Université délabrée : « On travaille avec nos manteaux et des bonnets »(Médiapart, 07/02/23

L’un des bâtiments de l’université Paris-Est Créteil est dans un tel état que 800 étudiantes de licence ont dû passer aux cours en distanciel en début d’année. La présidence renvoie la faute sur le propriétaire, sans nier ses difficultés financières.

LeLe bâtiment Pyramide, à l’architecture qualifiée de « moderniste », est situé à l’aplomb de la station de métro Créteil-L’Échat, dans le Val-de-Marne. Sous les fondations de cette faculté de sciences de l’éducation, un centre commercial un peu déprimant et, en voisine, la Caf du département. À l’intérieur, les locaux sont quasi déserts : les quelque 800 étudiantes* de licence sont en distanciel depuis le 13 janvier, de même que leurs enseignant·es, après des relevés de température sous la barre des 10 °C dans les classes.

Il fait trop froid pour pouvoir faire cours. Lors de la cérémonie des vœux de l’université Paris-Est Créteil (UPEC), les personnels ont reçu des plaids en cadeau, certains appréciant moyennement le clin d’œil, eux qui alertent régulièrement sur leurs conditions de travail. « On branche des chauffages d’appoint, parfois toute la journée, et on travaille avec nos manteaux et des bonnets, se désole un membre de l’équipe administrative. Le bâtiment Pyramide porte bien son nom, il tombe en ruine... »

Le 2 janvier 2022, le plafond d’un bureau de quatre enseignants-chercheurs s’est en partie effondré, abîmant des armoires pleines de matériel et les ordinateurs. Le bâtiment est dans un tel état que, depuis des années, il est fréquent de voir des seaux dans les couloirs. Plusieurs dalles de faux plafonds ont été défoncées par ces infiltrations, des sanitaires sont hors-service.

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Dans les couloirs et les salles de cours de l’UFR sciences de l’éducation de l’université Paris-Est Créteil, dans le bâtiment « Pyramide ». © Document Mediapart

« L’été, on crève de chaud, l’hiver, on meurt de froid », résume un membre du personnel, qualifiant cette construction des années 70 de « catastrophique passoire thermique ». Sans parler de la connexion internet, très défaillante, et de salles de cours de plus de cent places sans sonorisation.

Fin janvier, dans une pétition, enseignant·es et étudiant·es ont demandé « le relogement immédiat de tous les occupants du site » et ont fait état de leur colère face à ce distanciel forcé, se désolant « d’une université à deux vitesses ».

Difficile d’imaginer que pour ces 700 mètres carrés vétustes, l’université Paris-Est Créteil verse chaque année un loyer de près de deux millions d’euros à un propriétaire privé. « Ce prix correspond à la tranche haute du prix du mètre carré pour le tertiaire au centre de Créteil,explique Julien Aldhuy, vice-président de l’UPEC chargé des questions bâtimentaires. En effet, c’est cher au vu du service que rend le bâtiment. »

La direction de l’UPEC ne nie aucun de ces problèmes, mais fait état de son impuissance : « Nous n’avons absolument pas les moyens de prendre en charge les coûts structurels sur le chauffage, ce sont des millions d’euros, on ne peut pas les assumer vu la situation de l’enseignement supérieur, poursuit Julien Aldhuy. Les infiltrations d’eau nécessitent des travaux qui sont du ressort du propriétaire. Pour le reste, le bâtiment est entretenu en partie par l’université. »

Quand il y a des inondations, les dégâts sont réparés en fonction des « enveloppes et des moyens nécessaires »,explique le vice-président. « Mais nous parlons d’infiltrations qui ont lieu tout le temps et à tous les étages. »

Pendant longtemps, l’université a choisi la voie amiable pour tenter de résoudre la situation, renouvelant ce bail au prix colossal sans fléchir. Fin décembre, l’UPEC a finalement lancé une procédure judiciaire contre le propriétaire du bâtiment Pyramide, s’engageant, de son propre aveu, dans une procédure longue et coûteuse. Elle table sur un départ définitif des lieux.

Depuis dix ans, dans toutes les archives de nos réunions, on parle de l’état lamentable de ce bâtiment.

Luc Pellissier, maître de conférences

La construction d’un bâtiment neuf dédié aux sciences humaines, au cœur d’un vaste projet de réaménagement urbain, est au programme, pour un emménagement en 2027, affirme la présidence. À court terme, « on est en train d’organiser un processus de relocalisation des enseignements de la licence sciences de l’éducation dans d’autres bâtiments des campus, à 10-15 minutes à pied, de manière que les étudiants puissent revenir en présentiel, annonce Julien Aldhuy. Les étudiants de master resteront à Pyramide, dans les étages chauffés ».

Si les facs alentour se vident traditionnellement un peu de leurs étudiant·es au deuxième semestre, libérant quelques places, la prochaine rentrée de septembre s’annonce chaotique, s’inquiètent les membres de l’équipe pédagogique.

Surtout, cette décision intervient trop tard, dénonce le personnel. Luc Pellissier, maître de conférences à la fac de droit voisine, siège au sein du comité social d’administration de l’UPEC et à la commission santé et sécurité. « Depuis dix ans, on parle de l’état lamentable de ce bâtiment. Et dès qu’on soulève le problème, la présidence nous répond : “On va quitter Pyramide !”, comme si ça allait tout résoudre par magie. »

L’université, s’inquiètent les syndicats, ne pourra se lancer dans une nouvelle construction sans une « grosse rallonge de l’État », pour l’heure incertaine. « L’UPEC est dans de grosses difficultés financières, avec un déficit actuel de dix millions d’euros sur 220 millions de budget annuel,détaille Luc Pellissier. Donc on ne sait pas comment on va s’en sortir sans réduire la voilure. »

« On n’a pas envie d’être là »

Les étudiantes de master restées sur place relaient la « déprime » de certaines de leurs camarades de licence, placées en partie en distanciel pour la troisième année consécutive du fait de la crise Covid, et critiquent le « manque de considération ». « Il n’y a aucune chaise, aucun canapé, rien de convivial ici, raconte Léna Chatonnay, 23 ans. On mange par terre, dans le patio. »

En 2022, après la mobilisation des étudiantes, l’université a bien ouvert une petite cafétéria avec quelques tables et cinq micro-ondes. Depuis, le Crous a également installé un micro-service de restauration, mais très loin de pouvoir servir l’ensemble des usagers du bâtiment. Pour manger pas trop cher, les étudiantes doivent se dépêcher pendant leur pause de midi de rejoindre la fac de droit ou se diriger vers le campus central, à une station de métro, au risque d’être en retard en cours.

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Le 2 janvier, une partie du faux plafond d’un des bureaux des enseignants-chercheurs s’est effondrée dans le bâtiment « Pyramide » accueillant l’UFR sciences de l’éducation de l’université Paris-Est Créteil. Les infiltrations font des dégâts à tous les étages du bâtiment depuis des années. © Document Mediapart

Fatoumata Diaklo, 22 ans, assure qu’il ne s’agit pas que « d’une histoire de chauffage ». Le bâtiment Pyramide ne dispose d’aucune bibliothèque ou de salle d’études, les locaux ouvrent à 8 h 30 et ferment avant 17 heures. « Moi, j’aime les univers studieux, avoir une bibliothèque où travailler, de la lumière, ça change tout. Franchement, cela crée beaucoup de démotivation d’étudier dans un endroit pareil. »

« On n’a pas envie d’être là », ajoute Sarah Monnier, une de ses camarades de promotion. Pour beaucoup, issues d’autres cursus à travers la région parisienne, l’arrivée en master à Pyramide fut « un choc », surtout au regard de la fac de droit toute proche, quasi neuve. De quoi nourrir le sentiment que les études en sciences de l’éducation « valent moins »,s’offusque Léna Chatonnay.

Une enseignante confirme ce sentiment : « Moi aussi je vis cela comme une forme de mépris. À un moment, je n’arrivais même plus à mettre un pied dans le bâtiment tellement je m’y sentais mal, c’était physique. »

« Nous comprenons la colère, elle est légitime,répond Anne de Rugy, vice-présidente de la commission formation et vie universitaire. Mais il n’y a rien d’intentionnel. Notre priorité, c’est de partir et de construire un nouveau bâtiment, neuf, qui présente un vrai intérêt pédagogique. »

Pyramide, au sein de la gigantesque université UPEC (43 000 étudiant·es dans 56 bâtiments sur tout le quart est, au-delà de Paris) n’est pas totalement une exception. « Des bâtiments des années 70, un peu pourris, on en a plein, certains sont tout aussi mal équipés,assure Luc Pellissier. Et de manière générale, pour tout un tas de raisons sanitaires, sécuritaires et financières, on constate une réelle diminution des services de vie étudiante un peu partout. Mais Pyramide concentre toutes les difficultés et ces problèmes prennent ici une ampleur monstrueuse. »

Comme pour les lycées délabrés d’Île-de-France (lire aussi notre enquête sur la gestion de Valérie Pécresse), l’université française souffre d’un manque de moyens notoire. Elle est confrontée désormais à une crise énergétique sans précédent. En septembre, plusieurs d’entre elles ont tout bonnement choisi de fermer leurs portes ou de réduire les temps d’accès, afin d’économiser sur la facture de chauffage.

« Au début de la crise énergétique, nous avons justement fait le choix de ne pas fermer les facultés,insiste Anne de Rugy. Il s’agit là d’une situation temporaire et spécifique. »

Mais l’équation paraît bel et bien insoluble. « Il faut savoir que nous avons augmenté globalement les effectifs étudiants avec des moyens qui n’ont pas augmenté en proportion,rappelle la vice-présidente. Nous essayons de faire de notre mieux, de trouver des solutions urgentes face à la crise, et de long terme au vu des moyens dont nous disposons. Mais c’est parfois du bricolage. » Bricolage, ou énième « rupture flagrante d’égalité », craignent enseignant·es et étudiantes.

Mathilde Goanec

Source: https://www.mediapart.fr/journal/france/070223/universite-delabree-travaille-avec-nos-manteaux-et-des-bonnets?at_medium=custom7&at_campaign=1046&fbclid=IwAR1npz1lum47G0T89Poa7x0_-9MGGY9fE1QcxTQiUGs9oCYu7ko638nQ-x0

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