L’offensive terrestre israélienne serait imminente contre cette localité du sud du territoire palestinien où s’entassent les civils déplacés. Le risque de massacre est tel que des chancelleries occidentales s’alarment d’une « catastrophe humanitaire » mais ne prennent aucune sanction contre Tel-Aviv.
Par Pierre BARBANCEY.
Pour Atta Abou Yusuf et sa famille, l’avenir proche ressemble à un grand trou noir. Il a déjà fui le quartier de Khan Younès où il vivait pour trouver refuge dans une école de l’UNRWA (l’organisme des Nations unies en charge des réfugiés palestiniens) à quelques kilomètres de là, dans la partie ouest de la ville pas encore touchée.
Dans les salles de classe transformées en chambres où s’agglutinent des dizaines de personnes dans des conditions d’hygiène déplorables, cet homme de 41 ans a tenté de donner un semblant de vie à ses sept enfants. « Mais, deux semaines plus tard, les forces israéliennes ont envahi tout Khan Younès et nous avons été obligés de partir en en emportant presque rien », explique-t-il par téléphone à l’Humanité.
« Maintenant, nous vivons dans la rue. J’ai juste réussi à trouver des bâches en plastique et des morceaux de tissu usés pour dresser une sorte de tente. » Rafah, où vivaient 240 000 personnes jusqu’à présent, se trouve surpeuplée. Plus d’un million de personnes tentent désormais d’y survivre.
L’hôpital de Khan Younès pris d’assaut par l’armée israélienne
L’aide humanitaire n’arrive qu’au compte-gouttes. Trouver de l’eau ou de la nourriture relève du parcours du combattant, sans parler des risques encourus au moindre déplacement. Vendredi 9 février, l’armée israélienne a pris d’assaut l’hôpital Al-Amal de Khan Younès où des personnels soignants et des patients ont été arrêtés. Des « combats intenses » auraient lieu dans l’autre grand établissement de santé, le complexe Al-Nasser. Samedi 10 février, à Rafah, 31 personnes, dont 10 enfants, ont été tuées lors d’une frappe aérienne.
Atta ne sait pas ce que sa famille va devenir. Alors que les bombardements s’intensifient sur Rafah, les conversations bruissent d’une imminente offensive terrestre israélienne et la peur déjà présente ne fait qu’augmenter. « Je n’arrive même plus à rassurer mes enfants, se désespère-t-il au cours d’une conversation pas toujours très audible, hachée en permanence. Nous nous sommes déplacés à Rafah, poussés à chaque fois par les Israéliens. Maintenant, s’ils s’installent ici, qu’allons-nous devenir ? »
La population dans son ensemble vit dans la terreur. D’autant plus qu’à chaque fois les autorités israéliennes l’a poussée vers des zones qu’elles assuraient « sûres ». Ce qui n’a pas empêché l’armée de les prendre pour cible. La dite « zone sûre » se rétrécit progressivement.
Un voile de mort s’étend du nord au sud de la bande de Gaza. Plus de 28 000 Palestiniens ont été tués et 7 000 se trouveraient sous les décombres ; plus de 67 000 ont été blessés, selon les chiffres du ministère de la Santé de Gaza, repris par l’ONU. Sur ce total, 70 % sont des femmes et des enfants.
« La seule zone encore sûre : Al-Mawasi, d’environ 16 kilomètres carrés »
Mercredi 7 février, Benyamin Netanyahou a révélé ses intentions militaires finales en ordonnant la préparation d’une opération au sol à Rafah. Sur sa lancée, le premier ministre israélien a demandé le rappel de nouveaux réservistes. « La victoire est à portée de main. Nous allons le faire. Nous allons prendre les derniers bataillons terroristes du Hamas et Rafah, qui est le dernier bastion », a-t-il expliqué dans un entretien diffusé dimanche sur la chaîne américaine ABC News.
Une fois de plus, Benyamin Netanyahou a assuré qu’un corridor serait ouvert pour les civils sans plus de précision. Selon Amira Hass, journaliste à Haaretz, « la seule zone sûre qui reste vraiment, et que l’armée désigne maintenant pour y masser les populations se trouvant à Rafah, est Al-Mawasi – une zone côtière du sud de Gaza d’environ 16 kilomètres carrés ». Soit, en comptant le déplacement d’un million de Palestiniens, 62 500 personnes au kilomètre carré. Par comparaison, à Paris, on compte 20 000 personnes par kilomètre carré.
Le Caire a acheminé quelques tanks vers la frontière, semblant vouloir résister à la pression israélienne mais laissant, depuis le mois d’octobre, Tel-Aviv contrôler la frontière avec Gaza sans la moindre protestation. Dans un timing soigneusement étudié, l’armée et le Shin Bet (le service de renseignements intérieur israélien) ont affirmé, samedi 10 février, avoir découvert dans la ville de Gaza un tunnel du Hamas sous le quartier général de l’UNRWA. Des affirmations qualifiées de « mensonges » par le Hamas.
Le commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, a écrit sur X : « Nous n’avons pas utilisé ce bâtiment depuis que nous l’avons quitté et nous n’avons connaissance d’aucune activité qui aurait pu s’y dérouler. »
– UNRWA did not know what is under its headquarters in Gaza.
– UNRWA is made aware of reports through the media regarding a tunnel under the UNRWA Headquarters in Gaza.
– UNRWA staff left its headquarters in Gaza City on 12 October following the Israeli evacuation orders and as…— Philippe Lazzarini (@UNLazzarini) February 10, 2024
Une « catastrophe humanitaire »
Il s’agit bel et bien de la chronique d’un massacre annoncé. Plus personne n’en doute, y compris parmi les plus fervents soutiens d’Israël. Plusieurs chancelleries s’inquiètent. L’Allemagne met en garde contre une « catastrophe humanitaire ». Un terme repris par le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell. Les États-Unis trouvent maintenant « excessive » la riposte israélienne.
Sur X, le chef de la diplomatie britannique David Cameron dit que les combats doivent cesser immédiatement afin que l’aide puisse entrer et que les otages puissent être libérés, et être suivis « de progrès vers un cessez-le-feu durable et permanent ». L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Jordanie ont aussi levé le ton.
Au sein de l’Union européenne (UE), seuls l’Espagne, la Belgique et dans une moindre mesure le Portugal affichent une position plus ferme face à Israël. Le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, a été plus clair en condamnant les attaques d’Israël et a demandé un « cessez-le-feu immédiat ».
Mais aucune mesure n’est envisagée pour contraindre Israël à mettre un terme à cette guerre. Personne n’évoque la moindre sanction, ni mesure de rétorsion. Pis, les contrats d’armements avec Israël continuent à être honorés. Aucun gouvernement n’évoque même les mesures conservatoires décidées par la Cour internationale de justice et dont on se demande quel sera l’argumentaire israélien devant cette institution dans deux semaines.
Atta Abou Yusuf tombe de Charybde en Scylla. « Si nous allons vers Al-Mawasi, nous mourrons de faim parce qu’Israël fermera les approvisionnements ; si nous restons, nous serons tués. » En quatre mois de guerre, Benyamin Netanyahou n’a pas trouvé un seul chef du Hamas mais a décimé la population. Il ne vise plus qu’une chose : pousser jusque dans le désert du Sinaï, en Égypte, ce qu’il reste des Palestiniens de la bande de Gaza.
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