Sur les mouvements « spontanés » (IO.fr-16/09/25)

Des milliers de personnes rassemblées place des Fêtes, à Paris en assemblée « Bloquons tout », le 10 septembre.

De Macron à Guedj, et quelques autres de bien moindre importance, on se récrie : « Le 10 septembre, on ne sait pas d’où ça vient, les origines sont obscures ». C’est une conception policière de l’Histoire qui ne grandit pas ses auteurs.

Tribune libre de Jean-Marc SCHIAPPA.

De Macron à Guedj, et quelques autres de bien moindre importance, on se récrie : « Le 10 septembre, on ne sait pas d’où ça vient, les origines sont obscures ». Et on invoque Poutine, les complotistes, les extraterrestres, les services secrets, pourquoi pas les francs-maçons de la Nasa ?

Pourtant, l’histoire des mouvements populaires est d’une banale simplicité. Oui, à certains moments, un phénomène qualifié de « spontané » cristallise toute la situation et lui donne une formulation et une direction inattendues.

Faut-il chercher qui est à « à l’origine » du mouvement ? Même les historiens renoncent à ce type de questionnement dont il faut bien mesurer qu’il est réactionnaire.

Qui, le premier, le 14 juillet 1789 a lancé le cri « À la Bastille » ? On ne sait pas. Certes, ce n’était qu’un symbole que la prise de cette forteresse et elle ne changeait rien au fond du problème de l’affrontement entre le Tiers état et la monarchie absolue ; ce qui importait est que ce manifestant (ou cette manifestante) formulait le choc entre ces deux forces contradictoires, la Révolution et la réaction.

On ne sait pas qui était le premier soldat à Paris, sur la butte Montmartre, qui, le 18 mars 1871, a pris le parti de la manifestation populaire contre la réaction et a fait basculer, avec ses camarades, l’armée contre les généraux réactionnaires et a ouvert la voie à la Commune de Paris. L’armée n’a pas pu reprendre les canons qui appartenaient à la population qui s’était cotisée pour les avoir. Qui était ce soldat n’a absolument aucune importance ? Qu’il ait été un militant conscient et organisé (ce qui est peu probable) ou un individu ignare et peut-être perdu ne change rien au problème. Il concrétisait l’affrontement entre la Révolution qui se cherchait et la réaction au pouvoir. Par ce geste, somme toute banal et peut-être irréfléchi puisqu’on n’en connaît pas les raisons, il ouvrait la voie.

Dans l’affrontement permanent des étudiants parisiens en avril-mai 1968, un meeting se tenait place de la Sorbonne le 3 mai 1968 ; des militants étaient arrêtés par les forces de l’ordre. On ne sait pas, on ne saura jamais qui, le premier, a crié « Libérez nos camarades ».

Ce cri spontané, ô combien, a résumé l’aspiration de la masse des étudiants et des étudiants contre l’ordre policier incarné par les CRS de de Gaulle. Cette revendication concentrait en trois mots la liberté contre le corporatisme gaulliste. Elle portait à un niveau plus haut encore le choc entre les volontés de la classe ouvrière et de la jeunesse et celle de la Ve République.

Chercher un chef d’orchestre derrière un mouvement spontané est une conception policière de l’Histoire qui ne grandit pas ses auteurs mais qui, surtout, pour nous, révolutionnaires, est à l’opposé exact de ce qu’affirmait la Première Internationale : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Leur combat est leur combat, désolé pour ce pléonasme.

Et opposer la « spontanéité » qui serait pure, intacte, virginale (ou inspirée de Poutine et autres) à l’organisation est une aberration. La spontanéité se nourrit de l’expérience accumulée des mouvements antérieurs, plus ou moins anciens, et surtout de leur bilan négatif. Chercher une origine à cette spontanéité, c’est ne rien savoir de la lutte des classes et des masses. Pierre Lambert parlait régulièrement « des mille et un canaux » de l’expérience militante. Comment et pourquoi tel mot d’ordre ou telle initiative surgit est une question casuistique. Ce qui compte c’est de savoir si telle initiative ou tel mot d’ordre peut permettre d’avancer.

Il n’est pas nécessaire de partager toutes les formulations du marxiste Gramsci pour approuver son propos d’une grande pertinence : « Négliger et, pis, mépriser les mouvements dits spontanés, c’est-à-dire renoncer à leur donner une direction “consciente”, à les élever à un plan supérieur en les insérant dans la politique, (…) peut avoir souvent de très graves et très sérieuses conséquences. »

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Source: https://infos-ouvrieres.fr/2025/09/16/sur-les-mouvements-spontanes/

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/sur-les-mouvements-spontanes-io-fr-16-09-25/

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