Ventes record : les magasins bio sortent de la crise (Reporterre-22/9/25)

Les fermetures en cascade des magasins bio appartiennent au passé. Après une année 2024 record, la filière continue de voir ses ventes bondir en 2025. Les paysans bio, pourtant, ne se sentent pas « tirés d’affaire ».

Par Emmanuel CLEVENOT

Finito la crise de la bio. En février 2023, Reporterre enquêtait sur les « fermetures en cascade » de magasins commercialisant des produits labellisés Agriculture biologique (AB). Près de 225 points de vente venaient de baisser le rideau dans l’Hexagone, et de nouveaux jours sombres s’annonçaient avec l’explosion des factures d’énergie. « Biocoop peut-elle se relever ? » s’interrogeait alors la presse. La réponse est oui.

Le 18 septembre, la société coopérative a dévoilé sa feuille de route pour les quatre années à venir. L’ambition affichée illustre la bonne santé du numéro 1 des enseignes bio. D’ici 2029, Biocoop promet d’ouvrir 160 magasins supplémentaires pour atteindre le cap des 900 points de vente. « La bio n’est plus en crise, a déclaré en conférence de presse Franck Poncet, son directeur général. La croissance est de retour. Biocoop en est le meilleur exemple. »

En 2024, la marque a enregistré des ventes historiques. Et un nouveau record est en passe d’être établi cette année, avec une progression des résultats de +7,5 % au premier semestre. Avec de telles statistiques, Biocoop s’impose comme le leader incontestable de la filière, dont il revendique 45 % de parts de marché.

Qu’en est-il des autres enseignes ? « Tout le monde a le sourire, y compris nos concurrents », se réjouit auprès de Reporterre Henri Godron, président de la coopérative. La Vie claire, qui possède deux fois moins de magasins, a vu son chiffre d’affaires croître de près de 8 % entre 2023 et 2024.

« Les clients sont de retour »

Une telle prospérité semblait inimaginable il y a peu. Entre 2000 et 2020, Biocoop affichait une progression annuelle moyenne de plus de 14,5 % de son chiffre d’affaires… jusqu’à la brutale décélération intervenue fin 2021.

Cette année-là, le poids lourd du secteur a vu diminuer ses ventes pour la première fois (-0,4 %), avant que la débâcle ne s’accélère en 2022 avec une nouvelle chute de 6,2 %. Cette fuite soudaine des clients a engendré la fermeture d’une quarantaine de points de vente de la coopérative, fondée en 1987.

« Au commencement de la guerre en Ukraine [l’invasion russe de février 2022], le premier réflexe des consommateurs a été de s’orienter vers le conventionnel, détaille le président. Seulement, de 2022 à 2023, les prix de l’alimentaire chez Biocoop ont bondi de 11 %… contre 22 % en grande surface. » Petit à petit, certains produits bruts labellisés AB ont donc fini par concurrencer leurs homologues vendus chez Carrefour, E.Leclerc et compagnie. Résultat : « Les clients sont de retour. »

Pour sortir la tête de l’eau, deux chemins se sont dessinés. Trustant la troisième place du podium des distributeurs de produits bio, Naturalia a choisi d’escamoter le crédo « tout bio » pour s’accorder quelques libertés. Rachetée en 2008 par Monoprix — elle-même filiale du groupe Casino —, l’enseigne tolère désormais les produits non labellisés… pourvu qu’ils soient « sains ». Une flexibilité, à laquelle la grande sœur du secteur, qui affiche du 100 % bio, refuse de céder.

Loi Duplomb

En juin, les sociétaires de Biocoop ont ainsi validé la profession de foi du directeur général. Le crédo est simple : « Rendre accessible et désirable une bio exigeante. » Cela passe tout d’abord par une offensive sur les prix, menée depuis dix-huit mois, en rognant sur les marges des produits. L’enseigne prévoit aussi de renforcer son maillage territorial pour toucher 100 % des Françaises et Français d’ici quatre ans, contre 70 % aujourd’hui. Magasins itinérants, vente en ligne et livraison à domicile permettront d’atteindre cet objectif.

« Des moyens historiques de plusieurs dizaines de millions d’euros [seront ainsi déployés], assure Henri Godron, président de la coopérative. Ce projet n’est pas utopique, on est déjà sur la bonne voie. Et nous allons encore accélérer d’ici 2029, pour que nos combats d’aujourd’hui deviennent la norme de demain. »

Citant la pétition contre la loi Duplomb aux plus de 2 millions de signatures — qui prévoit notamment de faciliter la réalisation de mégabassines et l’agrandissement des élevages —, il réclame que l’alimentation soit « au cœur des débats publics ».

Les paysans bio, eux, toujours en difficulté

Quelques obstacles risquent toutefois de se dresser en chemin. Monopolisant pour l’heure 50 % du marché bio, la grande distribution devrait bientôt décider d’y investir davantage de force en réaction à cette sortie de crise. « C’est une quasi-certitude », projette Henri Godron. Une concurrence nationale, à laquelle pourrait s’ajouter l’instabilité internationale. « Bien malin sera celui capable de deviner ce que nous prépare Donald Trump pour les six prochains mois », prévient-il.

Les difficultés d’approvisionnement inquiètent aussi le président. Avec une perte de 110 000 hectares en deux ans, les surfaces agricoles cultivées en bio finiront peut-être par manquer. Il y a un mois, un rapport du ministère de l’Agriculture imaginait d’ailleurs un scénario du pire pour les produits bio, qui disparaîtraient des rayons à l’horizon 2040. « À force de diminuer les aides et de crier haut et fort que la bio n’a pas d’avenir, le gouvernement a découragé beaucoup de paysans », s’agace le président de Biocoop.

« Il y a eu de nombreux départs de fermes et des tas de déconversions, confirme Stéphanie Pageot, productrice de lait bio en Loire-Atlantique. Ces surfaces manquantes sont comblées par des importations de l’étranger, ce qui pénalise les paysans français. » Secrétaire nationale de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab), elle regrette que la croissance retrouvée des magasins bio ne ruisselle pas jusqu’aux producteurs : « Nous, on n’a pas le sentiment d’être sortis de la crise. Les aléas climatiques plombent les paysans. Les prix sont bas. On n’est pas du tout tirés d’affaire pour l’instant. »

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Source: https://reporterre.net/Ventes-record-les-magasins-bio-sortent-de-la-crise

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