Syndicalisme : ce photographe breton sort du cadre des manifs pour « montrer les corps qui cassent » (OF.fr-17/03/23)

Daniel Challe, photographe indépendant, a mené un travail sur le syndicalisme dans l’industrie, une commande de la Bibliothèque nationale de France, où ses tirages seront exposés en 2024. Ici, lors du rassemblement contre la réforme des retraites, jeudi 16 mars 2023, à Lorient.

Daniel Challe est photographe indépendant. En 2022, le Lorientais a passé des mois aux côtés des militants CGT, FO et Sud Industrie, en Bretagne et ailleurs. Avec la volonté de livrer les portraits des hommes qui se cachent derrière les banderoles. Dix de ses tirages seront exposés à la Bibliothèque nationale de France en 2024.

« On montre toujours les grands leaders des syndicats, Martinez, Berger, ou les syndicalistes dans des contextes de grèves, de blocages… Beaucoup moins au quotidien dans leur travail, dans leurs usines… C’est ce que j’ai voulu faire voir : la réalité des corps qui cassent. » Daniel Challe a pris, de janvier à août 2022, des centaines de clichés de syndicalistes. Sept mois d’un travail de fond mené, par ce « fort sympathisant, mais pas militant », avec une volonté affichée d’éclairer sur le syndicalisme dans l’industrie.

Le photographe indépendant, installé à Lorient (Morbihan), a répondu fin 2021 à un appel à projets visant à présenter des sujets de photos reportages. Une commande d’État pilotée par la Bibliothèque nationale de France (BNF).

Le Lorientais fait partie des 200 photographes sélectionnés, ayant obtenu une bourse de 22 000 € pour mener à bien son projet.

En 2024, une dizaine de ses tirages seront exposés à la BNF, à Paris. Avec son boîtier noir et blanc, le sexagénaire a sillonné l’Hexagone d’Ouest en Est, en commençant par la Bretagne.

Eric Blanchier, syndicaliste CGT, à la Fonderie de Bretagne, à Caudan. | DANIEL CHALLE

« J’ai passé un mois à passer des coups de fil »

Daniel Challe dévoile le fruit de son travail. Étale les nombreux portraits, parmi lesquels apparaissent certaines figures connues du pays de Lorient.

Sur l’un pose Eddie Le Goulven, secrétaire des ouvriers dockers CGT au port de commerce de Kergroise, au fond d’une cale à soja. Éric Blanchier, délégué syndical CGT de la Fonderie de Bretagne, devant le site, à l’aube. Ou encore Bruno Le Nezet, délégué syndical CGT de Naval Group Lorient, bavardant avec d’autres syndicalistes de la Fédération nationale des travailleurs de l’État, au siège de la CGT, à Montreuil (Seine-Saint-Denis).

Bruno Le Nezet, délégué syndical CGT de Naval Group Lorient, bavarde avec d’autres syndicalistes de la FNTE au siège de la CGT, à Montreuil. | DANIEL CHALLE

Derrière son objectif, le sexagénaire a capté les regards. Les mains abîmées. Les postures prises, comme dans le prolongement, parfois, des machines. Et livre sur papier glacé les images de la rudesse, des souffrances, de la pénibilité.

Pour en arriver là, il a fallu des heures à Daniel Challe pour tisser un lien de confiance. « Je n’ai pas débarqué dès le premier jour avec mon appareil photo, souffle-t-il. ​J’ai passé un mois à passer des coups de téléphone, ils sont très occupés… Et puis, les portes se sont ouvertes petit à petit. » Naval Group ; Fonderie de Bretagne ; port de commerce ; Bigard, à Quimperlé (Finistère) ; Les Salaisons celtiques, à Pontivy, sont devenus ses terrains de jeu. Comme les chantiers navals de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) ; l’usine Michelin, ou celle de l’entreprise aéronautique Safran Aircraft Engines, toutes les deux basées en Saône-et-Loire, parmi d’autres.

Eddie Le Goulven, délégué CGT des dockers, à Lorient, au fond d’une cale à soja. | DANIEL CHALLE

« Je n’ai pas pu accéder à l’intérieur de certains sites »

Le photographe raconte, comment il s’est heurté, parfois, à la défiance des dirigeants. « Je n’ai pas pu accéder à l’intérieur de certains sites. Pour des raisons de secret-défense. Ou tout simplement pour des raisons syndicales. » Il partage la frustration, alors, de devoir se cantonner aux seuls décorums des locaux. « Mais finalement, ces situations racontent plein d’histoires. Les difficultés d’accès en disent long sur les tensions sociales, aussi… »

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Daniel Challe a suivi les syndicalistes lors des meetings, assisté à leurs réunions. « Le travail du syndicat est un travail du quotidien, il faut sortir de l’imagerie de la manif. Ils ont des connaissances juridiques solides, font preuve d’empathie. Ils ne comptent pas leurs heures… »

Des ouvriers soudeurs de l’entreprise Ferropem, en Isère. | DANIEL CHALLE

Un livre en projet

Le photographe évoque les moments d’intimité partagés. Comme les dockers de Lorient réunis chaque semaine avec les anciens, à la retraite, pour une partie de belote. Le témoignage d’un ouvrier, confiant ses difficultés d’adaptation aux changements de méthodes, l’ayant conduit à la dépression.

Tous ont évoqué avec le photographe « la perte de sens, des savoir-faire, les tâches répétitives, le manque de reconnaissance quand ce n’est pas le mépris. Ça m’a parfois tiré les larmes aux yeux. »

Ronan le Nezet délégué syndical CGT aux Salaisons Celtiques, à Pontivy, et ses camarades syndicalistes.| DANIEL CHALLE

Au fil des échanges, les syndicalistes sont devenus des amis. « J’ai adoré ce projet, j’ai envie de le poursuivre. Pourquoi pas en faire un livre… »

Mercredi 15 mars, lors de la manifestation organisée contre la réforme des retraites, ou encore jeudi 16, lors du rassemblement devant la sous-préfecture de Lorient, Daniel Challe était encore là, fondu dans le cortège, aux côtés des militants CGT, Sud Industrie, et Force ouvrière. Son Leica monochrome autour du cou…

Pauline DECKER

Source: https://www.ouest-france.fr/bretagne/lorient-56100/syndicalisme-ce-photographe-breton-sort-du-cadre-des-manifs-pour-montrer-les-corps-qui-cassent-f4eaf08e-c406-11ed-9add-012db42d5c37

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