Témoignage « On nous maintient en dessous du seuil de pauvreté » : les infirmiers de pratique avancée refusent d’être les faire-valoir du système de santé (H.fr-22/01/24)

Emmanuel Hardy, infirmier en pratique avancée et président de l’UNIPA (Union Nationale des Infirmiers en Pratique Avancée) dans son cabinet médical, à Boigny-sur-Bionne (Loiret), le 18 décembre 2023. © Romain GAUTIER / Hans Lucas

Alors que le gouvernement les présente comme les sauveurs du système, les infirmiers de pratique avancée, comme Emmanuel Hardy, revendiquent avant tout le développement de leur profession et la fin de leur précarisation.

Par Cécile ROUSSEAU

Un métier mystérieux aux yeux du grand public. Dans sa maison de santé du Loiret, quand Emmanuel Hardy explique aux patients en quoi consiste sa profession d’infirmier en pratique avancé (IPA), certains sont dubitatifs : « Ils me demandent si je suis un mini-médecin, je réponds » pas vraiment » », sourit-il. Quand ils voient que le rendez-vous se passe bien, ils reviennent. » Si, en Australie, au Japon, au Burkina Faso ou encore aux États-Unis, les IPA existent depuis longtemps, la France a attendu que les blouses blanches manquent de manière drastique pour sauter le pas en 2018.

Infirmier depuis une dizaine d’années, Emmanuel Hardy, 38 ans, s’est vite lancé dans l’aventure par envie d’approfondir ses connaissances cliniques. « En temps qu’IPA, on consacre 70 % de notre temps à examiner le malade et à discuter avec lui de sa vie, de son environnement :  “Est-il seul chez lui ? Y a-t-il des escaliers ? Comment va le couple ?” Comme on ne va pas forcément employer le même vocabulaire qu’un médecin, on ne dit pas la même chose. Nous sommes là pour accompagner. »

Les sauveteurs du système de santé ?

La pose d’une sorte de prédiagnostic va ensuite permettre d’aiguiller le généraliste. « Nous avons aussi des missions d’éducation, de prévention et de dépistage. Nous pouvons également renouveler certaines ordonnances de médicaments et en prescrire d’autres, mais la liste, très réduite, change constamment », précise-t-il.

Avec 12 millions de personnes souffrant de maladies chroniques dans le pays, Emmanuel Hardy et ses consœurs (les IPA sont majoritairement des femmes) élaborent aussi des parcours de soins complexes pour les personnes diabétiques ou souffrant d’insuffisance cardiaque. Présentés comme les sauveteurs du système de santé par un gouvernement qui mise tout sur les délégations d’actes, ces soignants d’un nouveau type comptent bien prendre leur part dans l’accès aux soins.

Mais pas question de jouer les roues de secours face à la pénurie de praticiens. Ni de servir de prétexte à des économies budgétaires : « La réponse à la crise ne peut pas passer uniquement par nous, nuance le professionnel. Il faudrait avant tout rendre attrayantes toutes les professions de santé. »

Si certains médecins voient ce métier d’un œil circonspect, craignant une mise en concurrence ou un exercice dévoyé de la médecine, Emmanuel Hardy, lui, se perçoit avant tout comme une nouvelle interface pour les malades : « Dans notre maison de santé, on travaille en bonne intelligence avec les généralistes, assure-t-il. Si j’ai besoin d’un avis, je peux les appeler entre deux consultations. »

« On nous maintient en dessous du seuil de pauvreté »

Dans le Loiret, un des plus importants déserts médicaux français, où 24 % des habitants n’ont pas de médecin traitant et où des dizaines de lits sont fermés au CHU d’Orléans, les IPA pourraient devenir, par la force des choses, un des pivots de l’offre de soins. Encore faut-il que leurs conditions d’exercice soient réunies.

Emmanuel Hardy, devenu président de l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (Unipa) en 2022, décrit la mise en route « laborieuse » de cette profession. Avec 2 328 IPA dans le pays, en deçà des objectifs fixés, le décollage est lent. « On reprend deux ans d’études en fac de médecine, niveau master, la vie familiale en prend un coup. Et quand on a fini, c’est le parcours du combattant qui commence », résume-t-il.

Un rapport de la Cour des comptes, paru à l’été 2023, pointe que les IPA en libéral, comme lui, ne bénéficient pas encore d’un modèle économique leur permettant de « vivre de leur activité ». Sous le statut de salarié, la situation n’est « guère plus attrayante ». « Jusqu’ici, certains mois, je gagnais 700 euros, même moins, déplore le soignant. L’aspect financier est clairement un frein à de nouvelles installations. Quant à une IPA salariée, elle va gagner 2 100 euros brut alors qu’elle devrait toucher au moins 3 000 euros, vu les responsabilités. »

La revalorisation de 23 % de leur forfait par l’Assurance Maladie, fin 2022, est loin d’avoir résolu le problème. « On nous maintient en dessous du seuil de pauvreté. J’ai des copains qui ont dû vendre leur voiture. D’autres ont fini par divorcer à cause des tensions que cela engendre. »

Dans ce contexte compliqué, il espère que l’accès direct à un IPA sur rendez-vous, dans le cadre d’un exercice coordonné avec un médecin, instauré par la contestée loi Rist en mai 2023, sera « une bulle d’oxygène » pour tous. « Avant, il fallait passer par un docteur. Maintenant, le parcours est fluidifié. Nos carnets de consultations sont déjà plus remplis. Les patients ont bien compris que, dans notre désert médical, soit ils ont une consultation avec nous, soit ils ne voient personne. »

Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/sante/on-nous-maintient-en-dessous-du-seuil-de-pauvrete-les-infirmiers-de-pratique-avancee-refusent-detre-les-faire-valoir-du-systeme-de-sante

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/temoignages-on-nous-maintient-en-dessous-du-seuil-de-pauvrete-les-infirmiers-de-pratique-avancee-refusent-detre-les-faire-valoir-du-systeme-de-sante-h-fr-22-01/

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