Plusieurs centaines de salariés du groupe de presse catholique ont participé à un débrayage d’une heure, jeudi après-midi, pour dénoncer le recrutement d’Alban du Rostu, ex-bras droit du milliardaire conservateur Pierre-Édouard Stérin, et l’opération de rachat de l’ESJ Paris. La direction tente de faire diversion.
Par Thomas LEMAHIEU & Honorine LETARD .
Depuis les révélations de l’Humanité sur le recrutement d’Alban du Rostu, ex-bras droit du milliardaire ultraconservateur Pierre-Édouard Stérin, la panique a un peu changé de camp dans le groupe Bayard : face aux centaines de salariés choqués et inquiets d’un virage à droite toute, la direction sort du bois.
Accompagné de Dominique Greiner, seul membre du directoire avec lui et représentant de la congrégation des assomptionnistes qui contrôle 100 % du capital de Bayard, François Morinière, le patron entré en fonction le 1er novembre, fait le tour de toutes les rédactions et des filiales pour tenter d’éteindre l’incendie.
À chaque étape, depuis mercredi matin, d’après les témoignages que nous avons recueillis, le PDG est cuisiné comme jamais, sur ses deux premières décisions : la participation de Bayard, aux côtés de Bolloré, Dassault, Arnault et d’autres, au rachat de l’école de journalisme ESJ Paris et surtout l’embauche de celui qui est l’un des « fondateurs et administrateurs » – comme l’établit le document divulgué par l’Humanité en juillet – de Périclès, ce plan à 150 millions d’euros visant à faire gagner les droites extrêmes dans les têtes et dans les urnes.
« Moi, j’en ai marre d’être l’avocat d’Alban du Rostu »
Alors que François Morinière se gargarise de faire contrepoids aux ambitions de Bolloré dans le dossier ESJ Paris, le président du directoire de Bayard répercute, contre l’évidence, les démentis d’Alban du Rostu quant à son implication dans le projet politique de Pierre-Édouard Stérin. « Je le crois, je lui ai demandé qu’il prouve ce qu’il dit, je souhaite qu’il l’écrive, plaide-t-il devant le personnel, selon un enregistrement auquel nous avons eu accès. Moi, j’en ai marre d’être l’avocat d’Alban du Rostu, j’ai autre chose à faire, ce n’est pas mon ami. Donc, à un moment, il faut qu’il m’écrive noir sur blanc ce qu’il m’a dit. Les gens changent : je pense qu’il a fait une erreur, et qu’il s’en est rendu compte… Après, s’il m’a menti et que j’en ai les preuves, eh bien, je prendrai mes responsabilités. »
Écran de fumée tactique ou changement de pied stratégique ? Les salariés de Bayard ne paraissent pas prêts de s’en laisser conter… Jeudi après-midi, à l’appel de l’intersyndicale CFDT, CFTC, SNJ, CGT et CGC, ils sont sortis pour se serrer comme des sardines dans le patio du siège pour la première action de débrayage, avant un nouveau rendez-vous, peut-être, le 5 décembre. Sur les pancartes fabriquées dans l’heure qui précédait le rassemblement, les slogans sont inventifs : « Faire grandir nos marmots, pas les fachos », « Bayard, pas Fayard » ou encore « J’aime lire en liberté ».
Au milieu de la foule, Agnès Duperrin, la secrétaire CFDT du CSE, monte sur une table sans mégaphone. « Il est hors de question que le rapprochement des droites se fasse via Bayard, s’époumone-t-elle, sous les applaudissements et même une casserolade. Notre richesse, c’est justement notre ouverture d’esprit, notre pluralisme, le fait qu’on s’adresse à des milieux sociaux et à des couleurs politiques différents. » Salarié d’Okapi, Patrice n’en revient pas. « C’est exceptionnel pour Bayard qu’on soit autant à se mobiliser. C’est rare de voir la presse jeunesse, la presse adulte et l’édition se rassembler autour de la même cause. »
Pancarte sarcastique à la main – « Bayard, quelles valeurs actuelles ? » –, badge « salariée sidérée » autour du cou, une journaliste, qui a demandé l’anonymat, dénonce une tendance très marquée : « Du Rostu et l’ESJ Paris, ça va dans le même sens, celui d’une adhésion à une mouvance idéologique d’extrême droite et un catholicisme conservateur et traditionnel. » Pour elle, qu’importe si le futur numéro 2 de Bayard est encore dans Périclès, ou non… « Il l’a déjà suffisamment été pour qu’il adhère, de façon authentique, au discours de Pierre-Édouard Stérin et à sa stratégie de pouvoir. »
Après être restée dans l’enceinte du siège, la foule des manifestants a pris ses marques à l’extérieur. « Ce qui se passe à l’intérieur de Bayard concerne aussi nos lecteurs, explique Bruno, qui travaille pour un titre jeunesse. On craint que notre groupe de presse devienne un outil politique au profit de l’extrême droite, et qu’il ne soit plus gage de sérieux comme il l’a toujours été. » Sur le trottoir, certains des salariés en lutte brandissent les héros stars de leurs publications, tandis que des voitures klaxonnent pour saluer le mouvement.
La veille, lors de l’inauguration du Salon du livre et de la presse jeunesse de Seine-Saint-Denis, à Montreuil, les personnels avaient déjà pu mesurer la solidarité énorme que suscite leur combat contre un détournement de leurs titres par les courants les plus conservateurs… Sur une grande banderole déployée devant leur stand, leur détermination claquait : « Chez Bayard, aucune place pour l’extrême droite ».
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