Taxation des superprofits : partout, sauf en France ? ( Charlie Hebdo – 4/08/22 )

Les superprofits des compagnies d’énergie, conséquence de la guerre, n’ont aucune justification économique. En taxer une petite partie, alors que les difficultés des individus s’accroissent, et que les dépenses sociales des États explosent, est une évidence qui a cours dans certains pays européens mais pas en France.

« Il est immoral que les sociétés pétrolières et gazières réalisent des profits records grâce à la crise énergétique actuelle sur le dos des plus pauvres, à un coût énorme pour le climat. J’exhorte tous les gouvernements à taxer ces profits excessifs et à utiliser les fonds pour soutenir les personnes les plus vulnérables. » Ce cri d’Antonio Guterres, secrétaire général de l’Organisation des nations unies, vient renforcer le camp des personnes favorables à une taxation exceptionnelle des profits des géants du gaz et du pétrole.

Il faut dire que les sommes en jeu dépassent l’entendement. Lors des deux premiers trimestres de cette année, TotalEnergies a déjà engrangé 10,6 milliards de dollars de bénéfice. Mais le britannique Shell et les américains ExxonMobil et Chevron font beaucoup mieux : 18 milliards pour les deux premiers, et 11,6 pour le troisième. Et tout cela au cours du second semestre ! En seulement trois mois, oui.

La pression politique est montée pour taxer ces profits, déjà dingues en eux-mêmes, mais en plus indécents, car en conséquence d’une guerre, et insupportables, alors que tant de gens se serrent la ceinture.

Conservateurs britanniques et socialistes espagnols unis pour les taxes

Le 26 mai, au Royaume-Uni, le gouvernement conservateur de Boris Johnson a décidé d’accroître fortement le taux de l’impôt sur les bénéfices de l’extraction de gaz et de pétrole en mer du Nord, pour les porter de 40 % à… 65 % ! Les sommes récoltées – 5 milliards d’euros – permettront de financer un tiers des aides exceptionnelles aux ménages pour réduire leur facture d’énergie. La surtaxe restera en place jusqu’à ce que les prix du gaz et de l’électricité reviennent à « un niveau plus normal ». Ou, au plus tard, en 2025.

Ce pays fut suivi en juillet par l’Espagne, où la logique du gouvernement socialiste de Pedro Sanchez fut la même : augmenter temporairement les taxes sur les grands groupes producteurs d’énergie, mais aussi les banques, afin de financer d’importantes mesures sociales telles que transports, éducation, logement, etc. Il s’agit de calmer la colère populaire, mise à mal par une inflation dépassant, tout comme au Royaume-Uni, les 10 % cette année.

Et en France ? Le gouvernement souligne à raison que l’inflation y est moins pire qu’ailleurs, notamment grâce à l’interdiction faite à EDF d’augmenter ses prix, et du fait de la ristourne à la pompe sur l’essence. Deux mesures très généreuses, qui ont déjà coûté des dizaines de milliards à l’État depuis l’invasion russe de l’Ukraine. Mais sur le plan économique, ou même philosophique, il n’y a aucun argument sérieux pour s’opposer à demander quelques milliards à TotalEnergies.

Pas de démocratie sans impôts, c’est Bruno qui le dit

Leurs bénéfices sont une sorte de cadeau du ciel, conséquence du retour de la guerre en Europe, et du fait que la plupart des gens et des entreprises n’ont pas d’alternative au pétrole. Franchement pas de quoi être fiers ! Ces bénéfices absurdes, aussi dans le viseur du marxiste Joe Biden aux États-Unis, ne sont la contrepartie d’aucun talent, d’aucun mérite, ni même d’aucun travail supplémentaire.

De ce fait, Bruno Le Maire en est réduit à des propos de comptoirs, qualifiant la fiscalité de « réflexe pavlovien : dès qu’il y a une difficulté, une taxe. » Mais voici ce que disait le même Bruno Le Maire dans Le Figaro en octobre 2018 :

« Le consentement à l’impôt et la justice fiscale sont intrinsèquement liés à la naissance et la vie des démocraties. C’est au nom des peuples, depuis les révolutions britannique, américaine et française que l’impôt est levé. Taxer, c’est permettre de financer les États au nom de l’intérêt général. Il est donc essentiel pour l’avenir de nos démocraties que chacun paie sa juste part de l’impôt. Or, aujourd’hui, ce n’est pas le cas. »

C’était à propos de la taxation des géants du numérique que Bruno Le Maire voulait instaurer au sein de l’UE. À ce moment-là, dans ce contexte-là, taxer, c’était être moderne, progressiste. Mais, maintenant, taxer, ce serait bête et méchant. Et, étrangement, l’argument « tous les autres pays le font » que l’on nous sert d’habitude pour baisser les retraites et les allocations-chômage, on ne l’entend plus.

Bref, on l’a compris, la politique de Bruno Le Maire est arbitraire, calquée sur celle, tout aussi arbitraire, d’Emmanuel Macron, dans le seul but de favoriser la carrière du premier. Pourtant, quand on relit son texte aujourd’hui, on se dit que, oui, il est essentiel que chacun paie sa juste part de l’impôt. Et que non, aujourd’hui, en France, ce n’est pas le cas. Et de trrrès loin. •

Source : Taxation des superprofits : partout, sauf en France ? – Charlie Hebdo

Auteur : Jacques Littauer

Image : Commun Commune

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