Sidération et colère dans les rangs de la police judiciaire bretonne. ( OF.fr – 07/10/22 – 19h11 )

Les enquêteurs redoutent la fin de la PJ qui pourrait être entérinée par une prochaine réforme.
Les enquêteurs redoutent la fin de la PJ qui pourrait être entérinée par une prochaine réforme.

Les enquêteurs redoutent une réforme qui entérinerait la disparition de « la maison PJ ». Ils l’ont fait savoir, jeudi 6 octobre, à Marseille lors de la venue du directeur général de la police nationale, attendu à Rennes, à la fin du mois. Un policier brestois et un juge d’instruction rennais expliquent pourquoi le projet les inquiète au plus haut point.

Colère froide au sein de la police judiciaire (PJ). Ces hommes de l’ombre, qui d’habitude cultivent la discrétion, ont des choses à dire, car leur maison est « en danger ».

Dans chaque département, une réorganisation de la police nationale se dessine. La réforme, souhaitée par le ministère de l’Intérieur, prévoit de placer les policiers d’un même département, y compris donc ceux de la PJ, sous la responsabilité d’un seul directeur départemental de la police nationale (DDPN). Conséquences : ces experts pourraient être amenés à traiter des délits du quotidien au détriment des affaires liées à la grande criminalité.

Entretien avec Ronan Louedin, enquêteur à la PJ de Brest et représentant régional de l’association nationale de la police judiciaire (ANPJ) et Jérémy Mouchette, juge d’instruction à la Juridiction inter-régionale spécialisée (Jirs), membre de l’association française des magistrats instructeurs

Quelle est votre réaction après l’action de vos collègues de Marseille et l’éviction du patron de la police judiciaire de la zone sud de la France ?

Ronan Louedin : C’est la sidération de voir un patron qui nous a défendus se faire virer comme ça. C’est à la hauteur du mépris qui nous est opposé. Le directeur général de la police nationale doit venir à Rennes le 20 octobre, on ne sait pas si ce sera maintenu. Il y a une démotivation complète des équipes. Chez certains collègues, les esprits s’échauffent.

Pourquoi autant d’opposition à ce projet de ré-organisation de la police ?

R.L : Fondre les effectifs PJ dans ceux de la sécurité publique pour traiter les plaintes en souffrance et apporter notre expertise ? Cela ne tient pas. Ce n’est pas d’une expertise dont nos collègues ont besoin, mais de moyens humains et d’un filtrage pour ne pas tout traiter. Face au nombre de plaintes et à la complexité de la procédure, ils ne savent plus comment faire. La PJ ne va pas résoudre cela. 

Jérémy Mouchette : Les magistrats sont aussi inquiets de cette réforme. Les juges d’instruction sont ceux qui travaillent le plus avec la police judiciaire. On a l’impression qu’on va nous priver de nos moyens d’action. Demain, un juge d’instruction sans police judiciaire ne fait plus rien.

Ronan Louedin, enquêteur à la brigade criminelle de la police judiciaire de Brest. | OUEST-FRANCE

Vous redoutez de disparaître si cette réforme est mise en place ?

R.L : Oui, c’est le risque. L’essence même de notre métier, c’est la grande criminalité. C’est pour cela qu’on a choisi la PJ. On a besoin de temps, et d’autonomie pour travailler nos dossiers – sur lesquels on peut bosser le jour comme la nuit – qui demandent une expertise technique avec des écoutes, des surveillances. Si vous mettez des enquêteurs spécialisés sur des affaires de petite et de moyenne délinquance, comment voulez-vous qu’ils travaillent sur les procédures plus complexes ? On ne comprend pas cette volonté de casser un outil qui marche. Cela va forcément entraîner une baisse de nos taux d’élucidation.

J.M : Les enquêtes portant sur la criminalité organisée comme les affaires de blanchiment nécessitent une vraie expertise. Dans les antennes PJ, à Brest par exemple, ils sont formés pour cela. Ils ont aussi une parfaite connaissance du terrain et de ses acteurs. C’est précieux. J’ajoute aussi que travailler sur le haut du spectre a un effet sur la petite délinquance.

Les policiers ont créé une association ANPJ pour se faire entendre. C’est assez inédit ?

R.L : Elle s’est créée pour exprimer nos inquiétudes concernant cette réforme. C’est rare que l’on sorte de l’ombre. Ce n’est pas dans notre ADN, mais pas le choix. On s’est organisé rapidement et nous sommes très nombreux. C’est une association apolitique, hors syndicats. On s’échange les informations. Tout ça en plus de notre travail. On a reçu des soutiens de syndicats de magistrats, du conseil national des barreaux. Mais les membres de l’association n’ont pas été reçus par le directeur général.

Quel est l’état d’esprit dans les équipes ?

R.L : De l’abattement, du stress. On ne parle que de ça. La PJ, c’est une grande famille. Il y a des collègues qu’on voit pleurer, on constate une vraie souffrance. La preuve, plus de 1 700 rapports psychosociaux ont été envoyés à la hiérarchie. Je rappelle que nous sommes environ 3 500 à la PJ, cela montre bien l’ampleur du phénomène.

J.M : On ne comprend pas le fond et le sens de cette réforme. Nous n’en avons pas les contours précis. Personne n’a été associé et aucun discours ne vient nous rassurer. On est confronté à des éléments de langage. Je pose cette question : demain comment fera-t-on quand une affaire dépasse les frontières d’un département ?

Le 17 octobre, entre 12 h et 14 h, dans le cadre d’un mouvement national de l’ANPJ, des policiers de la PJ de Brest, Quimper, Rennes et Angers se rassembleront devant le tribunal judiciaire de Rennes pour protester contre la réforme.

Recueilli par Nathalie FLOCHLAY et Romain LECOMPTE.

Source : Sidération et colère dans les rangs de la police judiciaire bretonne (ouest-france.fr)

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