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Walid Joumblatt, leader druze et ancien président du Parti socialiste progressiste a reçu l’Humanité. Il revient sur les récents affrontements en Syrie et sur la situation dans son pays.
Par Pierre Barbancey
Beyrouth (Liban), envoyé spécial.
Les combats qui se sont déroulés dernièrement en Syrie ont des répercussions au Liban où la question confessionnelle est toujours présente. Le désarmement du Hezbollah devient un point majeur. Le « parti de Dieu » doit retrouver une certaine légitimité après l’assassinat de son chef, Hassan Nasrallah, et d’une bonne partie de ses cadres. Il met en garde contre les « radicaux sunnites » syriens maintenant au pouvoir, dont une partie a attaqué les Alaouites et plus récemment les Druzes.
Une situation qui pourrait être exploitée par Israël, omniprésent, que ce soit au Liban du Sud où il occupe des positions en violation du cessez-le-feu, ou en Syrie, où il occupe le plateau du Golan. Sous prétexte de défendre les Druzes, Tel-Aviv a même bombardé Damas mi-juillet. Une tension grandissante que décrypte Walid Joumblatt, leader druze et ancien président du Parti socialiste progressiste (PSP).
Quelles sont les raisons qui ont amené les affrontements entre les Druzes et les Bédouins en Syrie ces dernières semaines ?
Walid Joumblat, leader druze et ancien président du Parti socialiste progressiste : Avant la chute de Bachar Al Assad, le cheikh Hikmat Al Hijri avait organisé des manifestations pour que les citoyens druzes et syriens puissent avoir de meilleures conditions de vie. À ce moment-là, nous avons effectivement cru qu’il s’agissait du but de cette mobilisation. Mais, après le coup d’État et l’installation au pouvoir d’Ahmed Al Charaa, le cheikh Al Hijri a revendiqué une autodétermination du djebel druze (la montagne druze – NDLR).
Ce qui signifie, dans l’avenir, une séparation d’avec Damas. Puis, il a demandé la protection de puissances étrangères. Il n’a pas eu à aller très loin pour en trouver, puisqu’il s’agissait d’Israël. Il a fait marche arrière après des tentatives de réconciliation en acceptant de reconnaître le pouvoir central, mais, par la suite, il a changé à nouveau d’avis.
Bref, nous sommes arrivés à un bain de sang : certaines factions maintenant au pouvoir, des extrémistes, sont allées au combat et certains Druzes, pour ne pas dire tous, sont rentrés dans la bataille contre les forces gouvernementales et les Bédouins. Donc, de fait, le djebel s’est mis à dos les Bédouins. Il faut d’ailleurs préciser qu’il n’y avait pas que les Bédouins de Soueïda.
Ceux-ci font historiquement partie du Hauran (la région méridionale de la Syrie – NDLR), mais ils possèdent aussi de la famille ailleurs en Syrie, en Irak, en Arabie saoudite et, bien sûr, au Liban. Près de 150 Druzes libanais sont morts en Syrie pendant ces événements. On est arrivé à cette animosité totale entre la plupart des habitants druzes de Soueïda et les autres, c’est-à-dire les Bédouins et le gouvernement central syrien.
Ces affrontements ont fait au moins 1 500 morts jusqu’à présent et se sont accompagnés d’exactions contre les civils et même de kidnappings.
J’ai dénoncé ce qui s’est passé en n’épargnant personne. J’ai demandé que soit créée une commission pour enquêter des deux côtés, sur le modèle de celle mise sur pied après de terribles événements au pays alaouite. Il s’agit de calmer la situation et de réintégrer, si possible, Soueïda dans le giron de l’autorité syrienne. Cela ne pourra se produire qu’après une enquête et les responsables de ces exactions punis.
La situation régionale reste-t-elle explosive alors qu’Israël maintient des positions dans le sud du Liban et ne respecte pas le cessez-le-feu ?
Le gouvernement libanais maintient sa position de principe qui est l’application des résolutions internationales, donc également la résolution 1701 (votée après la guerre de 2006, elle prévoit le retrait israélien du Liban et le désarmement des groupes armés, dont le Hezbollah – NDLR), mais il veut aussi le respect du cessez-le-feu, ce qui n’est pas le cas. Il est violé presque chaque jour par Israël. L’accord est entré en vigueur le 27 novembre 2024. Depuis cette date, il y a eu entre 600 et 700 morts. Israël attaque partout, là où il veut, et tue n’importe qui.
Et sur la situation libanaise, puisqu’il s’agit du désarmement du Hezbollah ?
Le désarmement du Hezbollah ne doit pas se faire par la force. Il faut le convaincre que ses méthodes et son armement n’ont pas réellement changé l’équilibre militaire. Son dispositif militaire et sécuritaire a été infiltré par Israël. Donc, il faut modifier la stratégie. Je parle du Hezbollah au Liban mais aussi de l’Iran. La majorité des Libanais ne comprendrait pas que le Hezbollah reprenne la lutte armée à n’importe quel prix.
Il faut changer de tactique, comme de politique. Est-ce que le Hezbollah en est capable ? Je ne le sais pas. Il faut accepter cette idée : nous avons été défaits. Le Liban doit adopter une attitude de neutralité. Ce qui ne veut pas dire abandonner notre droit à réclamer le retrait israélien et de dénoncer les exactions, l’occupation israélienne à Gaza, en Cisjordanie. Mais, au Liban, nous avons payé un grand prix. Il faut arrêter un peu, souffler.
Mais qu’est-ce qui peut arrêter Israël aujourd’hui ?
Rien. Rien parce que les États-Unis et les pays occidentaux ont donné le feu vert à Israël pour faire ce qu’il voulait. Maintenant, certains pays européens parlent de reconnaître un État de Palestine. C’est très tardif. Où cet État va-t-il exister ? Le génocide se poursuit. Ensuite, il y aura peut-être l’occupation totale de Gaza et ce qui reste de Palestiniens va se retrouver dans un immense camp de concentration.
En Cisjordanie, c’est l’expulsion systématique. On le voit chaque jour. Évidemment, cela peut durer encore des années, mais l’embryon de l’État palestinien qui était censé se concrétiser en Cisjordanie est illusoire. C’est clair. Dans la philosophie sioniste, depuis Herzl jusqu’à Ben Gourion, en passant par Weizmann, Peres et tous les autres, le fait palestinien, entre la mer Méditerranée et le fleuve Jourdain, n’existe pas et n’existera jamais. La seule idée réside dans l’expulsion totale des Palestiniens, tout simplement. Ce n’est pas sans rappeler la conquête de la Terre promise à l’époque du prophète Josué. Il se passe la même chose maintenant, trois mille ans après.
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