Traite des êtres humains en Bretagne : « Il nous avait promis de nous obtenir un titre de séjour » (OF.fr-26/05/23)

Audience crève-cœur, ce jeudi 25 mai 2023, au tribunal de Brest, pour l’affaire de traite des êtres humains dans une entreprise de ramassage de volailles dans le Finistère-nord

Par Frédérique GUIZIOU

Quatre ans et deux ans de prison requis pour le couple, jugé ce jeudi 25 mai 2023 à Brest, pour « traite des êtres humains ». À la tête d’une entreprise de ramassage de volailles dans le Finistère-nord, ce gérant d’entreprise et sa compagne ont pourtant nié avoir exploité 15 travailleurs « dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine ».

Poursuivis pour « traite des êtres humains », le gérant d’une entreprise de ramassage de volailles, âgé de 63 ans et sa femme de 38 ans, font face, ce jeudi 25 mai 2023 au tribunal de Brest, aux 15 travailleurs qui ont porté plainte contre eux. Tous ont expliqué avoir été « exploités dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine », entre mars 2018 et septembre 2020, entre Saint-Sauveur, Morlaix, Scrignac et Landivisiau (Finistère).

« Il avait promis de nous régulariser »

« Pourquoi êtes-vous venus, et restés, travailler et vivre dans des conditions aussi épouvantables ? » les a questionnés le juge Xavier Jublln. Les 15 hommes, originaires de Côte d’Ivoire et de l’île-Maurice, ont, tous, eu, encore, la même réponse : « Parce qu’il nous avait promis de régulariser notre situation, de nous obtenir un titre de séjour. »

Assis côte à côte, l’ancien patron de l’entreprise Prestavic et son épouse secouent la tête. L’ancienne ramasseuse de volailles a été embauchée en 2017, quelques mois après avoir quitté la Côte d’Ivoire avec juste un visa touristique sur son passeport ivoirien. Elle a « très vite débuté une relation intime avec le directeur ».

Grande, cheveux blonds, lunettes dorées, elle va être présentée comme « la reine-mère », celle qui « faisait la pluie et le beau temps » : elle avait « une grande influence sur le patron » et « favorisait ceux qu’elle fréquentait en dehors du travail. »

« Un patron alcoolique, insultant et désagréable »

Elle nie « le chantage permanent » évoqué par les travailleurs pour le recrutement desquels elle « n’a joué aucun rôle. » Elle nie avoir attiré ses compatriotes à Saint-Sauveur en leur faisant miroiter, à terme, « le Sésame, le permis de séjour ».

Lui, petit, le crâne rasé, une boucle à l’oreille, veste noire et jean, travaille désormais en intérim, pour 1 500 € par mois. Décrit comme « un patron alcoolique,  violent, insultant et désagréable », on lui reproche « un management autoritaire et déshumanisé » : des durées de travail anarchiques aux amplitudes élevées sans pause « même pour les besoins naturels », aucune protection sociale.

Partis en camion vers 17 h, ils travaillaient de nuit, jusqu’au lendemain non-stop, jusqu’à 10 h ou midi, en fonction de l’activité : 20 h de travail mal payé en continu. Sans aucune compensation, ni majoration, ni café. Ils patientaient, entassés dans un local inconfortable entre deux chantiers, autour d’un minuscule chauffage.

« Pourquoi employer ces personnes sans papiers ? » interroge le juge. « J’avais besoin, en urgence, de personnel, répond l’ancien directeur de Prestavic. Les personnes de nationalité française ou européenne n’en veulent pas de ce métier très dur ! »

« Vous vous êtes donc tournés vers ceux qui voulaient bien venir, poursuit le juge. Et vous leur aviez promis de régulariser leur situation. »  L’ancien patron s’obstine : « Au moment de l’embauche, je disais juste que je fournissais un emploi et un salaire. C’est tout ! »

« Ivre de fatigue »

« On bossait, on ramassait des dindons de 25 kg, j’étais ivre de fatigue, raconte, la gorge serrée, le premier travailleur à avoir porté plainte, hospitalisé en urgence : « Le mélange d’excréments et de paille… Mes gants ne faisaient pas l’affaire… j’ai perdu presque tous les ongles… je suis tombé plusieurs fois… »

Tous répètent les traumatismes, les humiliations, les mêmes terribles témoignages qui ont amené le Comité contre l’esclavage moderne (CCEM) à les accompagner et à se porter partie civile. « Saviez-vous que, si vous portiez plainte, vous pourriez régulariser votre situation, puis en cas de condamnation, obtenir un titre de séjour plus long ? » insinue Me Tracol, l’avocat du couple. « On l’a su après ! » jurent les 15 victimes. C’est le patron qui nous a condamnés à rester sans papier, à avoir peur tout le temps, à ne pas pouvoir avancer. »

Tous racontent leur « panique », le jour de leur convocation dans les locaux de la Mutuelle sociale agricole (MSA) : ils n’ont pas affaire aux inspecteurs du travail, les premiers à révéler leur calvaire, mais à des enquêteurs de la Police de l’air et des frontières (PAF) co-saisis sur l’affaire. La PAF suspecte, entre l’inspection du travail et la CGT qui, elle aussi, accompagne les travailleurs, une union « pour régulariser tout le monde ».

« Ils n’ont jamais modifié leur version. Ils n’ont certainement pas non plus agité le spectre de la traite ! » réfute leur avocat, Me Mehdi Bouzaida, en dénonçant les « interrogatoires orientés » de la PAF : « Vous déposez plainte, quitte à mentir et exagérer pour avoir un titre de séjour ? » demandait alors un policier. « Je n’exagère pas mes propos mais, bien sûr, je suis motivé pour avoir des papiers et pouvoir travailler en France », lui répondait, en toute honnêteté, l’un des plaignants.

« Cynisme absolu »

Dénonçant son « cynisme absolu », la procureure Solenn Briand a requis quatre ans de prison ferme avec mandat de dépôt contre le gérant. Et contre sa compagne, pour complicité, une peine de deux ans de prison, dont un avec sursis. Le jugement sera rendu le 6 juillet 2023.

Liquidée, la société Prestavic a, elle, été définitivement condamnée pour traite des êtres humains. Elle a écopé d’une amende de 30 000 € et doit verser 1 500 € à chacune des victimes.

Source: https://www.ouest-france.fr/societe/justice/traite-des-etres-humains-en-bretagne-il-nous-avait-promis-de-nous-obtenir-un-titre-de-sejour-3e613144-fb23-11ed-ba9b-a617ac9099fb

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/traite-des-etres-humains-en-bretagne-il-nous-avait-promis-de-nous-obtenir-un-titre-de-sejour-of-fr-26-05-23/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *