
ll y a plus de trois ans, en juillet 2019, Marie (*), une infirmière des urgences de l’hôpital de la Cavale-Blanche au CHRU de Brest, expliquait la grève et la fuite des soignants. Depuis, la covid-19 est passée par là et la situation a empiré.
Comment se sont passées les fêtes aux urgences de la Cavale-Blanche ?
« Durant les vacances, il y a eu de gros coups de chaud, mais le week-end du 1er janvier 2023 a été calme. En revanche, lundi tout a explosé, les 20 box du plateau et l’espace Abers de neuf places étaient pleins, de même que l’ancien garage à ambulances, qui abrite la salle d’attente allongée (SAA), d’une capacité de 25 brancards. Elle a été ouverte pour qu’il n’y ait plus de patients sur des brancards dans les couloirs, mais lundi cela a quand même été le cas. Dans cette salle, il n’y a pas d’intimité, nous enlevons les paravents pour pouvoir surveiller les malades, qui sont à la charge d’un seul binôme infirmier et aide-soignant. Il n’y avait pas de toilettes, jusqu’à il y a peu. Deux salles ont été ouvertes : l’une pour des examens ; l’autre, sans W.-C., est l’espace “toilettes”. On doit parfois laver les malades qui se sont souillés, alors que le point d’eau se trouve à l’extérieur de la pièce. Lundi, les cinq places des urgences gérontologiques, ouvertes de 10 h à 18 h, ont été réquisitionnées pour installer des patients à deux par box. La régulation a temporisé au maximum, les gens appellent plus souvent le 15 maintenant, d’autant que les urgences de Landerneau ont fermé la nuit durant ces vacances. Mais il y a toujours un manque de lits en amont, fermés faute de personnels. Les malades covid, et grippe actuellement, ne peuvent pas être mis en chambre double, alors que l’on manque déjà de lits, cela crée d’autres soucis ».
Pourquoi une telle affluence ?
« La population vient de plus en plus à l’hôpital public, parce qu’elle a l’impression de ne pas payer, même si depuis un an il faut régler 19,61 €, non remboursés par la Sécurité sociale. L’hôpital public accueille tout le monde. Si l’on va chez son médecin traitant, il faudra payer la consultation, ensuite prendre rendez-vous pour un examen, une radio, et à nouveau payer. Quand les gens viennent ici, ils ont un plateau technique complet et pas d’argent à avancer. Avec la crise, ils viendront de plus en plus souvent à l’hôpital public ».
Le nombre de passages quotidiens est-il en hausse ?
« On reste dans la moyenne de 150 passages par 24 heures, on peut faire 120 ou des pics à 180, mais 120 avec des malades lourds c’est problématique. Les administratifs ne comprennent pas que, quand on a la charge de six ou huit malades, si un ou deux ne vont pas bien, on est obligés de rester à côté et on croise les doigts pour qu’il ne se passe rien pour les autres…?Ou on demande de l’aide à la collègue d’a côté, qui peut se trouver dans la même situation ».
Trois années ont passé depuis le constat que vous faisiez d’une fuite des soignants, quelle est la situation actuelle ?
« Lors des grèves de 2018-2019, nous étions en plein naufrage. Mais là ce n’est plus un naufrage, c’est un système en perdition complète. Je pensais que les gens allaient se révolter après la covid, mais non ! Le système est en train de mourir par épuisement, aussi bien du côté paramédical que médical, plusieurs médecins sont partis. Chaque jour, on est dans l’incertitude, y aura-t-il un collègue pour prendre la suite ? Souvent, on reçoit un mail annonçant notre horaire du lendemain. Comment font les soignantes qui ont des enfants en bas âge ? On travaille de 6 h 30 à 14 h 30, ou de 13 h 30 à 21 h, la nuit de 20 h 45 à 6 h 30 ou encore de 15 h 30 à 23 h. Il y a un service de remplacement à l’hôpital, payé en heures supplémentaires mais qui peine à recruter. Ces soignants arrivent de tous les services, ne connaissent pas les urgences, ils apprennent sur le tas la disposition des locaux, le logiciel, le fonctionnement des urgences. Les soignants fuient toujours. De nombreux collègues font des bilans de compétences, pour quitter leur métier, des gens qui travaillent très bien, mais qui n’en peuvent plus. Quand, en plus, le gouvernement appuie sur le bouton plan blanc, on est réquisitionné, on flotte au gré du courant? ! On ne peut plus avoir de vie sociale ».
Quel a été l’impact de la pandémie de covid ?
« Les patients qui arrivent aujourd’hui sont plus malades qu’il y a deux ans. Il y a eu des retards de prise en charge, des pertes de chance, les pathologies ont évolué, et je suis effarée par le nombre de décès. Avec la crise économique, les familles gardent auprès d’elles ou à domicile leur parent âgé, faute de place en Ehpad ou de possibilité de payer. Malgré toute la bonne volonté des proches, les personnes âgées arrivent dans un état plus dégradé aux urgences. Ce qui a changé avec la covid, c’est que le capital confiance des soignants envers l’administration s’est effondré. Les administratifs sont hors sol, leur seule réponse est : “On vous comprend, nous vous soutenons”, sans effet sur nos conditions de travail. On nous dit qu’à Rennes les gens attendent plus longtemps encore sur les brancards, cela nous fait une belle jambe. Et puis, au début de la covid, on nous a carrément menti, en nous disant qu’il n’y avait pas besoin de masque. Et ensuite que l’on pouvait venir travailler si on était positif à la covid… ».
Vous avez choisi de rester, pourquoi ?
« J’adore ce que je fais, mais je n’ai pas signé pour ce qui se passe maintenant. La pression administrative est forte. Il est impossible de se reposer tranquillement sans avoir le fil à la patte de l’e-mail qui va vous changer vos horaires. Si je pose une semaine de congé, je suis obligée de m’arranger avec une collègue pour qu’elle me remplace le week-end et elle va faire trois semaines sans week-end. Parfois, on termine avec une heure ou une heure et demie de retard, s’il y a des malades lourds ou pas de relève. Pour que les choses aillent mieux, il faudrait du personnel, pour qu’on ait le temps de s’occuper des malades, et il faudrait aussi des lits ».
* Le prénom a été modifié
Catherine LE GUEN