Un enfer passé sous silence : L’infâme guerre sans fin au Congo. ( Les Crises – 01/03/23 )

Des victimes congolaises de violences raciales se reposent dans une salle de l’hôpital général à Bunia, dans la province de l’Ituri à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) le 25 Juin 2019, REUTERS/Olivia Acland/File Photo

Jason Stearns explique pourquoi la guerre ici s’est auto-entretenue, alors que 120 groupes armés s’alimentent les uns les autres et que des millions de personnes sont mortes.

Des victimes congolaises de violences raciales se reposent dans une salle de l’hôpital général à Bunia, dans la province de l’Ituri à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) le 25 Juin 2019, REUTERS/Olivia Acland/File Photo

Vingt ans après la fin de la 2e guerre du Congo (1998-2003), un conflit sans fin persiste dans les provinces à l’est de la République démocratique du Congo. Le pays est en guerre, d’une manière ou d’une autre, depuis si longtemps que le conflit s’est enraciné et s’est perpétué, et qu’une génération entière n’a jamais connu de paix réelle.

L’est du Congo est un signal d’alarme quant à ce qui peut se passer quand on laisse les guerres traîner en longueur sans perspectives de fin.

Jason Stearns a cherché à identifier les causes de la persistance du conflit armé au Congo dans son nouveau livre : The War That Doesn’t Say Its Name: The Unending Conflict in the Congo (La guerre qui ne dit pas son nom : le conflit sans fin au Congo), et il défend avec force l’idée que le conflit s’est auto-entretenu à cause de la fragmentation des groupes armés, la symbiose entre les différents groupes armés qui s’opposent et l’émergence de ce qu’il appelle une « bourgeoisie militaire » qui profite de la continuation du conflit.

Cette bourgeoisie militaire est un groupe relativement petit de milliers d’hommes issus de divers groupes armés partageant un intérêt dans la continuation du conflit pour servir leur enrichissement personnel et leur statut. Stearns écrit : « Ils utilisent la violence dans le but d’extraire de la valeur, à la fois de l’État et de la population. » Ces hommes ne s’intéressent pas à la prise du contrôle de l’État, mais veulent au contraire « se tailler des fiefs en marge de l’État. »

Ces acteurs sont motivés à la fois par des intérêts matériels et par une vision du monde qui les encourage à continuer à reproduire le conflit. Comme le suggère Stearns, cette explication des conflits persistants peut être utilisée pour donner un sens aux guerres insolubles ailleurs.

Le conflit à l’est du Congo est extrêmement complexe avec environ 120 groupes armés opérant dans la région. Stearns est plus que qualifié pour guider les lecteurs à travers les enchevêtrements de groupes rivaux et leurs financeurs. Il a travaillé en République démocratique du Congo pendant des années, il est le fondateur et le dirigeant du Groupe d’Études sur le Congo, et l’auteur de Dancing in the Glory of Monsters: the Collapse of the Congo and the Great War of Africa (Danser à la gloire des monstres : l’Effondrement du Congo et la grande guerre d’Afrique), son excellent compte-rendu de l’histoire des deux guerres du Congo à la fin des années 90 et au début des années 2000.

Dans son nouveau livre, il recense habilement les origines de ces guerres passées et les raisons du renouvellement du conflit à la suite de la fin de la deuxième guerre du Congo.

La guerre en cours ne reçoit pas ou peu d’attention de l’Occident, mais de temps en temps des attaques et atrocités rappellent au reste du monde que les combats n’ont jamais réellement cessé et n’ont pas l’air de vouloir s’arrêter bientôt. Une récente attaque terroriste dans une église commise par les Forces démocratiques alliées (FDA), un ancien groupe d’insurgés ougandais qui s’est depuis allié avec l’État islamique, en est un exemple. Alors que le FDA n’est qu’un groupe armé parmi des douzaines à l’Est du Congo, il a bénéficié de plus d’attention dernièrement parce que les États-Unis l’ont désigné comme organisation terroriste étrangère en 2021, et en conséquence ont même envoyé certaines de leurs forces spéciales pour conseiller l’armée congolaise sur la manière de les combattre.

Le mouvement du 23 mars, ou M23, un groupe armé soutenu par le Rwanda, a retenu de nouveau l’attention à l’international dans les derniers mois. À titre d’exemple de la brutalité du groupe, M23 a massacré 130 civils en novembre dernier. Des centaines de milliers de personnes ont aussi été déplacées par les derniers combats, et ils comptent parmi les millions qui ont déjà été déplacés à cause du conflit.

À cause de l’escalade du conflit durant l’année passée, le rôle du Rwanda dans l’alimentation du conflit au Congo est encore une fois scruté de très près, notamment par les États-Unis. Des tensions grandissantes entre le Rwanda et la RDC menacent d’aggraver encore le conflit. Cette semaine encore, les forces rwandaises ont tiré sur un avion de l’armée congolaise qui selon elles avait violé leur espace aérien, et le gouvernement de Kinshasa a accusé le Rwanda d’avoir commis un acte de guerre.

Stearns explique que le conflit à l’est du Congo menace davantage aujourd’hui les populations civiles en terme de déplacements et de morts par rapport aux guerres précédentes à cause de la fragmentation des groupes et du fait que ces derniers ont intérêt à faire durer la guerre indéfiniment. Les populations civiles doivent endurer les attaques et les extorsions de la part de ces groupes armés qui pratiquent le racket en échange de leur protection. La faiblesse de l’État congolais et la volonté de Kinshasa de tolérer la persistance des conflits se combinent avec l’ingérence permanente du gouvernement du rwandais qui continue de déstabiliser l’est du Congo année après année.

En conséquence, « la guerre est devenue une condition sociale, un résultat qui n’était peut être pas l’objectif recherché par aucun des protagonistes mais qui a produit ses propres acteurs, cultures et intérêts. »

Le livre de Stearn est une enquête importante sur ce que sont les intérêts des différents groupes armés dans le but de comprendre pourquoi ceux-ci continuent à se battre. Comme le dit Stearns : « il n’y a pas de grande conspiration mais plutôt de multiples acteurs bloqués dans un cercle vicieux, » motivés par ce qu’il appelle « une curieuse symbiose d’acteurs armés. »

La théorie de Stearn sur la persistance des conflits à l’est du Congo remet en question quelques propositions communément admises concernant le conflit et le rétablissement de la paix en général. Un des points les plus importants qu’il soulève est que la libéralisation rapide de l’économie congolaise dans le cadre d’accords de paix a renforcé les inégalités, la corruption et les conflits. La privatisation des ressources minières et pétrolières n’a bénéficié qu’à un très petit nombre, et cette élite de nouveaux riches a réussi à renforcer son emprise sur le pouvoir. L’hypothèse conventionnelle selon laquelle la libéralisation de l’économie favorise à la fois la paix et les réformes politiques a été testée et s’est avérée cruellement défaillante en RDC.

Les acteurs internationaux ont joué un rôle significatif en permettant aux belligérants d’agir au fil des ans. C’est particulièrement vrai pour la réponse internationale face à l’ingérence continue du gouvernement rwandais à l’est du Congo, qui a pris la forme d’invasions directes lors des deux guerres du Congo et par la suite du soutien de groupes armés dans les années 2000, 2010 et aujourd’hui.

Pendant un long moment, les États-Unis et d’autres gouvernements occidentaux ont ignoré ou excusé les interventions du Rwanda, et l’appui international prodigué au Rwanda a continué malgré l’intensification de la répression et l’autoritarisme du président du Rwanda Paul Kagame et du Front patriotique rwandais (FPR). L’administration Biden a une nouvelle fois publiquement reconnu le rôle du Rwanda dans le soutien du M23 lorsque le secrétaire Blinken a visité le pays en août, mais il reste à voir si des conséquences découleront du soutien continu du groupe par le gouvernement rwandais.

Par le passé, les États-Unis ont eu tendance à soutenir Kagame et faire écho au démentis officiels du Rwanda, il serait donc souhaitable que l’administration rompe avec ce schéma.

La guerre sans fin au Congo continue parce que les belligérants sont fortement incités à la faire durer. Pour eux, le conflit est devenu une fin en soi.

Source anglaise : Responsible Statecraft, Daniel Larison, 30-01-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Source : » Un enfer passé sous silence : L’infâme guerre sans fin au Congo (les-crises.fr)

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