UNE « RÉNOVATION » EN BOLIVIE ? ( LVSL – 11/03/23 )

Le chef d’État bolivien Luis Arce (gauche), ex-ministre des finances sous la présidence d’Evo Morales de 2006 à 2019 (droite)

Les élections nationales boliviennes de 2020 ont marqué le retour du Mouvement vers le socialisme (MAS) au pouvoir après sa destitution par un coup d’État en 2019. Depuis cette victoire, le chef d’État Luis Arce fait face à une nouvelle campagne de déstabilisation. Il tente d’afficher l’unité de sa coalition politique malgré la montée de discordances internes. Face à lui, les forces d’extrême-droite sont plus divisées que jamais. Les fractures historiques que connaît le pays – entre les villes et la campagne, les masses indigènes et les élites, les médias, universités et classes moyennes d’un côté et les confédérations paysannes et syndicats ouvriers de l’autre, les capitalistes agro-industriels, pétroliers et financiers et le prolétariat informel en plein essor – ne trouvent plus d’articulation politique évidente dans ces deux camps situés aux antipodes de l’échiquier politique. Par Jeffery Webber, traduction Albane le Cabec.

AUX ORIGINES DE LA DÉSUNION

La désunion, du côté du MAS et de leurs adversaires, remonte au coup d’État de 2019. Morales, qui a été propulsé à la présidence de la République par les bouleversements insurrectionnels des années 2000, avait alors battu un record de longévité au pouvoir. En 2016, il avait tenté d’outrepasser la limite de mandats successifs fixée par la Constitution, avant d’organiser un référendum sur la question. Bien que 51% de la population ait voté « non », il s’est présenté à la présidence en s’appuyant sur un verdict juridique contestable du plus haut tribunal électoral du pays. Cette situation a constitué un motif de mobilisation pour la frange contestataire de la classe moyenne et les comités civiques régionaux déterminés à évincer le MAS.

Pour éviter un second tour, le système électoral bolivien exige que le candidat de tête obtienne plus de 50 % des voix, ou plus de 40 % des voix combinées à un écart de 10 % avec le candidat arrivé en deuxième position. Le soir des élections de 2019, un premier décompte montrait que Morales avait obtenu 45% des voix contre 38% pour le finaliste de centre-droit Carlos Mesa. Mais après un retard inexpliqué de 22 heures, le nouveau décompte indiquait une avance de 10 points sur Mesa, évitant ainsi la nécessité d’un deuxième tour. Ce changement tardif à l’avantage de Morales, pourtant plausible compte tenu de la démographie des régions qui ont été dépouillées en dernier, a donné l’impression d’une manipulation électorale. Toute l’opposition avait crié à la fraude, bien qu’elle n’ait pu fournir aucune preuve, et avait été appuyée par l’Organisation des États américains (OEA).

C’est ainsi que de violentes manifestations contre Morales ont éclaté dans tout le pays et que l’extrême-droite des basses terres de l’Est, soutenue par l’armée et la police, a lancé un coup d’État larvé contre le gouvernement, l’obligeant à démissionner. Cette insurrection fut essentiellement l’oeuvre des populations petite-bourgeoises et métissées, bien que quelques éléments populaires aient été entraînés dans cette frénésie. Ayant pour seul point de ralliement un refus – fuera Evo -, ce soulèvement ne proposait aucun programme alternatif. Il n’y avait pourtant aucun doute sur les grands intérêts qui en sortaient gagnants : ceux du capital agro-industriel, financier et des hydrocarbures.

Les putschistes sont parvenus à installer Jeanine Áñez, une sénatrice catholique ultra-conservatrice dont le parti n’avait obtenu que 4 % aux élections précédentes. Morales et son entourage exilés au Mexique et en Argentine, Áñez s’est donnée pour tâche de démanteler les avancées étatiques du MAS – comme la quasi-nationalisation des hydrocarbures – et de révoquer les droits collectifs indigènes. Les classes populaires, hébétées par la situation, et les forces de gauche affaiblies par des années de clientélisme ont laissé à Áñez l’opportunité d’une restauration oligarchique.

Mais son régime s’est heurté dès le début à ses propres dérives idéologiques : la répression étatique, qui a entraîné trente-six décès, quatre-vingt blessés et des centaines de détenus et d’exilés, ainsi que l’incompétence bureaucratique face à la pandémie. Aucun programme n’a été présenté pour affronter l’instabilité économique du pays et gagner le soutien de la population. Au contraire, le gouvernement s’est démarqué par sa corruption éhontée, son incompétence gestionnaire et la diminution colossale du niveau de vie que ses politiques ont entraîné à cause de la chute du taux de croissance en 2020 – laissant plus de 3 millions de Boliviens incapables de satisfaire à leurs besoins alimentaires fondamentaux. La prise de pouvoir de ce gouvernement a également déclenché une vague virulente de racisme anti-indigène dans la société civile, galvanisée par les discours de haine de ses hauts-fonctionnaires.

Áñez a ainsi rapidement conduit les ouvriers et les paysans à se coaliser contre elle en une puissante force d’opposition – et perdu le soutien des couches petites-bourgeoises qui avaient initialement soutenu le coup d’État. Au milieu des crises économiques et sanitaires qui ont caractérisé son mandat, des secteurs importants de la nouvelle classe moyenne, qui s’était développée pendant la période de croissance du gouvernement de Morales, ont retrouvé avec horreur le déclassement et la précarité dont ils s’étaient émancipés. Dans le même temps, les mouvements sociaux et les syndicats, qui avaient pourtant peu réagi au coup d’État, ont rassemblé leurs forces pour protester, érigé des barricades dans les rues et perturbé les chaînes d’approvisionnement.

Si bien que lorsque les élections générales sont arrivées en décembre 2020, le candidat Luis Arce, soutenu par Evo Morales, a ramené le MAS au pouvoir avec 55% des voix. Carlos Mesa, le plus modéré des soutiens du coup d’État, a quant à lui obtenu un faible score – 29% des voix.

Le MAS l’a emporté dans cinq des neuf départements, avec une majorité dans les deux chambres de l’Assemblée législative plurinationale. Et pour cause : des pans entiers de la classe moyenne habituellement « indécises », qui avaient basculé à droite en faveur du coup d’État, se sont rangées derrière Arce et son programme de lutte contre la crise économique. Après avoir reconnu publiquement les erreurs des administrations passées du MAS, Arce a appelé à une « rénovation » nationale et promis de rétablir la stabilité, réveillant ainsi la nostalgie des années prospères de la première période Morales (2006-14).

Arce pouvait mobiliser son passé pour gagner la confiance : il avait été ministre des Finances du MAS à une période de prix élevés des matières premières, d’accumulation soutenue, de profits historiques dans les secteurs extractifs et d’améliorations des conditions de vie de la classe ouvrière et de la paysannerie urbaines. En fin de compte, il a obtenu de meilleurs résultats que Morales en 2019 dans tout l’ouest du pays. Cette victoire retentissante n’était pas prévue : les sondages n’avaient indiqué qu’une maigre avance pour le MAS au premier tour.

Luis « Lucho » Arce était un choix personnel d’Evo Morales – face au candidat de prédilection de la coalition de mouvements sociaux, David Choquehuanca. Morales n’avait accepté qu’à contrecœur d’inclure celui-là comme candidat à la vice-présidence. Le slogan de la campagne du MAS – Lucho y David, un solo corazón – trahissait une inquiétude naissance à l’égard des divisions qui se développaient au sein du parti. Contrairement à Choquehuanca, Arce n’était pas d’origine indigène, n’avait jamais montré d’ambition de leadership et n’avait pas de base sociale propre, raison pour laquelle certains doutaient de sa capacité à remplacer Morales. Les résultats aux élections ont démenti ces inquiétudes. Sa victoire a montré qu’il était possible de gagner sans le caudillo historique du parti, et a démontré la popularité du modèle plurinational néo-développementaliste du MAS.

« UNE FORCE TECHNOCRATIQUE ET MODÉRÉE »

Arce, contrairement aux autres figures du MAS, n’avait quasiment jamais eu d’engagement politique dans les mouvements de lutte indigènes ou sociaux. Il est devenu le premier ministre des Finances de Morales en 2006, et l’est resté pendant toute sa présidence. Pendant son mandat, il a isolé son bureau de la pression des mouvements sociaux et adhéré de façon rigide aux objectifs de maîtrise de l’inflation. Christopher Sabatini, chercheur à Chatham House, l’a décrit comme « une force technocratique et modérée au sein du gouvernement Morales », qui a « maintenu de bonnes relations avec les institutions financières et les investisseurs internationaux. » Cette prudence du ministre des Finances est l’une des causes de l’absence de transformation structurelle de l’organisation productive entre 2006 et 2014 – même si cette période est caractérisée par la redistribution des richesses aux plus pauvres que permettaient les prix élevés des matières premières.

Deux ans après le début du mandat d’Arce, le bilan demeure mitigé. Le président a certes tenu ses premiers engagements politiques dès son entrée en fonction, notamment en mettant en place des transferts en espèces de 140 dollars par mois à environ un tiers de la population, en instaurant une taxe symbolique sur les grandes fortunes nationales et en lançant des enquêtes sur la répression du régime Áñez. Dans l’ensemble cependant, son administration technocratique est étrangère aux aspirations transformatrices de la première présidence Morales.

Comme le note le sociologue Vladimir Mendoza Manjón, l’opinion dominante au sein du cabinet d’Arce est que l’ère de la transformation est terminée. Il s’agirait de consolider les acquis antérieurs dans des circonstances internationales de plus en plus hostiles. C’est donc tout naturellement que son gouvernement donne la priorité à la stabilité politique et à la réactivation lente du projet de modernisation capitaliste néo-développementaliste. Ce sera probablement le seul horizon de la présidence d’Arce en l’absence de pressions sérieuses des mouvements sociaux, dont les représentants ont été isolés au sein du gouvernement – ne contrôlant que les ministères de l’Éducation, de la Culture rurale et du Développement.

De la même manière, si les grandes figures de l’ère Morales ont obtenu des promotions symboliques, très peu sont demeurées en poste – témoin, l’absence quasi-totale d’evistas (partisan d’Evo Morales) dans le cercle restreint d’Arce. Dans ce sens au moins, la « rénovation » promise a bel et bien commencé…

Par bien des aspects, le mode de gouvernement de Luis Arce se rapproche de celui de Correa – dans un contexte social et culturel distinct. Ils ont en commun une approche pyramidale et technocratique, reposant sur une planification isolée des mouvement sociaux et des concessions pragmatiques appréhendées à l’aune d’études sondagières. Mais Arce gouverne sans l’hégémonie qui était celle de Correa au plus fort du boom des matières premières… Le ralentissement de leur prix a commencé en 2014, entraîné par un effondrement des prix du gaz naturel. L’économie bolivienne n’a cessé de décliner jusqu’en 2019 avant de se contracter de façon spectaculaire de 8,7 % en 2020.

Cette crise n’est pas un simple effet conjoncturel de la pandémie ; c’était aussi le résultat de problèmes structurels sous-jacents, dont la fin du cycle du gaz avec des rentes gazières revenant à l’État qui s’élevaient à seulement 1,5 milliards de dollars en 2017 alors qu’elles étaient encore de 3,5 milliards de dollars en 2013. Les problèmes structurels d’investissement dans le secteur du gaz ont persisté depuis l’ère Morales et fait augmenter les déficits budgétaires et commerciaux. En conséquence, les réserves de change qui avaient atteint un sommet de 15 milliards de dollars en 2014 ont été mobilisées pour financer les dépenses publiques dans un contexte général de baisse des recettes de l’Etat.

Malgré le contrecoup de la chute du prix des matières premières sur l’Amérique latine, la Bolivie est demeurée une exception. Elle n’a pas été affectée par les fortes pressions inflationnistes, la faible croissance de l’emploi et la baisse des investissements prédominant dans la région. La guerre russe contre l’Ukraine a limité l’approvisionnement alimentaire international et fait grimper les prix de l’énergie, aggravant les problèmes déclenchés par la pandémie et le krach financier de 2008. Mais en tant qu’exportateur de gaz, la Bolivie a bénéficié de ces prix plus élevés, transformant temporairement son déficit commercial en excédent. Et en continuant à produire la plupart de ses denrées alimentaires sur le marché intérieur avec des contrôles ciblés sur certaines exportations agricoles, le pays a limité les pressions sur les prix des denrées alimentaires.

À ces facteurs s’ajoute la subvention de longue date de l’État dans la consommation intérieure de gaz, qui explique en grande partie pourquoi le taux d’inflation en Bolivie en 2022 était le plus bas de la région, contribuant à la popularité très élevée d’Arce. Ce compromis social pourrait être perturbé par les luttes autour de la propriété du lithium. Mais ce processus n’est encore qu’à sa genèse, et il est peu probable qu’il joue un rôle majeur dans son administration.

Arce s’était initialement engagé à ne servir que pour un seul mandat, mais tout indique qu’il cherchera à se représenter en 2025. Malgré des cotes de popularité inférieures à celles d’Arce et de Choquehuanca, Morales, qui a déjà fait part de son projet de se présenter en 2025, continue de contrôler le MAS et conserve une puissante capacité de mobilisation sociale. La foule de partisans descendue dans les rues pour le saluer à son retour d’exil en novembre 2020 en témoigne, ainsi que celle de la « marche pour la patrie », une mobilisation pour défendre l’administration d’Arce face aux menaces de l’opposition, qu’il avait organisée l’année suivante.

Ces marques d’attachement échappent pourtant aux sondages. Álvaro García Linera, qui a été vice-président de 2006 à 2019, affirme que Morales reste le « leader social et politique » indispensable du parti et qualifie Arce de « leader politique et gouvernemental. » Pour lui, le projet du MAS exige que les deux hommes d’État triangulent entre eux et avec la fédération et qu’« il doit y avoir un ensemble d’articulations, qui ne sont pas toujours faciles » entre ces trois éléments. Loin du pouvoir, Morales a pu réactualiser la rhétorique populiste de gauche de ses débuts ; mais il est peu probable qu’un nouveau gouvernement Morales s’écarte de manière significative de celui d’Arce.

Depuis son retour en Bolivie, il a travaillé à retrouver son autorité perdue. Surmontant la résistance locale, il a usé de sa position de leader du MAS pour dicter les listes de candidats aux élections municipales et régionales. Tout en essayant d’éviter l’impression d’une divergence majeure avec Arce, Morales a ouvertement critiqué certains de ses ministres et s’est exprimé de manière cryptique sur une frange « de droite » du gouvernement, l’accusant de vouloir le marginaliser avec l’aide des forces armées. Jusqu’à présent, Arce a ignoré ces provocations.

Choquehuanca, qui était auparavant l’un des confidents et soutiens les plus fidèles de Morales, s’en est éloigné après avoir souligné la nécessité d’un nouveau chef du parti – un poste que lui seul pouvait occuper après la défaite du référendum de 2017. Son ambition de remplacer Morales est rapidement devenue claire, ce qui lui a valu d’être rétrogradé aux échelons les plus bas du parti en passant de ministre des Affaires étrangères à un poste diplomatique marginal. C’est pourquoi il avait cherché à empêcher son retour, que ce soit en ralliant les forces de la « rénovation » pour bloquer la candidature de Morales, ou, plus probablement, en aidant à diviser le parti si Morales obtenait sa nomination.

Choquehuanca possède une base sociale très forte dans l’Altiplano aymara, et possède une popularité certaine au sein de la jeune génération de militants du MAS. Très tôt, il a affiché un rôle d’anti-intellectuel – se vantant de n’avoir pas lu un livre depuis seize ans ! Idéologiquement, cependant, il s’est acclimaté au pragmatisme de l’ère Morales. Si sa rhétorique s’écarte de celle de son ancien mentor, c’est en grande partie du fait de ses inclinations nationalistes aymaras, dictées par sa solide base sociale dans l’Altiplano occidental. Il est peu probable que sa candidature potentielle à la présidence soit couronnée de succès et plus vraisemblable qu’il assume le rôle de sous-commandant dans la scission éventuelle d’un MAS dirigé par Arce.

Comme l’a écrit le journaliste Fernando Molina, l’histoire politique bolivienne est prompte à la fragmentation sociale et aux conflits violents – en particulier après la sortie de jeu d’un grand caudillo, lorsque les batailles pour lui succéder éclatent. La singularité de la situation actuelle réside dans le fait que Morales, exclu par un coup d’État du pouvoir, demeure un vecteur crucial qui guide les grandes aspirations sociopolitiques du pays.

FRACTURES AU SEIN DES ÉLITES

Qu’en est-il des forces de droite boliviennes face à un MAS si divisé ? Le pays reste profondément marqué par le coup d’État de 2019 : des dizaines d’anciens responsables militaires, de chefs des forces armées et de la police ont été emprisonnés pour leur rôle dans l’éviction de Morales. Áñez a été condamnée à dix ans de prison – bien qu’elle n’ait été tenue responsable que des événements de novembre 2019 et non des massacres d’État qui ont suivi. Carlos Mesa, le plus modéré des soutiens du coup d’État, sort indemne de la séquence d’un point de vue judiciaire, mais son image de centriste a été ternie.

Jusqu’à très récemment, Luis Fernando Camacho, le leader d’opposition le plus radical, avait réussi à éviter les poursuites judiciaires tout en renforçant ses assises. Il avait même été élu gouverneur de Santa Cruz en mars 2021 et était devenu le visage d’un mouvement d’extrême-droite en plein essor à Santa Cruz, Beni, Potosí et Tarija. Il a finalement été arrêté pour son rôle dans le coup d’État de 2019 quelques jours après Noël et passe désormais ses mois en prison à La Paz en attendant son procès. Arce avait orchestré l’arrestation pour étouffer les procès en laxisme dans le traitement de l’opposition.

En 2022, l’extrême droite avait lancé une « grève civique » de trente-six jours, mettant, de fait, la ville de Santa Cruz – moteur économique de la Bolivie, à l’arrêt. En cause : les retards pris par le gouvernement pour effectuer un recensement de population de la région. Le dernier remontait à 2012, et la population du département de Santa Cruz avait rapidement augmenté. C’est pourquoi un nouveau recensement conduirait probablement à un déplacement substantiel vers l’Est des ressources de l’État et des sièges législatifs. Les protestations des habitants se sont fondées sur ce retard du gouvernement, l’accusant d’être une prise de pouvoir voilée orchestrée dans le but d’empêcher ces transferts – alors que les élections de 2025 approchaient.

Cette grève civique, organisée par le Comité de Santa Cruz, avait pour figures de proue Camacho et les élites locales. Depuis les années 2000, le département de Santa Cruz est au cœur des luttes pour l’autonomie régionale contre le pouvoir centralisé de l’État et lance des défis constants à Morales, multipliant grèves, rassemblements de masse et explosions de violence. En 2008, une tentative de « coup d’État civique » en a marqué l’apogée.

En 2022, pour imposer la tenue de cette grève aux secteurs indigènes et populaires du département, des gangs de motards itinérants ont sévi à coups de machettes et de gourdins, appuyés par des organisations proto-fascistes. De féroces affrontements nocturnes s’en sont suivis. C’est dans ce contexte qu’Arce avait accepté d’avancer la tenue recensement à mars 2024, afin que ses résultats puissent être pris en compte pour 2025.

Les troubles à Santa Cruz ont révélé la persistance du pouvoir autonomiste et territorialisé de l’extrême-droite dans cette région, et de sa capacité à provoquer la violence de rue. Mais ils ont également établi son incapacité à renverser le pouvoir national, et son isolement au sein des forces conservatrices plus larges du pays et de l’appareil de sécurité de l’État. Ainsi, les mobilisations civiques d’octobre et de novembre 2022 n’ont jamais menacé de prendre la proportion d’un second coup d’État. L’unité éphémère qui a permis le renversement de Morales en 2019 est désormais un lointain souvenir. Sans la figure de Morales qui cristallisait le rejet de l’opposition, les myriades de groupements qui composaient la coalition putschiste se sont fracturées en de multiples querelles paroissiales. L’arrestation de Camacho a désormais privé l’élite de Santa-Cruz d’une figure de proue.

Cependant, malgré l’absence de projet cohérent de la droite bolivienne, les partisans du MAS ne doivent pas sous-estimer leurs adversaires car les événements ont montré que leurs bases territoriales leur permettent de lancer des actions de déstabilisation de grande ampleur. D’autant qu’ils bénéficient de soutiens nationaux et internationaux, contrôlent les médias et les universités. Dans les conditions actuelles de stagnation et de crise, auxquelles le MAS peut difficilement échapper, il serait imprudent de supposer que la petite bourgeoisie, la police et l’armée continueront à soutenir l’ordre constitutionnel. Leur loyauté est inconstante – et le sort de la Bolivie en dépend.

Auteur : Jeffery Webber

Source : Une « rénovation » en Bolivie ? (lvsl.fr)

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