Ukraine : pour éviter le chaos climatique, il faut négocier!(reporterre-2/06/23)

Pour préserver l’environnement, les négociations doivent être privilégiées dans la guerre en Ukraine, estime Fabien Scheidler

Par Fabien SCHEIDLER

Dans cette tribune, l’auteur et journaliste Fabien Scheidler appelle l’Occident à privilégier les négociations dans la guerre en Ukraine. La paix, selon lui, est indispensable pour lutter contre le changement climatique.

Fabian Scheidler est l’auteur de La Fin de la mégamachine. Sur les traces d’une civilisation en voie d’effondrement, (éditions du Seuil). En tant que journaliste, il collabore avec de nombreux journaux allemands, dont entre autres le Berliner Zeitung, les Blätter für deutsche und internationale Politik, Taz, Frankfurter Rundschau


Les Pentagon Leaks (informations fuitées du Pentagone) ont montré que, du point de vue de l’armée étatsunienne, la confrontation entre la Russie et l’Ukraine est dans une impasse. Aucun des deux camps n’est en mesure de l’emporter dans un avenir prévisible. C’est ce qu’avaient déjà déclaré publiquement des militaires de premier plan, comme le général Milley, président du comité des chefs d’état-major interarmées aux États-Unis.

Les négociations, si difficiles soient-elles, deviennent ainsi la seule option rationnelle pour trois raisons. De un, la poursuite de la guerre dans ces conditions déboucherait sur une effusion de sang sans que le territoire ukrainien ne soit restauré. De deux, une escalade nucléaire deviendrait de plus en plus probable si la fin de la guerre s’éloignait : un échange de coups nucléaires, même s’il serait restreint sur l’usage d’un nombre limité d’armes, pourrait conduire à un hiver nucléaire, anéantissant une grande partie de l’humanité et du reste de la vie sur Terre [1].

De trois, la nouvelle guerre froide et chaude détruit à plusieurs égards les chances d’éviter un effondrement du climat et de la biosphère. Si nous dépassons certains des points de basculement imminents du système climatique, par exemple l’effondrement de la forêt amazonienne, la Terre risque de basculer dans un état entièrement nouveau : le « Hothouse Earth », terme se traduisant par « planète serre », soit un point de rupture qui rend le globe de moins en moins vivable.

Faire des offres à la Russie

Des régions entières de la planète, dont certaines parties de l’Asie du Sud, du Moyen-Orient et de l’Afrique, deviendraient inhabitables. Pour éviter cette situation, la plus grande partie des énergies fossiles encore présentes dans la croûte terrestre doit rester dans le sol. Il est donc à nouveau indispensable d’intensifier la coopération internationale, y compris avec la Chine et la Russie.

Si absurde que cela puisse paraître à l’heure actuelle, l’Occident doit faire des offres à la Russie pour qu’elle passe du statut d’exportateur de combustibles fossiles à celui de producteur d’énergies renouvelables — car le plus grand pays du monde dispose d’un énorme potentiel dans ce domaine. Si la Russie reste, du point de vue occidental, un paria avec lequel on ne parle pas, une telle perspective est impensable.

Pour Fabien Scheidler, il est urgent de moins financer l’armée, au profit d’une transition écologique sérieuse.

La nouvelle confrontation des blocs menace en outre de canaliser les ressources nécessaires de toute urgence à la transformation socio-écologique vers le secteur le plus destructeur et le plus nuisible au climat de tous : l’armée. Une répétition fatale de la dynamique de l’après-11 Septembre se dessine ainsi. Le projet Cost of War, de l’université Brown, chiffre le coût de la guerre en Afghanistan à 2 100 milliards de dollars pour le seul budget américain. Ce qui correspond à un montant inimaginable de 300 millions par jour, et ce, pendant vingt ans.

Réduire les dépenses militaires

Les guerres en Irak et en Syrie ont coûté 2 900 milliards de dollars. En comparaison, le budget que les pays du Sud réclament depuis des années pour lutter contre les conséquences les plus néfastes du changement climatique s’élève à 100 milliards de dollars. Une somme minuscule en comparaison, mais que les riches nations industrialisées n’ont pas encore entièrement mise à disposition.

Selon les calculs de l’économiste américain Robert Pollin, un New Deal vert mondial efficace, qui pourrait encore éviter un chaos climatique dévastateur, coûterait 4 500 milliards de dollars par an, soit environ 5 % du PIB mondial [2]. Il serait tout à fait finançable, mais uniquement dans la mesure où les dépenses militaires mondiales seraient réduites en même temps. Le nouvel armement des deux côtés à la suite de la guerre en Ukraine menace de bloquer une fois de plus la voie vers une transformation écologique sérieuse. Et la dernière chance de préserver le système terrestre tel que nous le connaissions pourrait ainsi être enterrée.

Se rapprocher et agir ensemble

Ce point permet également de comprendre pourquoi les mouvements pour la paix et les mouvements climatiques sont indissociables. Les énormes efforts du mouvement climatique seront vains s’ils ne sont pas associés à une perspective réaliste de politique de paix. Et inversement, il n’y aura pas de paix si nous glissons vers le chaos climatique avec 14 000 têtes nucléaires et un milliard des armes légères qui existent sur la terre. Une grande responsabilité pèse donc sur les mouvements actuellement profondément divisés pour qu’ils se rapprochent les uns des autres malgré leurs différences, pour qu’ils construisent des ponts et agissent ensemble.

L’urgence d’initiatives de négociation est souvent balayée par l’argument qu’on ne peut pas négocier avec un monstre comme Poutine. Pourtant, l’histoire des négociations de mars 2022, qui avaient conduit à des rapprochements considérables entre les deux parties, prouve le contraire. La guerre en Ukraine est un conflit mondial parce qu’elle concerne les chances de survie de tous les êtres humains. L’Occident doit contribuer à y mettre fin. Le Brésil, la Chine et l’Afrique du Sud ont lancé de nouvelles initiatives de paix. Les pays occidentaux devraient les rejoindre.

Notes

[1] Des millions de tonnes de poussière seraient projetées dans l’atmosphère, obscurcissant le ciel pendant des mois, voire des années, au nord comme au sud de la planète entraînant des pertes de récoltes et des famines.

[2] Noam Chomsky, Robert Pollin, Die Klimakrise und der Green New Deal (La Crise climatique et le New Deal vert), Unrast Verlag, Münster, 2021.

Source: https://reporterre.net/Ukraine-pour-eviter-le-chaos-climatique-il-faut-negocier

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