santé publique » liée à un « outil de production très dégradé », souligne l’arrêté préfectoral du 1er avril. Le même jour, une enquête préliminaire est ouverte par le pôle santé publique du parquet de Paris pour « mise en danger d’autrui, blessures involontaires et homicides involontaires ».

Contactée, la direction de Nestlé a déclaré qu’elle coopérait « pleinement avec les autorités dans le cadre de leur enquête visant à trouver l’origine de la bactérie ». A ce jour, l’industriel n’a toujours pas présenté d’excuses aux familles des victimes.

Auteur : Geoffrey Livolsi & Mathias Destal

Source : Scandale Buitoni : un rapport de 2020 prouve les mensonges de Nestlé sur l’hygiène au sein de son usine – Actualités – Disclose.ngo

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